Dernier bastion échappant aux secousses de la procédure d’appel mise en place par le Décret Magendie, la procédure d’appel en matière sociale vient de subir un tremblement de terre et voit son paysage totalement transformé.

Cette révolution résulte du décret du 20 mai 2016 mettant en œuvre les dispositions de la loi Macron s’agissant de la procédure devant les juridictions prud’homales.

Afin de bien comprendre les conséquences de ce changement, il convient de revenir sur le droit applicable jusqu’au 31 juillet 2016.

 

I- La procédure d’appel en matière sociale jusqu’au 31 juillet 2016

 

Le droit social est sans doute l’un des plus protecteurs tant au regard des droits des salariés qu’au regard procédural où tout était mis en œuvre pour qu’un salarié ou un employeur puisse se défendre sans l’assistance obligatoire d’un avocat ou d’un délégué syndical.

Cela devait favoriser les demandeurs à saisir la justice pour défendre leurs droits ; et ce, le plus facilement possible.

Ainsi, dans le cadre d’un appel, un salarié ou un employeur pouvait se présenter seul et défendre eux-mêmes leurs intérêts, ce qui était encore la seule exception à la règle de représentation obligatoire d’un avocat dans les procédures d’appel.

De même, la procédure était alors orale, comme devant les tribunaux d’instance par exemple. Ceci implique également que le calendrier était fixé par la cour d’appel dont les audiences de plaidoiries se transformaient régulièrement – voire systématiquement – en audience de mise en état car l’une des parties n’avait pas communiqué ses écritures ou pièces.

Il s’agissait d’une procédure très souple et donc facilement accessible pour les justiciables se défendant seuls. Cette procédure, dérogatoire par rapport au droit commun, était également plus simple pour les avocats ou les délégués syndicaux lesquels pouvaient représenter leurs clients sur l’ensemble du territoire sans recourir à un postulant local ni subir une procédure contraignante.

De cette manière, les appels étaient moins coûteux et plus facilement mis en œuvre.

Bien entendu, le revers de cette procédure était un engorgement très important des juridictions qui, par manque de moyens humains et financiers, ne parvenaient que difficilement à gérer et juger les dossiers dans un délai raisonnable. Les nombreux renvois liés à la mise en état étaient également l’une des raisons de cet engorgement.

En collaboration avec certains barreaux, dont le Barreau de Paris, des conventions de bonnes pratiques avaient été mises en place et correspondaient plus à des fortes recommandations qu’à des règles impératives. Ainsi, dans un délai de six mois, chaque partie devait s’être communiquée ses conclusions et pièces afin d’éviter un renvoi tous les six mois pour les pièces de l’un puis six mois plus tard pour les pièces de l’autre…

Ces conventions entre Cour d’appel et Barreaux reposaient sur la bonne volonté des intervenants et ne permettaient pas une harmonisation nationale mais a permis de trouver des solutions locales à la gestion des dossiers.

La loi Macron vient harmoniser les procédures d’appel peu important la matière et impose désormais aux parties de recourir obligatoirement à un avocat ou à un défenseur syndical.

 

II- La nouvelle procédure d’appel en matière sociale à compter du 1er août 2016

 

A compter du 1er août 2016, les appels formés en matière sociale seront soumis aux règles de la procédure avec représentation obligatoire soit par un avocat soit par un défenseur syndical.

Autrement dit, là où avant il n’y avait pas de procédure, le législateur instaure la procédure écrite la plus stricte et rigoureuse que la procédure civile connaisse. Sans le dire expressément afin que cela ne se voit pas trop, le décret Magendie va prendre toute son ampleur et s’appliquer d’une main de fer.

Or, plus de sept ans après son adoption, la Cour de cassation continue d’interpréter ses dispositions.

L’application de ce décret risque de provoquer des sueurs froides à tous ceux qui ne sont coutumiers de la procédure civile dans la mesure où tous les anciens réflexes sont à proscrire. D’une procédure orale, la procédure devient écrite et soumise à des délais et modes de communication particulièrement rigoureux lesquels sont édictés aux articles 900 et suivants du Code de procédure civile.

Les avocats devront communiquer par le réseau virtuel RPVA obligatoirement quant aux délégués syndicaux représentant les salariés, on peut s’interroger sur le mode de communication des écritures et pièces qu’ils devront employer afin que la procédure soit régulière. La signification par huissier de chaque conclusions et pièces sera-t-elle obligatoire ou un simple courrier recommandé suffira ? Le coût n’en est pas le même.

De même, à défaut de respecter les délais de communication de l’appelant ou de l’intimé (la partie en défense), la sanction est la caducité de l’action. En d’autres termes, circuler il n’y a plus rien à voir….l’action en appel est éteinte sauf si un nouvel appel est fait dans le délai d’un mois après la notification du jugement par le greffe. Néanmoins cette hypothèse est peu probable en matière sociale dès lors que le délai d’un mois court après la notification faite par le greffe (c'est-à-dire le recommandé vous envoyant le jugement) et que la caducité ne peut intervenir, au plus tôt, qu’après ce délai d’un mois en cas de défaut de signification de la déclaration d’appel à l’intimé par huissier, par exemple.

L’absence de conclusion de l’appelant dans le délai de trois mois est également sanctionnée par la caducité mais dans cette hypothèse le délai d’un mois suivant la notification pour faire un nouvel appel est largement dépassé.

Comme cela a été le cas en matière civile et commerciale dès l’entrée en vigueur du décret Magendie, les caducités vont se multiplier et les juridictions vont être inévitablement désengorgées…ce qui était l’objectif.

Que ce soit en première instance devant le conseil de prud’hommes ou au stade de l’appel, la solution face à l’engorgement des juridictions a été de réduire au maximum l’afflux de dossier en instaurant des procédures rigoureuses plutôt que d’allouer des moyens humains et financiers pour permettre à tous d’avoir accès à la justice.

En dépit de cette évidence, aucune organisation syndicale n’a protesté ni manifesté contre une réforme qui va clairement mettre à mal de nombreuses procédures, comme ce fût le cas par le passé, et dont les délégués syndicaux pâtiront sans doute en premier n’étant jamais confronté dans le cadre de leur mandat à la procédure d’appel issue du décret Magendie…

Cette révolution dont commence à prendre conscience les praticiens va bénéficier aux anciens avoués ainsi qu’aux avocats habitués à la procédure d’appel. A contrario, ne pas maîtriser cette procédure ou mal l’a maîtrisée est une cause d’engagement de la responsabilité civile professionnelle si un délai n’est pas respectée ou une formalité non accomplie entraînant la caducité de l’affaire.

Il s’agit d’un nouveau parcours d’obstacle qui peut coûter très cher à la profession en cas de chute.

A l’inverse, l’objectif de réduction des délais va être rapidement atteint puisque dans les premiers mois, voire les premières années, de nombreux dossiers ne vont pas aboutir en raison d’erreurs procédurales, ce qui va totalement à l’encontre de l’esprit de la matière sociale.

Contrairement à ce que l'on pouvait penser, le Gardien des Sceaux a précisé dans une circulaire du 5 juillet 2016 que le timbre fiscal de 225 euros, obligatoire en matière appel avec représentation obligatoire, ne serait pas réclamé en matière sociale.

On ne peut que s'en réjouir pour les salariés qui souhaiteraient faire appel de ne pas avoir à s'acquitter du timbre fiscal lequel serait venu alourdir le coût de l'appel. Néanmoins, le coût d'une telle procédure risque de s'alouridir avec les frais de postulation.

 

La question de la postulation

 

Tout avocat peut plaider sur l’ensemble du territoire français.

En revanche, dans le cadre de procédure écrite avec représentation obligatoire par un avocat, comme ce sera le cas à compter du 1er août 2016 pour les procédures d’appel en matière sociale, un avocat est compétent dans le ressort de la cour d’appel dont il dépend, conformément à la Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques..

(La loi Macron a également réformé les règles issues de la postulation mais dans la mesure où ces nouvelles règles prendront également effet au 1er aout 2016, il n’est pas utile d’insister sur les anciennes règles).

Devant toutes les autres cours d’appel, l’avocat devra prendre un postulant, c'est-à-dire un avocat territorialement dépendant de la cour d’appel en question qui sera amené à effectuer les actes de la procédure. C’est ce que l’on appelle la règle de la territorialité.

En effet, il est dit à l’article 5 applicable au 1er août 2016 que :

 

« Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4.

Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel.

Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie ».

 

Aucune exception à la règle de la territorialité n’est inscrite dans le décret du 20 mai 2016 portant réforme de la procédure prud’homale.

Donc en toute logique, les avocats ne pourront représenter (procédure + plaidoirie) leurs clients que devant la cour d’appel dont ils dépendent territorialement. Pour les affaires devant d’autres cours d’appel, le recours à un avocat postulant est obligatoire.

En revanche, la règle de la territorialité ne s’applique pas devant les conseils de prud’hommes dans la mesure où la procédure reste orale (en théorie) et sans représentation obligatoire d’un avocat. De ce fait, tous les avocats de France peuvent représenter leurs clients devant tous les conseils de Prud’hommes présents sur le territoire national.

 

A titre d’exemple, un avocat du Barreau de Paris pourra représenter son client sans postulant devant le conseil de Prud’hommes de Nanterre. Mais, dans la mesure où la cour d’appel territorialement compétente pour connaître des jugements de Nanterre est la Cour d’Appel de Versailles, ce même avocat devra prendre un avocat postulant du Barreau de Versailles pour effectuer les actes de procédure dans le cadre de son appel.

 

Par ailleurs, cette obligation va avoir un coût supplémentaire pour le client qui devra s’acquitter en plus des honoraires d’avocat et du timbre fiscal, les honoraires de l’avocat postulant. Un moyen supplémentaire de dissuader de faire appel pour les moins onéreux qui ne peuvent néanmoins pas bénéficier de l’aide juridictionnelle.

En revanche, la règle de la territorialité et donc de la postulation n’est pas applicable aux délégués syndicaux qui, à moins de se déplacer pour effectuer les actes de procédure, devront faire appel à une antenne locale.

Reste à savoir comment ils communiqueront avec les juridictions dans la mesure où le réseau virtuel RPVA ne leur est pas ouvert…

 

 

S’il fallait encore s’en convaincre, l’esprit entourant la matière sociale vient de rendre son dernier souffle avec l’entrée en vigueur du décret du 20 mai 2016. Le législateur n’a pas encore trouvé de meilleur moyen pour réduire l’engorgement des juridictions que d’instaurer une procédure rigoureuse qui mécaniquement va diminuer le nombre de dossiers portés devant les magistrats.

Dans un monde parfait, des moyens humains et financiers auraient été investis. Mais en attendant cette utopie, c’est l’accès au droit qui est restreint, ce qui permettra sans doute d’éviter les actions dilatoires ou sans fondement.