Une célèbre famille, proche du peintre David, avait acquis une copie du tableau Télémaque et Eucharis, exécuté en 1822 par Sophie Fremiet, élève de David, et signée par le maître.

Ce tableau, resté dans la famille, est arrivé jusqu’à un descendant, X.

A son décès en 1966, X a laissé une veuve et 3 jeunes enfants.

Dans les années 1980, la veuve a cédé le tableau à un antiquaire parisien.

En 2013, apprenant cette cession, les enfants ont demandé la restitution du tableau. En vain.

Ils ont alors poursuivi en justice l’antiquaire (ou plutôt ses héritiers).

Le 11 janvier 2022, la CA Paris a condamné les héritiers de l’antiquaire à restituer la toile aux enfants.

Elle a examiné plusieurs points :

1/ Sur la qualité de propriétaires des 3 enfants

Le couple était marié en séparation de biens.

Pas de donation au dernier vivant ni de testament.

En 1966, lors du décès de X, la règle était que le conjoint survivant n’était pas héritier (il n’avait droit à l’époque qu’à ¼ de l’usufruit).

La mère n’a ainsi pas pu hériter du tableau.

C’étaient donc les enfants, et non leur mère, qui étaient propriétaires du tableau.

Les enfants sont recevables à revendiquer le tableau entre les mains des héritiers de l’antiquaire.

2/ Sur la possession de l’antiquaire

Les ayants droit de l'antiquaire ont tenté d’opposer leur prescription acquisitive (= usucapion) sur le tableau.

Pour usucaper, il faut démontrer que la possession est continue, paisible, publique, et non équivoque.

[non équivoque = qui ne laisse aucun doute quant à l’intention du possesseur de se comporter comme le véritable propriétaire]

Or, pour la Cour, le dernier critère n’est pas rempli.

L’antiquaire savait très bien que la veuve détenait le tableau de sa belle-famille et connaissait l’existence des enfants.

Il a cherché à dissimuler l’acquisition de la toile en évitant tout document contractuel et en n’exposant jamais l’œuvre, preuve de l’équivocité de sa possession.

L’antiquaire, puis ses héritiers, n’ont pas pu devenir propriétaires du tableau par prescription acquisitive.

3/ Sur l’indemnisation du préjudice de jouissance

L’antiquaire a manqué de vigilance en ne vérifiant pas si la veuve avait bien qualité pour céder le tableau.

Il a donc engagé sa responsabilité vis-à-vis des enfants.

Les enfants prétendaient avoir été privés du tableau pendant plus de 30 ans et réclamaient 225.000 €.

Mais la Cour a estimé que la durée de la privation de jouissance était moindre puisque les enfants ignoraient l’existence de ce tableau jusqu’en 2013.

L’indemnisation due par les héritiers de l’antiquaire est donc limitée à 15.000 €.

Gros coup dur pour les héritiers de l’antiquaire ! Ils doivent rendre le tableau, payer 15.000 € et ne peuvent même pas récupérer le prix payé par leur de cujus à la veuve car il n’y a plus aucune preuve de la cession initiale…