Dans un arrêt en date du 19 juin 2025 (Cass civ 2ème 19 juin 2025 n°23-23333) la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que l’émission d’une offre incomplète par l’assureur en matière d’indemnisation des préjudices subis par une victime à la suite d’un accident de la circulation doit être sanctionné par le doublement du taux d’intérêts légal.
L’arrêt s’inscrit dans le contentieux de la loi Badinter du 5 juillet 1985 (assurances obligatoires et indemnisation des victimes d’accidents de la circulation). Il précise, dans le mécanisme de l’offre d’indemnisation, (i) ce qui caractérise une offre incomplète et (ii) les conditions strictes dans lesquelles l’assureur peut suspendre le délai de l’article L.211-9 C. assur. en sollicitant des pièces auprès de la victime. L’enjeu est financier : le doublement de l’intérêt légal (art. L.211-13) s’applique jusqu’au jour d’une offre complète ou d’un jugement définitif, sauf suspension régulière du délai.
Faits et procédure :
Victime d’un accident causé par la chute du mât d’une foreuse louée (19 mars 2004), M. Y. agit contre le locataire et ses assureurs (Covéa Fleet puis MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles). Après de multiples péripéties (dont un renvoi après une première cassation du 20 janvier 2022), la cour d’appel de Versailles (17 octobre 2023) limite la période de doublement d’intérêts au 20 novembre 2004 → 10 juin 2015, estimant que l’offre du 10 juin 2015 n’était pas incomplète puisqu’il avait été demandé à la victime des avis d’imposition pour chiffrer le retentissement professionnel.
Question juridique posée :
Une simple demande de justificatifs adressée par l’assureur (ex. : avis d’imposition pour chiffrer le retentissement professionnel) suffit-elle à :
- rendre l’offre “complète” au sens de L.211-9 C.assur ?
- suspendre le délai de l’article L.211-9 sur le fondement des articles R.211-37 et R.211-39 C. assur. ?
Solution adoptée par la Cour de cassation :
La Cour casse l’arrêt sur les chefs relatifs au calcul du doublement des intérêts :
- Offre complète : une offre qui omet un poste indemnisable (ici, le retentissement professionnel) est incomplète. Le seul fait de réclamer des pièces pour ce poste ne “complète” pas l’offre.
- Suspension du délai : une simple demande de justificatifs ne vaut pas la correspondance R.211-39. Pour suspendre le délai, l’assureur doit adresser une lettre conforme aux exigences formelles : rappel des informations de L.211-10 et avertissement sur les conséquences d’une absence de réponse ou d’une réponse incomplète. À défaut, pas de suspension, et le doublement des intérêts continue de courir. Juricaf
Conséquence : renvoi devant la CA de Paris seulement pour recalculer la période et l’assiette du doublement des intérêts ; les autres dispositions (dépens, art. 700 CPC) sont maintenues.
Portée et apports pratiques
1) Définition opérationnelle de l’« offre complète »
L’offre doit couvrir tous les chefs de préjudice indemnisables (patrimoniaux, extrapatrimoniaux, présents, futurs si consolidés) ou justifier formellement l’impossibilité de chiffrer un poste par une procédure R.211-39 régulière. Une offre chiffrée sur la plupart des postes mais “en attente de pièces” sur l’un d’eux reste incomplète et déclenche le doublement (L.211-13) jusqu’à régularisation.
2) Lettre R.211-39 C. assurances : un formalisme impératif
Pour geler le délai, la lettre doit :
- solliciter précisément les renseignements (revenus, certificat médical, etc.) ;
- mentionner les informations prévues à l’article L.211-10 ;
- rappeler les conséquences d’un défaut de réponse (suspension du délai, etc.).
Sans ces mentions, la demande de pièces est juridiquement inopérante sur les délais.
3) Sécurisation contentieuse des intérêts
L’arrêt conforte une lecture pro-victime : tant que l’offre n’embrasse pas tout le périmètre indemnisable et qu’aucune lettre R.211-39 régulière n’est produite, le doublement court “jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif”. L’assiette du doublement se calcule sur le montant de l’indemnité offerte ou allouée, en cohérence avec L.211-13.
La solution se place dans la lignée d’une jurisprudence constante qui sanctionne les offres tardives ou incomplètes par l’arme des intérêts majorés et exige un respect strict des textes réglementaires encadrant la relation assureur-victime (L.211-9, L.211-10, L.211-13 ; R.211-37, R.211-39). L’arrêt du 19 juin 2025 consolide ce cadre en verrouillant la tentation pratique d’“habiller” une offre lacunaire par de simples demandes de pièces
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