La crise sanitaire sans précédent que nous traversons aura sans nul doute des conséquences importantes dans de nombreux domaines comme l’économie, la finance mais également le domaine juridique.

La situation est très anxiogène et de nombreux psychiatres ont d’ores et déjà alerté sur les conséquences d’ordre psychologiques que le confinement pourrait avoir sur la santé d’une partie de la population.

Bien évidemment, ce confinement est absolument nécessaire et nul ne saurait obtenir un quelconque dédommagement du retentissement psychologique de ce qui n’est autre qu’une mesure de santé publique.

Toutefois, il peut sembler intéressant de s’interroger sur la nature du préjudice subi du fait de l’angoisse générée par l’épidémie de covid-19 au moins pour deux raisons. La première est que bon nombre de personnes évoquent déjà, parfois même par le truchement d’avocat, leur intention d’engager des procédures, dont on peut déjà entrevoir la nature civile, pénale ou prud’homale notamment, dès que la crise sera passée.  Un modèle de plainte contre X circule même sur internet à l’attention des personnels médicaux ou de toute autre personne afin de leur permettre d’engager des poursuites des chefs « d’abstention volontaire de prendre les mesures visant à combattre un sinistre, violences involontaires, mise en danger délibérée de la vie d’autrui et homicide involontaire. » Si l’une de ces plaintes ou actions aboutit, les juges auront donc à se prononcer sur le préjudice subi notamment du fait de l’angoisse ressentie dans le contexte épidémique sous réserve naturellement qu’il soit en lien de causalité avec les faits qui seront reprochés. La seconde raison est que cette épidémie a provoqué des situations de détresse totalement inédites tant pour les victimes directes de la maladie que pour leurs proches pour lesquels le confinement a induit une éloignement relationnel inéluctable. Certaines personnes racontent ainsi les souffrances morales endurées lors de la séparation brutale avec leur proche subitement hospitalisé dans un contexte de saturation des hôpitaux ayant pour conséquence une remontée d’informations réduite au minimum voire inexistante. Pis encore pour ceux qui ont été dans l’impossibilité d’accompagner leur proche dans leur dernier souffle de vie ou, tout simplement, assister à leurs obsèques, eu égard au risque de contagion…Encore une fois, bon nombre de ces situations ne sont dues qu’à la triste fatalité et il serait absurde de vouloir trouver un responsable à tout prix. Cependant, dans l’hypothèse où des procédures seraient engagées à l’encontre de ceux que des victimes tiendraient pour responsables d’agissements fautifs, le juge devra nécessairement appréhender le contexte de pandémie totalement inédit ayant contribué à majorer leur angoisse.

Préjudice d’angoisse ou préjudice d’anxiété ?

Le préjudice d’angoisse et le préjudice d’anxiété sont deux notions totalement distinctes dont l’une seulement a été consacrée par la jurisprudence comme constituant un préjudice autonome tandis que l’autre demeure pour l’instant rattachée à la notion de « souffrances endurées » au sens de la nomenclature Dintilhac.

C’est le préjudice d’anxiété qui a été consacré de façon autonome par la Cour de cassation notamment au profit des personnes exposées aux poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle en estimant que « les salariés (...) se trouvaient par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens
réguliers propres à réactiver cette angoisse »
. Ce préjudice a, par la suite, été défini de façon plus précise par des arrêts du 25 septembre 2013, comme le préjudice qui correspond à « l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ». Dans son revirement de jurisprudence en date du 5 avril 2019, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a étendu le domaine d’application de cette notion en reconnaissant la possibilité pour un salarié justifiant d’une exposition à l’amiante « d’agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ». Ce préjudice d’anxiété a également été retenu dans des cas d’exposition au diéthylstilboestrol (DES) ou encore dans l’affaire du Médiator.

La question est de savoir si cette notion pourrait s’appliquer au covid-19, par exemple, dans le cas d’un salarié dont l’employeur n’aurait pas fourni le matériel nécessaire à assurer au mieux la prévention des risques de contamination (masques, gants etc). Cela pourrait également concerner des soignants qui auraient été amenés à travailler sans masque ou dans d’autres conditions augmentant les chances de contracter le virus. Il ne fait aucun doute qu’une telle situation a été génératrice d’anxiété pour le salarié. Néanmoins, en l’état de la jurisprudence, il n’est pas certain que le préjudice d’anxiété puisse être retenu du fait de l’exposition à un risque anormal de contracter le covid-19. En effet, force est d’abord de constater que la durée au cours de laquelle est subi le préjudice d’anxiété est en général très longue car elle dépend d’un risque sériel qui peut mettre des années à se déclarer. Dans le cas du covid-19, la fin de la pandémie mettra automatiquement fin à la période d’angoisse qui n’aura perduré que durant tout au plus quelques mois. Ensuite, contrairement aux cas dans lesquels l’existence d’un préjudice d’anxiété a été retenu par la jurisprudence, pour le covid-19, il suffit de réaliser un test de dépistage pour savoir s’il y a eu ou non contamination. Cette situation est donc incomparable avec celle du salarié exposé à l’amiante qui n’a aucune possibilité de savoir à l’avance s’il va ou non déclarer un cancer. Enfin, le préjudice d’anxiété a trait le plus souvent au risque de développer une maladie grave. Or, il semblerait que, dans environ 80 % des cas, le covid-19 ne donne lieu qu’à des symptômes très bénins voire une absence totale de symptômes.  Il n’est donc pas certain que la notion autonome de préjudice d’anxiété puisse être retenue dans le cas d’une exposition anormale au covid-19.

Préjudice situationnel d’angoisse ?

Comme cela a déjà été précisé, la jurisprudence refuse de reconnaître l’existence d’un préjudice d’angoisse spécifique en dehors de la nomenclature Dintilhac. Seul le préjudice d’angoisse imminente de mort a été reconnu par des Juges du fond dans des circonstances exceptionnelles liées à des catastrophes ou des accidents collectifs.

Or, de nombreuses associations de victimes militent pour la reconnaissance d’un tel préjudice au motif qu’il recouvre une réalité difficilement mesurable avec les outils médico-légaux habituels. Selon ces associations, inclure l’indemnisation de ce préjudice dans le poste « souffrances endurées », comme le fait habituellement la jurisprudence, revient à en minimiser la prise en charge.

Le rapport du groupe de travail dirigé par Madame le professeur Stéphanie Porchy-Simon remis au Gouvernement en 2016 prône également la reconnaissance d’un « préjudice situationnel d’angoisse », qui pourrait être caractérisé́ tant au regard des victimes principales, que de leurs proches. Ce groupe de travail propose de définir ce poste de préjudice comme le « préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez la victime, pendant le cours de l’évènement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confronté à la mort. » De même, le groupe de travail propose de définir le préjudice situationnel d’angoisse des proches comme le « préjudice autonome lié à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant d’un acte soudain et brutal, notamment d’un accident collectif, d’une catastrophe, d’un attentat ou d’un acte terroriste, et provoquant chez le proche, du fait de la proximité́ affective avec la victime principale, une très grande détresse et une angoisse jusqu’à la fin de l’incertitude sur le sort de celle-ci. » Le particularisme de ce préjudice est sa temporalité puisqu’il se limite à la souffrance subie pendant la durée de l’évènement et indépendamment de l’issue de celui-ci.

Le groupe de travail propose dans son rapport une méthode d’évaluation de ce préjudice, pour les victimes directes, hors expertise médicale, en fonctions de trois critères généraux, à affiner au regard des circonstances de chaque évènement :

  • La durée de l’exposition de la situation,
  • La proximité du danger,
  • Les circonstances particulières entourant l’acte.

Cette notion pourrait-elle être utilisée dans le cadre de la pandémie de covid-19 et/ou les actions en Justice qui pourront éventuellement être engagées après la crise sanitaire pourraient-elles en faciliter la consécration en jurisprudence?

Rien n’est moins sûr. En effet, s’il paraît évident que la pandémie de covid-19 est susceptible de caractériser des circonstances exceptionnelles, reste à savoir si elle pourrait être considérée comme une « acte soudain et brutal ». De même, il conviendra de caractériser précisément la « conscience d’être confrontée à la mort » comme résultant directement des fautes qui seront invoquées au soutien des actions et non de la situation sanitaire en elle-même, ce qui ne sera pas forcément évident.

Toujours est-il que le droit doit impérativement s’adapter aux situations factuelles aussi exceptionnelles soient-elles et, si des responsabilités devaient être établies, les juges devront appréhender in concreto le préjudice subi du fait de l’angoisse particulière ressentie dans le contexte exceptionnel de pandémie.

Curieusement, le gouvernement a adopté, en plein confinement, le décret du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust » qui permettra l’élaboration d’un algorithme destiné à « l'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation » des préjudices corporels.

Or, ce n’est certainement pas l’intelligence artificielle qui aura la capacité d’innover en créant de nouveaux postes de préjudices tels que le « préjudice situationnel d’angoisse » dont la particularité est précisément d’appréhender concrètement la complexité et la diversité des situations de détresse humaine. A bon entendeur…

Michaël MALKA-SEBBAN

Avocat au Barreau de Toulouse

https://www.malka-avocats.com