Le 9 décembre 2016 a été publiée au journal officiel la loi 2016-1691 dite loi « Sapin 2 » portant sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique.

Cette loi comporte plusieurs mesures impactant le droit des affaires dans ses différentes composantes.

Cet article a pour objet de présenter les principales mesures et modifications instaurées par cette loi : la première partie concernera les mesures anti-corruption mises à la charge des grandes entreprises, la création de l’Agence française anticorruption et la protection des lanceurs d’alerte ; la seconde partie sera consacrée aux modifications apportées en droit des sociétés, droit commercial, droit de la concurrence et droit bancaire.

Les mesures anti-corruption à la charge des grandes entreprises, champ d’application et nature des obligations :

Champ d’application:

L’article 17 de la loi 2016-1691 impose aux dirigeants de sociétés (présidents, directeurs généraux, gérants et certains membres du directoire) de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence.

Cette obligation s'impose lorsque certains seuils sont atteints : par exemple, lorsque les entreprises emploient au moins 500 salariés, ou appartiennent à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l'effectif comprend au moins 500 salariés.

Nature des obligations:

Toujours en application de l’article 17 de la loi, les mesures et procédures suivantes devront être prises d’ici le 1er juin 2017 :

  • Un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d'influence.

 

  • Un dispositif d'alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d'employés et relatifs à l'existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société ;

 

  • Une cartographie des risques prenant la forme d'une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d'exposition de la société à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d'activités et des zones géographiques dans lesquels la société exerce son activité ;

 

  • Des procédures d'évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;

 

  • Des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s'assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d'influence;

 

  • Un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d'influence ;

 

  • Un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la société en cas de violation du code de conduite de la société ;

 

  • Un dispositif de contrôle et d'évaluation interne des mesures mises en œuvre.

L’Agence française anticorruption ; compétences, pouvoirs et procédure :

Compétences:

L'Agence française anticorruption contrôle le respect des mesures et procédures ci-dessus.

Le contrôle donne lieu à l'établissement d'un rapport transmis à l'autorité qui a demandé le contrôle et aux représentants de la société contrôlée.

Le rapport contient les observations de l'agence sur la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein de la société contrôlée ainsi que, le cas échéant, des recommandations en vue de l'amélioration des procédures existantes.

Pouvoirs:

En cas de manquement constaté, et après avoir mis la personne concernée en mesure de présenter ses observations, le magistrat qui dirige l'agence peut adresser un avertissement aux représentants de la société.

Il peut également saisir la commission des sanctions afin que :

Soit enjoint à la société et à ses représentants d'adapter les procédures de conformité internes destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption ou de trafic d'influence dans un délai fixé par la commission et qui ne peut excéder trois ans ;

Soit infligée une sanction pécuniaire qui ne pourra excéder 1 million d’euros pour la personne morale et 200.000 euros pour les dirigeants : dans ce cas, il notifie les griefs à la personne physique mise en cause et, s'agissant d'une personne morale, à son représentant légal.

Cette sanction devra être proportionnée à la gravité des faits et à la situation financière de la personne morale et des dirigeants.

La commission des sanctions pourra également ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision d'injonction ou de sanction pécuniaire ou d'un extrait de celle-ci.

Procédure:

La commission des sanctions statue par décision motivée.

L'action de l'Agence française anticorruption se prescrit par trois années révolues à compter du jour où le manquement a été constaté si, dans ce délai, il n'a été fait aucun acte tendant à la sanction de ce manquement.

Les recours formés contre les décisions de la commission des sanctions sont des recours de pleine juridiction.

Autres dispositions de lutte contre la corruption :

Création d’un article 131-39-2 du Code pénal:

Lorsque la loi le prévoit à l'encontre d'une personne morale, un délit peut être sanctionné par l'obligation de se soumettre, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption, pour une durée maximale de cinq ans, à un programme de mise en conformité destiné à s'assurer de l'existence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures visées à l’article 17 de la loi 2016-1691.

L’identification des bénéficiaires effectifs:

L’article 139 de la loi 2016-1691 prend des mesures de transposition de la directive européenne 2015/849 anti-blanchiment du 20 mai 2015 qui sont notamment intégrées dans le Code monétaire et financier aux articles L.561-2-2 et R.561-1.

En substance, ces dispositions mettent à la charge des sociétés et groupements tenus de s’immatriculer au RCS des obligations relatives à l’identification de leurs bénéficiaires effectifs, ce qui permettra notamment d’identifier qui sont les bénéficiaires effectifs de montages fiscaux qui font intervenir des sociétés écrans ou des prêtes noms.

Les sociétés et groupements devront obtenir et conserver des informations exactes et actualisées sur leurs bénéficiaires effectifs qu’ils devront communiquer au RCS lors de leur immatriculation.

La création de la convention judiciaire d’intérêt public:

L’article 22 de la loi 2016-1691 offre la possibilité pour une personne morale de conclure une convention judiciaire d’intérêt public en versant une amende au Trésor public et en échange de l’abandon des poursuites.

La Convention peut être proposée par le Procureur de la République tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement mais porte seulement sur certains délits de corruption ou de trafic d’influence.

Une convention judiciaire pourra également être conclue lorsque le juge d’instruction est saisi : lorsque les conditions sont réunies, le juge d’instruction prononce par ordonnance la transmission de la procédure au Procureur de la République aux fins de mise en œuvre de la procédure de convention judiciaire d’intérêt public, ce qui aura pour effet de suspendre l’instruction pour la personne morale (article 180-2 nouveau du Code de procédure pénale).

La protection des lanceurs d’alerte ; définition, champ d’application, procédure et mesures de protection :

Si certaines dispositions relatives aux lanceurs d’alerte existaient en droit français, le Conseil d’Etat constatait, dans une étude publiée en 2016, la présence de textes épars et incomplets en droit français.

Le Conseil d’Etat préconisait dans son rapport la création d’un socle de dispositions communes applicables à tous les lanceurs d’alerte, ce que réalise la loi 2016-1691.

Définition du lanceur d’alerte:

L’article 6 de la loi 2016-1691 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Limites dans le champ d’application de la notion:

Si aux termes de la définition de l’article 6, les faits dénoncés ne doivent pas nécessairement porter sur des manquements qui relèvent de la loi pénale, les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont toutefois exclus du régime.

Procédure:

L’article 8 de la loi 2016-1691 met en place une procédure.

Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.

En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.

En dernier ressort, à défaut de traitement par l'autorité judiciaire, l'autorité administrative ou l’ordre professionnel dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.

En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des autorités ci-dessus visées ou rendu public.

Par ailleurs, des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions.

Mesures de protection des lanceurs d’alerte:

Lorsque le lanceur d’alerte remplira les critères définis pour se prévaloir de cette qualification, la loi prévoit diverses mesures de protection :

Exonération de responsabilité pénale : n'est pas « pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » (Article 122-9 nouveau du Code pénal) ;

Interdiction de discriminer le lanceur d’alerte : Article L.1132-3-3 al 2 nouveau du Code du travail, article L.4122-4 al 2 nouveau du Code de la défense, article 6 ter A al 2 nouveau de la loi 83-634 ;

Renforcement des sanctions encourues par ceux qui s’oppose abusivement aux signalements des lanceurs d’alerte, articles 13 I et II de la loi 2016-1691 :

Toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d'un signalement aux personnes et organismes compétents est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende ; et doublement de l’amende due pour constitution de partie civile abusive ou dilatoire en cas de plainte pour diffamation contre le lanceur d’alerte.

A noter également que des dispositions spécifiques s’appliqueront dans le secteur financier avec le concours de l’autorité des marchés financiers et de l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (L.634-1 alinéa 2 nouveau du Code monétaire et financier).