Présentation de la problématique :

Il ressort des articles 5. 3 du règlement CE 44/2001 du 22 décembre 2000 et 7.1 du règlement UE 1251/2012 du 12 décembre 2012, qu’en cas de litige en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre de l’union européenne peut-être attraite devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit au risque de se produire. Ceci, est une exception au principe général selon lequel le défendeur doit être attrait devant le tribunal du lieu de son domicile.

En matière contractuelle, le défendeur peut être poursuivi devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée :

Pour la vente de marchandises, il s’agit du lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées. (Article 5.1 Du règlement UE 44/1 et 7. 1 du règlement UE 1251/2012) Pour la fourniture de services, il s’agit du lieu où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. (Article 5.1 Du règlement UE 44/1 et 7. 1 du règlement UE 1251/2012). Une contradiction semblait exister entre la position de la Cour de cassation est celle de la Cour de justice de l’Union Européenne : la première considérant que la rupture des relations commerciales établies relevait de la matière délictuelle ; la seconde considérant que la rupture des relations commerciales établies relevait de la matière contractuelle.

D’un point de vue procédural, il en ressortait une difficulté car les règles de conflits de juridiction pouvaient aboutir à la désignation de juridictions différentes.

C’est dans ces conditions que la Cour d’appel de Paris posait une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union Européenne afin de savoir si l’action en rupture brutale des relations commerciales fondée sur l’article L.442-6 du Code de commerce français, devait être considérée comme une action de nature contractuelle ou délictuelle, lorsque le droit européen est applicable ?

La Cour de justice, par arrêt du 14 juillet 2016 (Affaire C-196/15) a jugé que « qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s’il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. La démonstration visant à établir l’existence d’une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d’éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l’existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée ».

La position de la Cour de cassation :

Dans un arrêt du 20 septembre 2017, la Cour de cassation a eu l’opportunité de statuer sur la question de la compétence d'une juridiction française en matière de contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Dans cette espèce, un distributeur français poursuivait un fournisseur belge devant une juridiction française, le fournisseur contestant la compétence du juge français au profit du juge belge invoquant l’existence d’un litige de nature contractuelle et la compétence du tribunal du lieu de livraison du matériel, en l’occurrence la Belgique.

La Cour de cassation a accueilli favorablement le recours du fournisseur, faisant expressément référence à la position retenue par la Cour de justice en la matière : « Mais attendu qu'aux termes de l'article 7, point 2, du règlement (UE) 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE 14 juillet 2016 aff. C-196/15 Granolo SpA c. Ambroisi Emmi France SA), une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de ce règlement, s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer, notamment, l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée; que l'arrêt relève que la société AVR a vendu pendant plusieurs années, soit de 2003 à 2010, du matériel agricole à la société Proutheau que cette dernière distribuait en France ; qu'il ajoute que l'article 5 des conditions générales des contrats de vente conclus entre les parties, intitulé "Lieu de livraison", précisait "les marchandises sont censées être livrées à partir de nos magasins avant expédition" ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir l'existence d'une relation contractuelle tacite, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige, a pu retenir que l'action relevait de la matière contractuelle et, les marchandises étant livrées en Belgique, déclarer le tribunal de commerce de Paris incompétent ; que le moyen n'est pas fondé ; ».

Les praticiens, devront être attentifs à cette nouvelle donne avant de saisir les juridictions françaises d’une action indemnitaire fondée sur l’article L.442 – 6 du code de commerce lorsque les parties sont domiciliées sur le territoire d’Etats différents.