Le barème d’indemnisation du licenciement injustifié déclaré non conforme au droit international
L’introduction dans le Code du travail d’un barème d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est l’une des mesures phares des ordonnances « Macron » de septembre 2017. En plafonnant l’indemnisation du licenciement abusif, l’objectif annoncé était d’apporter aux parties (mais plus particulièrement aux employeurs) de la prévisibilité en cas de contentieux sur la rupture du contrat.
Cet objectif apparaît aujourd’hui fragilisé après qu’au moins trois Conseils de Prud’hommes ont écarté l’application de ce barème au mois de décembre 2018.
Rappel sur le principe du barème
L’employeur qui souhaite connaître son « risque prud’homal », en cas de contestation du licenciement qu’il envisage, peut très simplement se reporter à la lecture de l’article L1235-3 (nouveau) du Code du travail. Il fixe, sur un simple critère d’ancienneté, un montant minimal et un montant maximal d’indemnisation (exprimé en mois de salaire).
Le pouvoir d’appréciation souverain du Conseil de Prud'hommes (dont il faut rappeler le caractère paritaire, c’est-à-dire qu’il est composé d’autant de représentants de salariés que de représentant d’employeurs) a donc été bridé.
Attention toutefois à la portée de ce barème.
D’une part, il n’est applicable qu’à l’indemnisation du licenciement abusif et n’inclut pas les autres sommes éventuellement allouées (demandes de dommages-intérêts pour d’autres motifs, rappels de salaires, etc.).
D’autre part, le législateur a d’emblée prévu un certain nombre de situations jugées « graves » (atteinte à une liberté fondamentale, harcèlements, discriminations, ...) et pour lesquelles il est expressément prévu une indemnisation au moins égale aux 6 derniers mois de salaires, et sans plafonnement.
Un barème jugé conforme à la Constitution
Le Conseil constitutionnel avait été saisi quant à la conformité de ces barèmes aux dispositions constitutionnelles. Les arguments étaient multiples et loin d’être inconsistants quand bien même ils n’ont pas prospéré.
Pouvait-on alors tenir pour acquis que tout débat sur la validité du barème était enterré ? Assurément non. En effet, le contrôle du Conseil Constitutionnel est strictement limité aux règles de droit interne ayant valeur constitutionnelle (Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, préambule de la Constitution de 1946, Constitution de 1958, Charte de l’Environnement).
Ce contrôle était donc limité.
Une conformité aux engagements internationaux débattue
La pérennité des barèmes a ainsi continué à être discutée, en particulier au regard des engagements internationaux souscrits par la France, et plus l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT et l’article 24 de la Charte sociale européenne, l’un et l’autre posant le principe d’octroi d’une « indemnité adéquate » en cas de licenciement abusif.
Rappelons à ce stade que Force Ouvrière a saisi le Comité Européen des Droits Sociaux afin qu’il juge le barème français contraire à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée.
Par ailleurs, depuis le mois de décembre 2018 plusieurs Conseils de Prud’hommes ont écarté l’application du barème : TROYES, AMIENS, LYON, GRENOBLE et ANGERS.
Quelques semaines plus tôt, le Conseil de Prud’hommes du MANS avait écarté tout grief d’inconventionnalité de l’article L1235-3 du Code du travail. Néanmoins, ce jugement constituait déjà une faille dans le nouvel édifice législatif construit puisqu’il ouvrait la voie à une indemnisation complémentaire, conditionnée toutefois à la démonstration de l’existence d’un préjudice distinct et réparable sur les bases du droit commun de la responsabilité.
Abstraction faite du jugement du MANS, les motivations juridiques diffèrent mais les jugements concernés concluent tous au caractère inadéquat de l’indemnisation au visa du droit international.
Le Conseil de Prud'hommes de CAEN, en formation de départage, a pour sa part refusé d’écarter l’application du barème dès lors que le caractère non adéquat de l’indemnisation du barème n’était pas établi dans la situation soumise au contrôle du juge.
A contrario, le Conseil de Prud'hommes de CAEN n’exclurait donc pas de l’écarter s’il est démontré un préjudice subi sans rapport avec le barème.
L’objectif de prévisibilité du risque prud’homal est en l’état un échec
Le constat semble parfaitement objectif : à ce jour le barème présenté comme impératif ne peut être considéré qu’indicatif en l’état. C’est du moins une démarche de prudence qui s’impose à tout employeur exposé à une rupture d’un contrat de travail.
Le « la » ne sera donné que lorsque la Cour de cassation et le CEDS se seront respectivement positionnés.
Pour autant, il convient de garder à l’esprit que la Chambre sociale de la Cour de cassation exige depuis 2016 que l’étendue des préjudices allégués soit prouvée.
Plus que jamais, la démonstration du préjudice, pièces à l’appui, est une exigence du débat prud’homal.
Nicolas BEZIAU
Avocat au Barreau de NANTES
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