Attention aux interprétations hâtives : ce que l'arrêt du 22 octobre 2025, sur le compte joint et le contrat de mariage, dit en réalité
Introduction
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 22 octobre 2025 (n° 24-15.501), a cassé partiellement un arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence pour un motif purement procédural : le non-respect du principe du contradictoire.
Pourtant, certains commentateurs y voient une confirmation de l'absence de créance automatique entre époux, pour les apports dans un compte joint, dans le cadre du régime de la séparation de biens.
Cet exemple illustre pourquoi il est essentiel de lire attentivement les arrêts et de ne pas se fier aux interprétations rapides.
Il faut savoir lire les arrêts de la Cour de cassation et connaître les règles de fond d’une question ne suffit pas.
Voici pourquoi.
Les faits et la décision
Contexte : Un couple marié sous le régime de la séparation de biens divorce en 2012.
Lors de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, un litige survient concernant une créance de 263 256 € que l'ex-époux (M. [V]) revendique au titre de paiements effectués pour le compte de l'indivision et d'améliorations apportées à un bien commun.
Décision de la cour d'appel : La cour d'appel d'Aix-en-Provence retient que l'article 4 du contrat de mariage, prévoyant une contribution "au jour le jour" aux charges du mariage, empêche tout compte entre les époux lors de la liquidation.
Pour autant, elle retient la créance, alors que la clause du contrat de mariage devrait l’empêcher, mais il est impossible de connaître le fond du dossier, sans avoir le détail du pourvoi et l’arrêt d’appel, lui-même qui, semble-t-il, n’est pas publié.
Cassation : La Cour de cassation casse cette décision, non pas pour son fond, mais parce que la cour d'appel a soulevé d'office un argument (la clause du contrat de mariage) sans avoir invité les parties à s'expliquer sur ce point, violant ainsi l'article 16 du Code de procédure civile.
Ce que l'arrêt ne dit pas
- Pas de confirmation sur le fond : La Cour de cassation ne se prononce pas sur la validité de la créance ou sur l'interprétation de la clause "au jour le jour".
Elle sanctionne uniquement une erreur (fréquente) de procédure.
- Pas de règle générale sur les comptes joints : Contrairement à ce que certains ont pu suggérer, cet arrêt ne crée pas de jurisprudence sur l'absence de créance automatique pour les apports dans un compte joint.
Il rappelle simplement que les juges doivent respecter le principe du contradictoire.
Pourquoi cet arrêt est mal interprété ?
Un arrêt de cassation n'est pas une décision au fond : La Cour de cassation ne tranche pas le litige ; elle vérifie que les règles de procédure ont été respectées.
Ici, elle renvoie l'affaire devant la cour d'appel de Grenoble pour une nouvelle décision, ce qui est inhabituel car, depuis de nombreuses années, elle renvoyait devant la même Cour autrement composée.
Mais il est possible que le nombre important d’arrêts, rendus par cette chambre, cassés n’encombre les autres chambres de la Cour d’appel.
Le piège des interprétations rapides : Les commentateurs ont parfois tendance à extrapoler à partir d'un arrêt, surtout lorsqu'il concerne un sujet sensible comme les comptes joints et les régimes matrimoniaux.
Or, une cassation pour vice de procédure ne signifie pas que la solution retenue par la cour d'appel était erronée sur le fond.
L'importance du principe du contradictoire : Ce qui est en jeu ici, c'est le droit des parties à être entendues sur tous les arguments, y compris ceux soulevés par le juge.
C'est une garantie essentielle d'un procès équitable.
Les enseignements à retenir
Ne pas confondre cassation et décision au fond : Une cassation peut être purement procédurale et ne pas remettre en cause la solution retenue par les juges du fond.
Lire les arrêts avec précision : Il est crucial de distinguer ce que la Cour de cassation dit explicitement de ce qu'elle ne dit pas.
Ici, elle ne se prononce pas sur la question des comptes joints ou des créances entre époux.
Un notaire est un spécialiste de la liquidation, mais pas de la procédure, d’où l’utilité de travailler en équipe, avec un avocat spécialisé dans le domaine concerné.
La prudence s'impose dans les analyses : Les professionnels du droit doivent éviter de tirer des conclusions hâtives à partir d'un arrêt, surtout lorsqu'il est rendu pour un motif de procédure.
Chaque affaire dépend de son contexte factuel et juridique.
Même un notaire compétent n’est pas un spécialiste de la procédure et chaque professionnel doit connaître ses limites, même si le monde moderne impose célérité et publicité, au détriment d’une réflexion plus profonde.
La justice étant lente, il faut prendre le temps nécessaire pour analyser.
Que faire en pratique ?
- Vérifier les motifs de la cassation : Est-ce une cassation sur le fond ou sur la procédure ?
Dans ce cas, c'est clairement une question de procédure.
- Ne pas généraliser : Un arrêt ne crée pas une règle absolue.
Il s'inscrit dans un contexte précis et doit être analysé en tenant compte des faits et des arguments des parties.
- Consulter un professionnel : En cas de doute sur l'interprétation d'un arrêt, il est toujours préférable de solliciter l'avis d'un avocat spécialisé, en l’occurrence en droit patrimonial de la famille.
Conclusion
Cet arrêt est un rappel utile : la jurisprudence ne se résume pas à une phrase ou à un titre accrocheur.
La prudence et la rigueur sont indispensables pour éviter les interprétations erronées, surtout dans des domaines aussi techniques que le droit des régimes matrimoniaux.
Avant de conclure qu'une règle est établie, il faut examiner attentivement les motifs de la décision et son contexte.

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