La chambre criminelle de la cour de cassation vient de rendre une décision surprenante en matière de stationnement payant (n° 16-65633 du 8 juin 2017).

Le stationnement payant se généralise dans les villes et parfois pour de mauvaises raisons.

En effet, certaines communes instaurent le stationnement payant pour gagner des sous.

Cela va rapporter de l'argent à partir de la mise en œuvre de la réforme de 2018 (loi Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles, Maptam, de janvier 2014) avec de nouveaux moyens : gestion des encaissements par les communes, augmentation des amendes et utilisation de voitures "flasheuses" pour réduire le coût du contrôle.

Mais c'est illégal.

En effet le stationnement payant ne peut se justifier que pour défendre deux objectifs.

Rappel des textes

L'article L 2213-2 du code des collectivités locales prévoit que le maire peut réglementer le stationnement sous deux réserves importantes :

- l'arrêté doit être motivé

- la motivation doit porter sur les "nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement"

La réglementation sur le stationnement porte atteinte à une liberté fondamentale : celle pour tout citoyen d'utiliser l'espace public.

C'est pourquoi, s'il est possible pour une mairie de porter atteinte à cette liberté, c'est sous réserve de faire valoir un intérêt public spécifique, en matière de circulation et de protection de l'environnement. Ces motifs doivent être précisés et détaillés dans l'arrêté.

Assurer la rotation des véhicules

Le stationnement payant doit être justifié par la nécessité d'assurer la rotation des véhicules. Il s'agit d'assurer la répartition de la faculté de stationnement entre le plus grand nombre possibles d'usagers.

Il a déjà été jugé par le Conseil d'Etat que l'instauration du stationnement payant ne peut se justifier que s'il permet de faire face à une difficulté de circulation (CE 26 février 1969 n° 72406 et CE 16 janvier 1976 n° 98148).

La Cour de Cassation a déjà jugé (Cass. crim. 17 juillet 1975 n° 75-90785, bull. crim.1975 n° 188 p. 512) que l'arrêté ne doit pas être motivé autrement que pour "faciliter la rotation des véhicules sur la voie publique et à assurer, sans discrimination, une répartition de la faculté de stationner entre le plus grand nombre d'usagers possibles."

Protéger l'environnement

La Cour de Cassation a déjà jugé également que la motivation ne doit pas se limiter aux difficultés de stationnement mais doit aussi comprendre des objectifs de protection de l'environnement, conformément au texte de l'article L 2213-2.

Est nul, pour défaut de motivation, un arrêté municipal qui limite sa motivation à la seule question des difficultés de stationnement sans prendre en compte les objectifs de protection de l'environnement (Crim., 20 novembre 2012, pourvoi n°12-83.339) :

" (…) que le juge ajoute qu'il en résulte que l'arrêté municipal est motivé au regard des nécessités de la circulation et, par conséquent, est conforme à l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales.

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il y était invité, si l'arrêté municipal litigieux était motivé eu égard aux nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement, alors que le maire tient de l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales le pouvoir de réglementer le stationnement des véhicules, à la condition que sa décision soit motivée à raison de ces considérations, le juge n'a pas justifié sa décision."

Les conditions alternatives violent la lettre et l'esprit du texte

Mais par la décision récente de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 8 juin 2017, dans la mesure où chaque condition poursuit un objectif propre, se suffisant à lui-même, il faut considérer que ces conditions sont alternatives :

"Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 429, 537 & 593 du code de procédure pénale; RA17-6 du code de la route, L. 2213-2 & L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales, défaut de motifs, manque de base légale ;

Attendu qu'il résulte du jugement attaqué que M. Luc X... a été poursuivi devant la juridiction de proximité du chef de stationnement irrégulier en violation d'un arrêté municipal pris par le maire de Rouen le 11 juillet 2013, et a soulevé, avant toute défense au fond, l'illégalité de ce texte servant de base légale aux poursuites, pour défaut de motivation ;

Attendu que, pour rejeter cette exception, le jugement énonce que le maire tient de l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales le pouvoir de réglementer le stationnement des véhicules à la condition que sa décision soit motivée à raison des nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement ; que le juge ajoute que cette disposition ne peut être interprétée comme posant deux conditions cumulatives dans la mesure où chacune d'elles poursuit un objectif propre, se suffisant à lui-même ; qu'en l'espèce, l'arrêté du maire de Rouen du 11 juillet 2013, motivé par les seules nécessités de la circulation, satisfait aux prescriptions de l'article L. 2213-2 précité ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, le juge de proximité a fait une exacte interprétation de l'article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales, dès lors que les conditions d'édiction d'un arrêté de réglementation du stationnement à raison des nécessités de la circulation et de la protection de l'environnement sont alternatives ;"

Cette position de la Cour de cassation n'a pas à ce jour été confirmée par le Conseil d'Etat. Elle est contraire à une précédente décision précitée du 20 novembre 2012.

Cette position est très contestable et il ne fait pas de doute qu'elle ne sera pas retenue par le Conseil d'Etat s'il est saisi sur ce point.

En effet, la préposition "et" placée entre deux conditions signifie en français que les deux conditions sont cumulatives. La notion de "et" alternatif n'existe pas, en tout cas en français.

Ce n'est pas parce que chaque condition poursuit un objectif propre qu'il faut considérer que ces conditions sont alternatives.

C'est donc une interprétation contre la lettre du texte de loi.

Pour faire prévaloir l'esprit sur la lettre, le juge peut uniquement se baser sur l'esprit du texte et sur l'intention du législateur.

Or l'examen des travaux préparatoires de la loi met en évidence que c'est l'interprétation cumulative qui doit être retenue.

C'est ainsi que dans le rapport n° 366 (1995-1996) de M. Philippe FRANÇOIS, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 15 mai 1996 sur la loi (http://www.senat.fr/rap/l95-366/l95-366.html) il est écrit sur le titre IX portant sur les dispositions diverses de la loi (http://www.senat.fr/rap/l95-366/l95-36647.html#toc80) :

"L'article L.2213-2 donne une habilitation générale au maire pour réglementer l'accès à certaines voies, définir les règles d'arrêt et de stationnement des véhicules et réserver des emplacements de stationnement à certaines catégories d'usagers (invalides civils ou de grève). Il est proposé par cet article de préciser que ces règles de circulation et de stationnement sont définies, non seulement eu égard aux nécessités de la circulation mais également en tenant compte de la protection de l'environnement."

L'expression utilisée par le rapporteur "non seulement…mais également" implique une interprétation des conditions comme étant des conditions cumulatives. Elle exclut de considérer ces conditions comme alternatives.

La condition relative à l'environnement a été rajoutée à celle portant sur la circulation des véhicules par l'article 42 de la loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie.

Ce texte a été conçu en vue de favoriser la défense de l'environnement. La modification de l'article L 2213-2 du code général des collectivités territoriales a consisté uniquement à rajouter la condition portant sur l'environnement mais n'avait en aucune façon pour objet de revoir les règles générales de stationnement dans les communes.

L'intention du législateur n'a aucunement été de permettre aux collectivités locales de réglementer le stationnement des véhicules dans le seul but d'améliorer l'environnement alors que la réglementation du stationnement des véhicules porte atteinte à une liberté fondamentale qui est celle d'utiliser l'espace public.

Si les conditions sont alternatives, cela aboutit à considérer que le législateur a autorisé les communes à réglementer le stationnement sur des seules considérations environnementales, sans être tenues de vérifier que la mesure permet la rotation des véhicules.

Une telle position ne serait pas conforme à la position du Conseil d'Etat qui a imposé le respect du principe d'amélioration des conditions de circulation et donc de de rotation des véhicules en stationnement dès 1969, avant même qu'il soit repris dans la loi.

Seul un motif d'intérêt général important peut justifier une atteinte à cette liberté de circulation sur l'espace public et il serait inconstitutionnel de permettre aux communes de porter atteinte à cette liberté sur la base d'un seul motif environnemental.

Par ailleurs et inversement, si les conditions sont alternatives, cela signifie que, par la loi du 30 décembre 1996, le législateur aurait permis aux communes de mettre en place un stationnement payant sur la base du seul motif d'amélioration des conditions de circulation sans qu'il soit nécessaire de prendre des mesures pour améliorer la qualité de l'environnement. Une telle interprétation n'est pas conforme aux objectifs généraux du texte.

Il est vrai que le travail du juge n'est pas facile car il doit essayer de trouver un sens équitable et judicieux à des textes souvent mal rédigés et obscurs.

La question est de savoir si, en pratique, la réglemenatation du stationnement peut être utile, à la fois pour assurer la rotation des véhicules et pour l'environnement.

Selon moi, dans les quartiers où il est difficile de stationner, le fait de faciliter la rotation des véhicules devrait permettre plus facilement à chacun de trouver une place et ainsi de moins "tourner" pour trouver une place, ce qui est polluant. De facto, assurer la rotation des véhicules en stationnement présente en principe un gain pour l'environnement.

Le gain pour l'environnement peut aussi consister à proposer des tarifs réduits ou des places réservées pour les véhicules non polluants. L'idée peut être aussi de donner plus de place sur la chaussée aux modes non polluants de transport, ce qui peut aboutir à réduire les places de stationnement pour les voitures, au profit par exemple des vélos.

Je pense que l'idée de la loi c'est que le stationnement réglementé doit permettre une meilleure rotation des véhicules mais également protéger l'environnement. Quand une commune institue le stationnement payant (ou tout autre régmentation car le stationnement payant n'est pas la seule solution)  elle doit s'assurer que cette atteinte à la liberté d'usage de l'espace public soit réellement utile à la circulation, ce qui implique nécessairement de faciliter la rotation des véhicules en stationnement, et que les mesures prises permettent, aussi, de réduire la pollution.

En conclusion, le juge peut respecter la lettre et l'esprit du texte en retenant que les conditions sont cumulatives.