Je propose d'expliquer dans cette note pourquoi il est faux de prétendre que la condition d'inscription au registre du commerce (RCS) n'est plus une condition d'assujettissement au régime social des travailleurs indépendants pour les loueurs en meublé et, accessoirement, pourquoi il est faux de croire que la suppression (que je conteste) de cette condition aboutirait à rendre tous les loueurs en meublé faisant plus de 23 K€ de recettes assujettis à ce régime.

 

L'abrogation de la condition d'inscription au registre du commerce ne concerne pas le régime social

Le Conseil Constitutionnel a certes abrogé la condition d'inscription au RCS pour le régime fiscal du LMP dans sa décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018.

Mais cette abrogation ne concernait que le régime fiscal du LMP et n'a aucun effet sur le régime social.

Le Conseil Constitutionnel n'a aucunement été saisi sur le régime social et notamment sur l'article L 611-1 du code de la sécurité sociale. Donc il ne peut être considéré qu'il a abrogé, même partiellement, ce régime.

Le Conseil Constitutionnel, à ce jour, n'a pas abrogé la condition d'inscription au RCS qui existe dans l'article L 611-1. Cette condition est donc toujours en vigueur.

Certes, le texte de l'article L 611-1 fait un renvoi direct au texte abrogé mais ce n'est pas parce qu'un texte a été abrogé que le texte qui lui fait un renvoi est abrogé.

Autrement dit, la condition d'inscription au RCS, telle qu'elle figure dans l'article 155 du CGI reste en vie pour les besoins du régime social, dans l'article L 611-1.

Une question subsidiaire serait de savoir si le Conseil Constitutionnel, s'il était saisi, pourrait abroger la condition d'inscription au RCS dans l'article L 611-1, pour les mêmes raisons qu'il l'a abrogée dans le texte fiscal. Or rien n'est moins sûr.

En effet, le Conseil Constitutionnel a abrogé ce texte en matière fiscale pour des raisons liées au motif du législateur en matière fiscale :

"En subordonnant le bénéfice de l'exonération à l'inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a entendu empêcher que des personnes exerçant l'activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient.

Toutefois, l'article L. 123-1 du code de commerce prévoit que seules peuvent être inscrites au registre du commerce et des sociétés les personnes physiques « ayant la qualité de commerçant », laquelle est, en vertu de l'article L. 121-1 du même code, conférée à « ceux qui exercent des actes de commerce … ». Dès lors, en subordonnant le bénéfice de l'exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l'activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l'article L. 110-1 du même code, le législateur ne s'est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé."

En l'espèce, la loi visait à réserver un régime de faveur fiscal à certains contribuables en excluant les loueurs à titre occasionnel.

Mais le régime social n'est pas un régime de faveur. Il s'agit de définir au contraire un champ d'application élargie du régime obligatoire des cotisations sociales en l'étendant à certaines activités.

Dans ces conditions, les motifs d'abrogation qui existaient pour abroger la condition au sens fiscal n'existent pas en matière sociale, en tout cas de manière flagrante

Peu de gens se plaignent de ne pas pouvoir être assujetti au régime des travailleurs indépendants.

Il faudrait imaginer quelqu'un qui aurait été exclu de l'assujettissement au régime des travailleurs indépendants, faute d'être inscrit au RCS, et qui en serait malheureux, au point de faire du contentieux et de soulever l'inconstitutionnalité du texte social devant le Conseil Constitutionnel.

C'est peu probable.

 

A titre accessoire, la suppression de la condition d'inscription au RCS n'aboutirait pas à l'assujettissement de tous les loueurs dépassant 23 K€ de recettes

A supposer que le Conseil Constitutionnel ait abrogé la condition d'inscription au RCS, ce que je conteste, la question serait quelle en serait la conséquence.

Il y a des auteurs éminents qui ont affirmé que la suppression de la condition d'inscription au RCS en matière sociale aboutit à assujettir tous les loueurs en meublé réalisant plus de 23 K€ de recettes.

C'est faux et cela résulte d'une mauvaise analyse juridique.

Pour faire une bonne analyse juridique du texte, il faut d'abord bien le lire, et il faut en plus, soit être un bon juriste, soit lire cette note jusqu'au bout.

Rappel et analyse des textes

Pour comprendre le sujet, il faut d'abord citer les textes concernés par cette histoire et bien les lire :

C'est l'article L 611-1 du code de la sécurité sociale qui fixe les règles :

"Le présent livre s'applique aux personnes suivantes : (…)

6° Les personnes, autres que celles mentionnées au 7° du présent article, exerçant une activité de location de locaux d'habitation meublés dont les recettes sont supérieures au seuil mentionné au 2° du 2 du IV de l'article 155 du code général des impôts, lorsque ces locaux sont loués à une clientèle y effectuant un séjour à la journée, à la semaine ou au mois et n'y élisant pas domicile, sauf option contraire de ces personnes lors de l'affiliation pour relever du régime général dans les conditions prévues au 35° de l'article L. 311-3 du présent code, ou lorsque ces personnes remplissent les conditions mentionnées au 1° du 2 du IV de l'article 155 du code général des impôts ; (…)."

Le 2 du IV de l'article 155 CGI indique :

"2. L'activité de location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel lorsque les trois conditions suivantes sont réunies :

1° Un membre du foyer fiscal au moins est inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;

2° Les recettes annuelles retirées de cette activité par l'ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 € ;

3° Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l'article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l'activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62.

Il faut aussi citer la définition légale des meublés de tourisme telle qu'elle figure à l'article L 324-1-1 du code du tourisme :

"I.-Pour l'application du présent article, les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois."

Cette définition du meublé de tourisme est reprise, presque mot pour mot, dans l'article L 611-1 du code de la sécurité sociale. Il manque juste quelques mots non significatifs (villas, appartements ou studios et clientèle de passage).

C'est une version un peu simplifiée, mais le concept visé est bien celui du meublé de tourisme, même s'il n'y a pas renvoi direct de l'article L 611-1 du code du tourisme.

Par ailleurs, l'article du code de la sécurité sociale renvoie, cette fois en revanche par un renvoi direct, à deux conditions prévues à l'article 155 du CGI.

Ces conditions sont bien connues des fiscalistes car ce sont 2 des 3 conditions qui définissent le régime du loueur en meublé professionnel : la condition des recettes supérieures à 23 K€ et la condition d'inscription au RCS.

Petit exercice de logique

Le texte du 6° de l'article L 611-1 pose deux conditions cumulatives, mais la deuxième condition est elle-même composée de deux conditions alternatives.

Les conditions cumulatives sont celles qu'il faut cumuler : par exemple les gens qui sont méchants et les avocats fiscalistes iront en Enfer. Ceux qui sont seulement méchants ou seulement avocats fiscalistes (comme moi) iront au Paradis.

Les conditions alternatives sont celles qui s'appliquent indifféremment : je serai gros si je mange trop de sucre ou trop d'aliments gras.

Pour les matheux experts en logique, la formule c'est assujettissement si A et (B ou C).

A c'est la première condition, c’est-à-dire le chiffre d'affaires supérieur à 23 K€.

La deuxième condition cumulative c'est (B ou C). C'est donc une condition elle-même constituée de deux conditions alternatives : B ou C

B est la qualité de meublé de tourisme

C c'est l'inscription au RCS.

Si vous supprimez C, la formule devient A et B.

Donc si vous supprimez la condition d'inscription au registre du commerce, pour être assujetti, il faut à la fois faire plus de 23 K€ de recettes et être un meublé de tourisme.

La suppression de la condition d'inscription au RCS n'entraîne donc pas l'assujettissement de tous les loueurs qui font plus de 23 K€ de recettes.

Droit d'option de l'exploitant

Dans ces conditions, une personne qui souhaiterait être assujetti au régime social des indépendants, et qui réalise un chiffre d'affaires supérieur à 23 K€, reste en droit de demander l'assujettissement sur la base du texte encore en vigueur.

Mais, même si la condition d'inscription n'est pas abrogée au plan social, elle n'est plus opposable au loueur en meublé. 

Selon moi l'URSSAF ne peut plus l'opposer aux loueurs en meublé pour exiger leur affiliation. En effet, si un loueur en meublé s'est inscrit au RCS, c'était une erreur de sa part. 

Si l'URSSAF prétendait assujettir un loueur en meublé du fait de son inscription au RCS, ce loueur en meublé pourrait alors faire valoir que la condition d'inscription ne peut être considérée comme un motif légal et constitutionnel d'assujettissement.

Autrement dit, il existe à ce jour une forme d'option pour les loueurs en meublé qui réalisent plus de 23 K€ de chiffre d'affaires et qui ne sont pas des meublés de tourisme : ils peuvent s'inscrire au RCS ou rester inscrits pour relever du régime des indépendants, mais ils peuvent aussi se déinscrire s'ils souhaitent ne plus être affiliés.  

Conclusion pour les courageux qui ont lu la note jusqu'au bout

Je vous avais prévenu, pour bien analyser ce texte, il fallait d'abord remplir la première condition : bien lire le texte. Mais la seule lecture du texte ne suffit pas.

Il fallait aussi remplir la deuxième condition, c’est-à-dire, soit être un bon juriste, soit lire ma note jusqu'au bout.

Si vous n'êtes pas un bon juriste, il restait à lire la note jusqu'au bout. Bravo.

 

Dernière minute au 1 er février 2020 : la condition d'inscription est abrogée dans le texte fiscal du code général des impôts par la loi de finances pour 2020 mais le texte de l'article 611-1 du code de la sécurité sociale n'est pas modifié. Donc ma note reste valable. La condition d'inscription au RCS des loueurs en meublé est inconstitutionnelle mais elle reste opposable. Cela dit il serait temps que les autorités réagissent.

Remarque complétementaire au 17 9 2020

A ce jour toujours pas de réaction du législateur. Mais donc en attendant, selon moi, il doit être possible de considérer que le texte social maintient la condition d'inscription au RCS et s'applique aux meublés commerçants (donc aux parahôteliers autre que les chambres d'hôtes). Les meublés parahôtelliers devraient s'inscrire au régime des indépendants seulement s'ils dépassent 23 K€ et son inscrits au RCS. Mais cette interpréation du texte peut se discuter car il fait échec à la règle de droit commun qui prévoit l'immatriculation de tous les commerçants quel que soit leur chiffre d'affaires.