Dans cette note, je vais expliquer pourquoi le régime DUTREIL pouvait s'appliquer aux loueurs en meublé, du moins jusqu'en janvier 2022.

En principe la location d'immeuble est de nature civile alors que la location de meubles est de nature commerciale. Et la question se pose de savoir si la location d'un immeuble avec des meubles pour se loger est civile ou commerciale.

Pendant longtemps, l'administration a considéré que l'activité de location meublée exercée à titre habituel était de nature commerciale.

C'est d'ailleurs pour cette raison que la location meublée était rattachée au régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

L'administration considérait seulement que l'activité de location meublée exercée à titre occasionnel n'était pas de nature commerciale et relevait du régime des revenus fonciers.

L'administration avait admis que les activités de location meublée puissent bénéficier des régimes de faveur réservés aux activités de nature commerciale au sens du droit privé. C'était le cas notamment pour le régime DUTREIL permettant de bénéficier d'un abattement de 75 %.

Le régime du loueur en meublé professionnel (LMP) avait prévu comme condition l'inscription obligatoire au registre du commerce et des sociétés (RCS), ce qui était cohérent avec l'idée que la location meublée exercée à titre habituel était de nature commerciale.

Mais plusieurs évènements sont venus modifier cette situation.

D'abord, certains auteurs ont fait valoir que l'activité de location meublée, même exercée à titre habituel, devait plutôt être considérée comme étant une activité de nature civile, en invoquant des jurisprudences très anciennes (notamment une du 30 avril 1862). Selon moi ces jurisprudences sont trop anciennes pour être vraiment pertinentes car depuis 1862 l'activité de location meublée a pris de nouvelles formes avec le meublé touristique, le coliving, les résidences étudiantes, etc.

Pour éviter toute discussion sur le rattachement au régime des BIC, une première réforme est intervenue en 2017 pour prévoir le rattachement systématique au régime des BIC de toute activité de location meublée, même occasionnelle.

Ensuite, le 8 février 2018, après le recours d'un fonctionnaire qui n'avait pas pu obtenir le régime du LMP en l'absence d'inscription possible au RCS, le Conseil Constitutionnel a abrogé la condition d'inscription au RCS des LMP, en considérant qu'il était anormal d'exiger une condition d'inscription au RCS à un exploitant exerçant une activité civile. De facto, le Conseil Constitutionnel a pris position pour considérer que l'activité de location meublée était plutôt de nature civile.

Le Conseil Constitutionnel n'a pas prétendu que l'activité de location meublée était nécessairement toujours de nature civile. Il a juste relevé qu'elle pouvait être de nature civile et qu'il était donc inconstitutionnel d'exiger, de façon générale, une condition d'inscription au RCS, par principe réservée aux commerçants.

Le texte fiscal a été abrogé dans la loi de finances pour 2020, avec effet au 1er janvier 2020. Donc depuis le 1er janvier 2020, il n'y a plus de condition d'inscription au RCS pour les LMP.

Et logiquement, l'administration a corrigé sa doctrine : elle considère depuis janvier 2022 que la location meublée étant une activité de nature civile de gestion de patrimoine, elle n'est plus éligible au DUTREIL.

La question de savoir si l'activité de location meublée est de nature civile ou commerciale n'a pas encore été tranchée sérieusement par la Cour de Cassation qui, selon moi, devrait être la seule à avoir le dernier mot sur cette question. Les décisions sur ce point sont trop anciennes pour être selon moi vraiment significatives.

Justement, en cas de litige sur le régime DUTREIL, ce sont les juges de l'ordre judiciaire qui fixent la règle, et en dernier lieu la Cour de Cassation.

Que dira la Cour de cassation sur la question de la nature civile ou commerciale de la location meublée ?

La Cour de cassation refusera selon moi de prendre une position générale. Elle dira sans doute : "ça dépend."

La parahôtellerie, telle qu'elle est définie par la doctrine fiscale (3 services sur 4 au sens de l'article 261 D-4° du CGI), est sans aucun doute de nature commerciale. 

D'ailleurs, selon moi, même s'il n'y a pas tous les services prévus par la doctrine fiscale, le meublé touristique de courte durée présente toujours un caractère commercial, à cause de l'importance des services fournis, et ne serait-ce que l'accueil. Il s'agit plus d'un service de fourniture de logement que d'une location d'immeuble.

Et même en cas de location meublée longue durée pour la résidence principale du locataire, il faut considérer selon moi que, depuis 2014, l'activité présente un caractère commercial, compte tenu du nombre de meubles imposés par la réglementation. 

La loi ALUR du 24 mars 2014 a étendu le champ d’application de la loi du 6 juillet 1989 portant réglementation des baux d’habitation à la location meublée. Elle en donne une définition à son article 25-4 : il s’agit d’un : logement décent équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisants pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante.  Ces meubles obligatoires sont listés par le décret n° 2015-981 du 31 juillet 2015.

Cette liste prévoit non seulement le lit, la table et les chaises, mais aussi des meubles de rangement, des rideaux, une cuisine équipée avec un four, une plaque de cuisson, un frigidaire et un congélateur.

Il faut même joindre les couverts, les casseroles, le balai ou l'aspirateur. 

Vous entrez dans l'appartement sans rien d'autre que votre brosse à dent et du linge de maison, et vous pouvez y vivre.

Et bien sûr tous ces meubles doivent être maintenus en bon état par le bailleur. En pratique, cela peut imposer de nombreuses diligences du bailleur qui doit régulièrement intervenir pour garantir la qualité de l'ameublement. Si l'aspirateur ou le four tombe en panne il faut le remplacer.

Il s'agit donc selon moi d'une prestation d'hébergement de nature commerciale, et non d'une simple opération civile de location d'immeuble.

La loi ALUR a rendu commerciale la location meublée à usage de résidence principale. 

Mais ce point reste incertain et la Cour de Cassation, si elle était saisie, aura du mal à reprendre cette position qui transformerait en commerçant tous ceux, et ils sont de plus en en plus nombreux, qui louent des habitations en location meublée longue durée.

Mais pour revenir au régime DUTREIL, l'administration fiscale n'est pas en droit selon moi de remettre en cause la commercialité d'un LMP avant 2020 et l'abrogation officielle de la condition d'inscription au RCS.

En effet, avant 2020, le LMP devait être inscrit au RCS, en application de la loi.

Or l'inscription au RCS est réservée aux commerçants.

La loi fiscale avait ainsi de facto créé un nouveau type de commerçant : le LMP s'inscrivant en cette qualité au RCS.

Certains greffes refusaient cette inscription. Mais selon moi ils violaient la loi qui la rendait possible pour tous les meublés "professionnels".

La loi peut créer un nouveau type de commerçant. Peu importe que la loi en question soit une loi fiscale. Cela reste une loi qui s'impose à tous, y-compris aux tribunaux de commerce.

Pour comprendre une décision du Conseil Constitutionnel, il est utile de lire le commentaire officiel de la décision publié sur le site Internet du Conseil Constitutionnel. En effet, il y a lieu de penser que l'auteur du commentaire est le même juriste qui a préparé la décision.

Dans le commentaire officiel de la décision du 18 février 2018, figure une remarque assez étonnante :

"Le raisonnement ainsi suivi par le Conseil constitutionnel ne priverait pas le législateur de la possibilité, s'il le souhaitait, de modifier les dispositions dont il s'agit afin de subordonner la qualité de loueur en meublé professionnel à un condition permettant d'officialiser l'activité en cause, afin de la distinguer notamment de la simple gestion ponctuelle du patrimoine personnel d'un loueur occasionnel. A cette fin, le législateur pourrait par exemple modifier les règles d'inscription au RCS, en élargissant celles-ci aux professionnels de la location en meublé, ou encore en retenant un tout autre critère permettant d'établir le caractère régulier et continue de l'activité exercée".

Cette remarque est d'abord curieuse car on ne voit pas très bien en quoi la constitutionnalité d'une règle serait dépendante de son positionnement légal. Le fait d'obliger les loueurs en meublé à s'inscrire au RCS est inconstitutionnelle lorsqu'elle est prévue par le code générale des impôts, mais elle deviendrait valide si elle était prévue dans le code de commerce. 

Il est curieux que ce soit le Conseil Constitutionnel lui-même qui suggère au législateur une technique de contournement de la Constitution !

Et pourquoi se donner la peine de déclarer inconstitutionnelle une règle, si c'est pour ensuite proposer un moyen de la restaurer à l'identique !

Mais cette remarque est surtout intéressante par le fait qu'elle aborde incidemment  une question centrale : rien n'interdit en principe au législateur de fixer lui-même la liste des activités commerciales, et donc des commerçants. Et  c'est de facto ce qu'il avait déjà fait en imposant aux loueurs en meublé professionnels l'obligation de s'inscrire au RCS.

Certes, cette mesure était techniquement très contestable. La loi fiscale ne doit pas, pour accorder un régime de faveur, se baser sur des critères juridiques douteux, et encore moins modifier le droit commercial. Il fallait s'en tenir à des règles objectives, ce qui est maintenant le cas.

Il n'en demeure pas moins que, jusqu'à son abrogation, la loi fiscale a bel et bien créé un nouveau type de commerçant : le loueur en meublé professionnel.

Ainsi, tous les LMP inscrits au RCS en qualité de loueur en meublé professionnel avaient selon moi nécessairement la qualité de commerçant, du moins avant 2020. Et donc les services fiscaux ne peuvent pas remettre en cause cette commercialité pour éventuellement remettre en cause l'application du régime DUTREIL.

Après 2020, la doctrine administrative prévoyait toujours, sur renvoi, que la location meublée devait être considérée comme étant de nature commerciale.

Il s'agissait d'un renvoi à la doctrine administrative sur l'ISF. Or suite à la suppression de l'ISF en 2018, la doctrine administrative sur l'ISF avait été abrogée le 11 octobre 2018.

Dans certains dossiers, l'administration invoque l'abrogation de la doctrine ISF pour considérer que la doctrine DUTREIL y faisant renvoi était aussi automatiquement abrogée.

C'est faux, la dotrine DUTREIL n'avait pas été formellement supprimée, et le renvoi à la doctrine ISF existait toujours.

Selon moi, le renvoi à un texte abrogé n'abroge pas nécessairement le renvoi et, d'une certaine manière, un texte abrogé survit nécessairement pour les besoins du texte qui le cite, sauf à démontrer que le renvoi impliquait nécessairement, au cas d'espèce, que le texte auquel il était renvoyé devait encore être en vigueur pour que le renvoi reste valide.

Selon moi, la doctrine du régime DUTREIL qui donnait une définition de la commercialité par renvoi au régime ISF, restait en vigueur même après la suppression de l'ISF, car il  s'agissait seulement d'une définition générale de la commercialité, sans rapport direct avec le régime ISF. Cette définition ne devait pas son existence à l'existence de l'ISF. Il s'agissait d'ailleurs d'une définition juridique et non strictement fiscal.

Il en irait autrement si la doctrine en matière de DUTREIL avait par exemple admis une tolérance au profit de certains contribuables au motif qu'ils payaient déjà l'ISF. L'ISF disparaissant, la tolérance doit logiquement disparaître. Dans cet exemple hypothétique, le renvoi est abrogé par l'abrogation du texte auquel il renvoie car la validité du renvoi est conditionnée par l'existence du texte abrogé.

Tel n'est pas le cas d'une doctrine qui renvoie à une définition générale de la commercialité.

En tout cas depuis janvier 2022, il n'est plus possible d'invoquer cette doctrine et le régime DUTREIL est réservé aux entreprises commerciales (outre les entreprises agricoles et libérales).

Il faut donc être commerçant au sens de la réalisation effective d'actes de commerce et la question de la nature commerciale ou civile de l'activité de location meublée se pose donc avec plus d'acuité.

Dernière minute : la cour de cassation semble admettre l'éligibilite au DUTREIL de toute activité BIC, même non commerciale au sens du droit privé. Ce point reste à confirmer au jour de cet ajout (23 juin 2023)  Voir la décision du 1er juin 2023