1.

Le maire de la commune de Lucciana (Haute-Corse) avait accordé par arrêté du 3 décembre 2018 un permis de construire à une société, en vue d’édifier douze bâtiments comprenant cent vingt logements sur un terrain d'une superficie de 17.220 m2 rangé en zone UBb du PLU et situé au lieu-dit « Pietrabiu ».

Cette décision ne fût pas du goût du Préfet de la Haute-Corse qui l’a déférée au Tribunal administratif de Bastia.

Son déféré était accompagné d’une demande de suspension en urgence, déposée sur le fondement de l’article L. 2131-6 du Code générale des collectivités territoriales.

Le juge des référés du tribunal administratif de Bastia y a fait droit au motif que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 dite loi ELAN était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire.

La société bénéficiaire du permis de construire a fait appel de cette ordonnance devant les juges des référés de la cour administrative d’appel de Marseille (sur l’appel V. CE 08 février 2017 n° 402417, Publié au recueil Lebon).

2.

Dans son ordonnance du 16 septembre 2019, ici commentée, le juge des référés de la cour administrative d’appel de Marseille a entériné l’ordonnance du tribunal de Bastia et, par voie de conséquence, la suspension du permis de construire du 3 décembre 2018.

Cette ordonnance constitue la première référence à l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme tel qu’issu de la loi ELAN, par le site Légifrance.

Aux termes de l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme : « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. / Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs. (...) ».

Le juge des référés de la cour de Marseille a estimé qu’il « résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En outre, dans les secteurs déjà urbanisés ne constituant pas des agglomérations ou des villages, des constructions peuvent être autorisées en dehors de la bande littorale des cent mètres et des espaces proches du rivage dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 121-8, sous réserve que ces secteurs sont identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme. Pour l'application de ces dernières dispositions, l'article 42 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique prévoit dans son paragraphe IV que dans les communes de la collectivité de Corse n'appartenant pas au périmètre d'un schéma de cohérence territoriale en vigueur, le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse peut se substituer à ce schéma. Enfin, dans ces secteurs urbanisés non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d'urbanisme en l'absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la loi du 23 novembre 2018, l'article 42 de cette loi prévoit en son paragraphe III que dans une période transitoire allant jusqu'au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites ».

La société appelante avait demandé à bénéficier de ce second alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme relatif aux secteurs déjà urbanisés, dans l’hypothèse où le juge des référés estimait que le projet n’était pas en continuité avec une agglomération ou un village.

3.

En outre en l’espèce, les dispositions de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme devaient être interprétées à travers le prisme du PADDUC.

En effet d’après le juge des référés, « le PADDUC rappelle le régime de l'extension de l'urbanisation prévu par l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme et définit les critères et indicateurs constituant un faisceau d'indices de nature à permettre d'identifier et de délimiter les agglomérations et villages en Corse. A cet effet, le PADDUC prévoit que, dans le contexte géographique, urbain et socioéconomique de la Corse, une agglomération est identifiée selon des critères tenant au caractère permanent du lieu de vie qu'il constitue, à l'importance et à la densité significative de l'espace considéré et à la fonction structurante qu'il joue à l'échelle de la micro-région ou de l'armature urbaine insulaire. Pour le village, celui-ci est identifié selon des critères tenant à la trame et la morphologie urbaine, aux indices de vie sociale dans l'espace considéré et au caractère stratégique de celui-ci pour l'organisation et le développement de la commune. Le PADDUC prévoit en outre la possibilité de permettre le renforcement et la structuration, sans extension de l'urbanisation, des espaces urbanisés qui ne constituent ni une agglomération ni un village ainsi caractérisés, sous réserve qu'ils soient identifiés et délimités dans les documents d'urbanisme locaux. L'ensemble de ces prescriptions qui apportent des précisions au sens des dispositions du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales et qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral sont applicables ».

4.

S’agissant de la question de savoir si la parcelle à urbaniser était en continuité avec une agglomération ou village, il ressort de l’ordonnance commentée que d’après le juge des référés : « le terrain d'assiette du projet qui se trouve au nord longé par l'ancienne RD 507 dite route de l'aéroport et à l'est bordé par un ensemble assez important de parcelles naturelles, ne peut être regardé, en dépit de la présence à proximité d'une vingtaine de constructions sur les autres côtés, ni comme étant une agglomération ou un village existant ni comme se situant en continuité d'une agglomération ou d'un village existant. La circonstance que ce terrain soit classé en zone UBb du PLU de la commune, défini comme le secteur marquant les extensions de Crucetta le long de l'aéroport et le long du boulevard urbain de l'ancienne RN193 ne peut suffire à lui conférer la qualité d'espace urbanisé ».

Le juge des référés s’est également prononcé sur la question de savoir si la parcelle pouvait être considérée comme dans un « espace urbanisé » au sens du PADDUC.

A ce titre, d’après le juge : « les caractéristiques de ce secteur ne permettent pas davantage au sens des dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral telles que précisées par le PADDUC de les regarder comme un espace urbanisé. Là également, la circonstance, à la supposer même vraie, que le secteur soit identifié par le PADDUC comme une tâche urbaine demeure sans incidence sur la qualification, le livret III du PADDUC précisant que cette modélisation " n'a aucune portée juridique et ne saurait être confondue avec l'espace urbanisé ».

Par suite, d’après le juge des référés, comme décidé par le premier juge et en l'état de l'instruction, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme telles que précisées par le PADDUC paraît de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire en date du 3 décembre 2018.

5.

Il ressort de cette ordonnance, que si le juge des référés ne se réfère pas directement à la notion de secteur déjà urbanisé du second alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, il le fait implicitement lorsqu’il apprécie la qualification d’espace urbanisé au sens du PADDUC.

Il reste qu’en l’espèce il était peu vraisemblable que la société appelante puisse bénéficier du second alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme car, d’une part, le projet conduisait à l’évidence par son ampleur à étendre le périmètre du bâti, et d’autre part, l’accord du Préfet était en l’espèce inenvisageable dès lors que c’est lui qui avait déféré le permis litigieux aux juridictions administratives.