La loi Littoral coûte, une nouvelle fois, très cher à la commune de Porto-Vecchio (Voir notre article sur une précédente condamnation de la ville « Loi Littoral et terrain inconstructible – condamnation de Porto-Vecchio à 736.000 euros »).
Les faits d’espèce ici sont assez classiques dans ce type de contentieux.
Le 09 août 2012, une société immobilière s’était vue délivrer par le maire un certificat d’urbanisme pré-opérationnel positif déclarant réalisable la construction d’une maison dans le lotissement « Parc des Iles ».
En 2013, le maire avait octroyé un permis de construire pour une maison et une piscine sur le même terrain à une nouvelle société, laquelle en est devenue propriétaire le mois suivant.
En 2017, la société souhaitait transférer le permis de construire à un futur propriétaire mais le maire s’y est opposé au motif que le permis de construire était caduc.
L’intéressé a alors demandé au maire un nouveau permis de construire, mais cette demande a été rejetée par le maire au motif qu’il méconnaissait la loi Littoral et plus spécifiquement l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.
Le terrain est inconstructible car il ne respecte pas cet article selon lequel « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. ».
Le 09 avril 2021, la société immobilière a déposé un recours indemnitaire préalable à la commune, qui l’a rejeté par une décision du 02 juin 2021.
La société immobilière a alors demandé alors au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Porto-Vecchio à l’indemniser des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de la délivrance du certificat d’urbanisme du 09 août 2012 illégal.
Le Tribunal relève une faute de la commune dans l’application de la loi Littoral de nature à engager sa responsabilité (I./), sans que celle-ci puisse être diminuée (II./) et indemnise donc plusieurs préjudices subis par l’intéressée (III./).
I./ Sur la responsabilité de la commune
Selon une jurisprudence administrative constante : « toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain » (CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil)
Les communes doivent faire exacte application de la loi Littoral.
La jurisprudence administrative est venue préciser l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme : « des constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions » Conseil d’Etat, 09/11/2015, Commune de Porto-Vecchio, n°372531.
En l’espèce, le tribunal relève que le secteur où se situe le terrain, « est composé d'un habitat épars qui ne saurait être regardé comme constituant un village ou une agglomération ».
En conséquence, les juges estiment que le certificat d’urbanisme délivré par le maire le 09 août 2012 est entaché d’illégalité de nature à engager la responsabilité de la commune (V. pour un autre exemple de condamnation notre article « Terrain inconstructible et loi Littoral – condamnation de Guissény à verser plus de 145 000 euros »).
II./ Sur la diminution de la responsabilité de la commune
Pour tenter d’échapper à la condamnation à l’indemnisation de tous les préjudices subis par la société, la commune a invoqué le durcissement de l’interprétation de la loi Littoral depuis la loi ELAN de 2018 et la qualité de professionnelle de l’immobilier de la victime.
Les deux moyens sont écartés par les juges.
Précisément, le fait que la société, professionnelle de l’immobilier, n’ait pas mis en œuvre le permis de construire illégal délivré de 2013 « n’est pas constitutive d’une imprudence et ne saurait atténuer la responsabilité de la commune ».
Il est intéressant de noter que le tribunal reconnaît que la société requérante est ici une professionnelle de l’immobilier, en effet son activité principal est la promotion immobilière sur biens propres », mais que pour autant, aucune faute de la victime ne venant réduire son préjudice n’est admise.
Cette jurisprudence est donc très favorable aux victimes des mauvaises applications de la loi Littoral.
La responsabilité de la commune est donc ici pleine et entière.
III./ Sur les préjudices indemnisables
Les préjudices invoqués sont indemnisables s’ils ont un lien direct et certain avec la faute commise par la commune.
Les juges vont tout d’abord indemniser le préjudice financier lié à la perte de valeur vénale du terrain à hauteur de 347.000 euros.
Pour cela, ils se sont basés sur une estimation fournie par la commune et ensuite plus généralement sur le prix des terrains non constructibles dans le secteur et en fixant ainsi le prix à 82.600 euros.
Ce montant fixe à près de 32 euros le prix du mètre carré pour un terrain inconstructible dans la région, ce qui est très élevé.
L’estimation du prix au mètre carré pour un terrain inconstructible est très incertaine
Un mètre carré de terrain inconstructible dans une commune littorale peut aller de 0,50 euros (Voir en ce sens notre article « Terrain inconstructible et loi Littoral - condamnation de Meschers-sur-Gironde ») à 15 euros (Voir en ce sens notre article «Loi Littoral et action en responsabilité, condamnation de Locmaria-Plouzané à plus de 200.000 euros »).
Ce montant de 32 euros par mètre carré semble être très élevé.
Il faut donc apporter des preuves solides du prix le plus proche de la réalité pour obtenir l’indemnisation la plus adéquate.
Ensuite, le tribunal a également fait droit à l’indemnisation des préjudices liés au paiement des frais de géomètre exposé en 2012 (1.800 euros), au paiement des charges de copropriété (16.007,79 euros) et de la taxe foncière (16.000 euros).
En revanche, les juges ont écarté l’indemnisation des préjudices liés aux frais d’agence et au préjudice moral, faute de justificatif.
Plus surprenant, le tribunal n’a pas admis l’indemnisation des frais d’architecte, de maitrise d’œuvre et de graphisme.
En effet, c’est manifestement parce que la pétitionnaire pensait son terrain constructible, en vertu des informations données par la commune, qu’elle a dépensé ces frais, malheureusement en pure perte.
Généralement, ce préjudice est retenu (V. toujours à Porto-Vecchio CAA de MARSEILLE, 5ème chambre, 02/05/2022, 21MA00404, Inédit au recueil Lebon)
Enfin, les juges corses ont écarté l’appel en garantie formé par la commune contre l’Etat, dans la mesure où les préjudices relèvent exclusivement du certificat d’urbanisme illégal délivré par la mairie en 2012 et non de l’avis conforme du Préfet donné par la suite pour le permis de construire.
Le tribunal a alors condamné la commune au versement de la somme de 381.201,79 euros suite à sa mauvaise application de la loi Littoral.
Une fois de plus, cette jurisprudence témoigne du fait que les juges n’hésitent pas à sanctionner les communes ayant fait de mauvaises application de la loi Littoral (V. sur ce point notre article "Illégalité du PLU de Bonifacio et loi Littoral : comment être indemnisé ?")
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