La cour administrative d’appel de Nantes vient, une nouvelle fois, de condamner une commune littorale bretonne à de substantiels dommages et intérêts du fait de sa mauvaise application de la loi Littoral.

Les faits à l’origine de cette jurisprudence sont on ne peut plus classiques.

Des particuliers avaient acheté en 2007 un terrain à bâtir dans le lieudit Trérohant sur la commune de Guissény. Ils le pensaient alors constructible grâce à un certificat d’urbanisme opérationnel indiquant qu’une opération de construction y était réalisable.

Après avoir obtenu plusieurs décisions d’urbanisme favorables, ils ont déposé en 2017 des demandes de permis de construire qui ont cette fois été rejetées en raison de l’application de la loi Littoral et de son principe d’interdiction de toute urbanisation en dehors des espaces urbanisés de la bande de cent mètres, prévu à l’article L. 121-16 du Code de l’urbanisme.

Les intéressés ont alors demandé aux juges administratifs rennais d’annuler ces refus de permis de construire et à défaut de condamner la commune à l’indemniser de leurs préjudices.

Par un jugement du 3 juillet 2020, le tribunal a condamné la commune de Guissény à leur verser la somme de 144 019,20 euros et a rejeté leurs conclusions d’annulation.

La commune a alors décidé de faire appel.

 

1/. Sur le principe de la responsabilité de la commune de Guissény

 

A/. Sur la faute de la commune de Guissény

 

Selon la jurisprudence administrative : « toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain » (CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil)

Le Conseil d’État a alors admis qu’une commune, déclarant constructible un terrain dans son document d’urbanisme ou dans le cadre d’une décision/note d’urbanisme, alors qu’en application des principes de l’article L. 121-16 précité tel n’aurait pas dû être le cas, commet une faute de nature à engager sa responsabilité administrative.

Le raisonnement est alors le même lorsque le terrain est en réalité inconstructible en vertu de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme. 

En effet, selon une décision du 08 avril 2015 : « après qu'une commune a classé un terrain en zone constructible par une délibération contraire à l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme (loi littoral), ce terrain a été acquis par une personne qui a obtenu un permis de construire. Annulation du permis de construire pour avoir été accordé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ,,La cour administrative d'appel a jugé que l'acquéreur avait, lors de l'acquisition des parcelles, une assurance suffisante, donnée par la commune et par l'Etat, de leur constructibilité tant au regard du plan d'occupation des sols que de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme et que le préjudice résultant pour la société de la différence entre le prix d'acquisition des terrains et leur valeur réelle trouvait son origine directe non dans les actes de cession de ces terrains, mais dans la modification illégale du plan d'occupation des sols de la commune. En retenant ainsi l'existence d'un lien de causalité directe entre les illégalités commises par l'administration et le préjudice subi par l'acquéreur (…), la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis » (CE 08 avril 2015 Ministre de l’égalité des territoires et du logement n° 367167, mentionné dans les tables sur ce point voir également CAA Nantes 31 mars 2021 Commune de Moëlan-sur-Mer n° 19NT04719).

En l’espèce, les juges administratifs d’appel de Nantes relèvent que « c'est par une inexacte application des dispositions précitées du code de l'urbanisme que la commune de Guissény a délivré aux intéressés le 26 juillet 2007 un certificat d'urbanisme opérationnel déclarant partiellement constructible les terrains que M. D... et Mme B... souhaitaient acquérir. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Guissény à l'égard de M. D... et Mme B.... Ces derniers peuvent, dès lors, prétendre à la réparation des conséquences dommageables de cette illégalité fautive, sous réserve de justifier d'un préjudice direct et certain ».

Il importe de préciser que cette jurisprudence a été rendue à propos d’un certificat d’urbanisme pré-opérationnel.

La solution n’aurait pas nécessairement été différente en cas de certificat d’urbanisme d’informations dès lors que le Conseil d’Etat admet, conformément aux principes de la jurisprudence de Section Ponard obligeant une personne publique à ne pas appliquer un règlement illégal (CE Avis du 09 mai 2005 Marangio n° 277280, publié au recueil Lebon sur ce point, qu’une : « Cour administrative d'appel ayant relevé que le terrain litigieux avait été illégalement classé pour partie en zone UEb par le plan local d'urbanisme (PLU), alors que, situé dans la bande des cent mètres à partir du rivage, il ne pouvait être regardé comme un espace urbanisé au sens du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme.... ...Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré par le maire, qui faisait mention de ce classement, alors même que le certificat, délivré sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, avait vocation non à préciser si le terrain pouvait être utilisé pour la réalisation d'une opération particulière mais seulement à indiquer les dispositions d'urbanisme applicables au terrain, ainsi que les limitations administratives au droit de propriété, le régime des taxes et participations d'urbanisme et l'état des équipements publics existants ou prévus » (CE 18 février 2019 Commune de l’Houmeau n° 41zzaq4233, mentionné dans les Tables).

 

B/. Sur les fautes de la victime

 

Pour tenter d’échapper à sa responsabilité, la commune de Guissény avait alors soulevé plusieurs fautes de la victime.

Aucune n’a été retenue par les juges administratifs d’appel nantais.

D'une part, les magistrats ont estimé que les acquéreurs n’avaient pas commis une imprudence en s'abstenant de réaliser les projets de construction autorisés en 2009 et en 2015, lesquels auraient au demeurant méconnu la loi Littoral.

D'autre part, les intéressés n’avaient commis aucune imprudence en signant, le 6 avril 2007, une promesse de vente des parcelles concernées, dès lors notamment que cet accord comportait une condition suspensive tenant à la délivrance du certificat d'urbanisme, autorisant la construction de trois maisons, dont la délivrance constitue le fait générateur de la responsabilité de la commune de Guissény.

 

2/. Sur les préjudices retenus

 

Conformément à la jurisprudence administrative en la matière : « Il résulte de l'instruction que M. et Mme B... ont acquis les parcelles cadastrées section CD nos 566 et 567 par actes notariés du 29 août 2007, auxquels étaient annexé le certificat d'urbanisme positif du 31 juillet 2007. Il existe ainsi un lien de causalité direct entre les renseignements d'urbanisme erronés figurant dans ce certificat d'urbanisme, auquel M. et Mme B... ont pu se fier sans commettre d'imprudence dès lors qu'ils n'étaient pas des professionnels de l'immobilier, et le dommage subi par eux tiré de ce qu'ils ont acheté des terrains en les croyant, à tort, constructibles » (CAA Nantes 24 novembre 2020 n° 19NT02608).

 

A/. Sur la perte de valeur vénale du terrain

 

Les requérants avaient acquis leur terrain, d'une superficie de 4 665 m², au prix de 135 000 euros.

En tenant compte du barème indicatif de la valeur vénale moyenne des terres agricoles en 2017 dans le Finistère, pour la pénéplaine bretonne nord, le Cour a retenu une valeur vénale de 5 610 euros par hectare.

Dans ces conditions les juges ont fait une juste appréciation de la valeur vénale des parcelles à hauteur de 2 612,40 euros.

Par suite, le préjudice financier subi par les intéressés, en raison de la différence entre le prix d'achat et le prix réel du terrain, lequel est directement en lien avec les fautes commises par la commune de Guissény, a pu être évalué à la somme de 132 387, 60 euros.

 

B/. Sur les frais engagés pour l’acquisition du terrain

 

Les requérants avaient déboursé la somme de 9 600 euros au titre des frais d'acquisition, lesquels incluent les honoraires du notaire et les frais d'enregistrement.

Les magistrats ont alors admis que l’intégralité de cette somme devait être remboursée.

Le préjudice retenu est alors intéressant puisque ce ne sont pas les frais de notaire payés en trop mais bien l’intégralité des frais d’acquisition qui ont été mis à la charge de la commune.

 

C/. Sur les taxes foncières

 

En l’espèce, une partie des taxes foncières payées en trop a été mis à la charge de la commune en cause.

En effet, selon la Cour « La circonstance invoquée par la commune que les taxes foncières sont calculées sur la valeur du terrain conformément aux règles fiscales en vigueur ne fait pas obstacle à ce que soient indemnisées ces dépenses, qui n'auraient pas été exposées si les requérants avaient été informés de l'absence de constructibilité de leur terrain. Toutefois, M. D... et Mme B... ne justifient avoir engagés de tels frais qu'à hauteur de 208 euros. Par suite, le préjudice financier subi par les intéressés en raison des taxes foncières qu'ils ont acquittées doit être limité à cette somme ». 

 

D/. Sur les frais divers d’étude (architecte, étude d’assainissement individuel…)

 

Les requérants avaient acquitté des frais d'étude pour le projet d'assainissement individuel ainsi que des frais de constitution de dossiers de demandes de permis de construire.

Dès lors que ces dépenses sont en lien avec la faute commise par la commune, ce préjudice financier subi par les intéressés au titre des frais divers d'étude peut être mis à la charge de la commune fautive.

 

E/. Sur le préjudice moral

 

Enfin, les juges administratifs ont admis qu’un préjudice moral de 1.000 euros soit mis à la charge de la commune de Guissény.

Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Guissény a été condamnée à une indemnisation à hauteur de 145 553, 20 euros en réparation des préjudices qu'elle a causé du fait de sa mauvaise application de la loi Littoral.

 

Au final et comme il est possible de le constater, les juridictions administratives condamnent fréquemment les communes ayant fait une mauvaise application de la loi Littoral.

Le recours à un avocat pour exercer une telle action indemnitaire peut alors permettre d’assurer une meilleure indemnisation de ses préjudices.