Les faits d’espèce sont plutôt classiques dans ce genre de litige relatif à la loi Littoral.
Le requérant est devenu propriétaire de deux parcelles sur le lieudit de Cardelan à Baden à la suite d’une donation-partage réalisée en 1997.
Préalablement à cette donation partage, des renseignements avaient été demandés à la commune de Baden sur la constructibilité des terrains en vue de les diviser en deux lots à bâtir.
En 1996, la commune avait alors délivré deux certificats d’urbanisme opérationnels positifs, déclarant les parcelles constructibles.
Ces certificats avaient pour objet de « fournir une assurance sur la constructibilité des terrains, objets de la donation-partage entre les quatre héritiers de la mère du requérant ».
Les certificats ne mentionnaient cependant pas l’applicabilité de la Loi Littoral et son influence sur la constructibilité des parcelles. Ils rappelaient seulement le classement en zones constructibles UBa et Ube des terrains.
En 2016, l’héritier en cause a fait une demande de permis de construire, qui a été acceptée par la commune.
Mais en 2019, à la demande d’un tiers, le tribunal administratif de Rennes a annulé ce permis sur le fondement de la méconnaissance de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme lequel dispose que « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. ».
L’intéressé a alors demandé une indemnisation des préjudices causés directement par les fautes de la commune dans le classement des parcelles en zone constructible puis des deux certificats d’urbanisme illégaux.
La demande d’indemnisation était de 153 070,99 euros.
Si le Tribunal a fait droit à cette demande, le préjudice indemnisé est lui beaucoup plus faible, puisque seulement de 8 000 euros.
La jurisprudence admet fréquemment que les communes commettant des fautes dans l’application de la loi Littoral soient condamnées à des dommages et intérêts (I/.) L’arrêt est ici intéressant s’agissant de la notion de professionnel de l’immobilier (II/.) et des préjudices indemnisables (III/.).
I/. Sur la responsabilité de la commune
Selon une jurisprudence administrative constante : « toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain » (CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil)
Très fréquemment, la jurisprudence retient la responsabilité de la commune dans des situations similaires à celle de cette jurisprudence (voir par exemple notre article « Terrain inconstructible et loi Littoral - condamnation de Guissény à verser plus de 145 000 euros »)
En l’espèce, le tribunal relève des fautes commises par la commune de nature à engager sa responsabilité.
D’une part, les juges ont constaté une omission fautive du fait de l’absence de mention de l’application de la loi Littoral dans les deux certificats d’urbanisme, comme la jurisprudence administrative le fait souvent (voir par exemple CE 08 avril 2015 Ministre de l’égalité des territoires et du logement n° 367167, mentionné dans les tables)
D’autre part, ils relèvent une faute de la commune suite au classement de 1995, puis réitéré en 2008, 2010, 2012 et 2015, des parcelles en zones constructibles UBa et Ube alors qu’elles n’ont jamais été en continuité d’un village ou d’une agglomération, mais au contraire « dans un secteur d'habitat diffus ».
Pour diminuer ou empêcher toute indemnisation, il est fréquent que les communes invoquent la faute de la victime et notamment le fait qu’elle est un professionnel de l’immobilier.
II/. Sur l’appréciation de la qualité de professionnel de l’immobilier
Lorsque le requérant est un professionnel de l’immobilier, la jurisprudence administrative estime qu’il a commis une faute d’imprudence de nature à exonérer tout ou partie de la responsabilité de la commune (voir par exemple pour une SAS spécialisée dans l’immobilier, sa qualité de professionnelle a conduit à exonérer la commune de la moitié de sa responsabilité : CAA de LYON, 1ère chambre, 15/12/2020, 19LY00121, Inédit au recueil Lebon considérant n°7).
En l’espèce, et de manière surprenante, le tribunal a estimé que la qualité d’architecte du requérant ne fait pas de lui un professionnel de l’immobilier et que donc, c’était de bonne foi qu’il avait ignoré le risque de non constructibilité des terrains au vu de l’application de la loi Littoral.
Il est vrai que le requérant avait alors agit à titre personnel et non dans le cadre de son activité professionnelle.
La décision est alors assez restrictive quant à la qualification de professionnel de l’immobilier et témoigne d’une jurisprudence favorable à l’indemnisation des victimes.
Après avoir reconnu les fautes de la commune de nature à engager sa responsabilité, et écarter une potentielle faut de la victime, le Tribunal a ensuite statué sur les préjudices indemnisables.
III/. Sur les préjudices indemnisables
Les préjudices invoqués sont indemnisables s’ils ont un lien direct et certain avec les fautes de la commune.
En l’espèce, le tribunal a fait droit à la demande de condamnation à hauteur de 8 000 euros environ en retenant les préjudices liés aux frais de constitution du permis de construire (836,56 euros), aux frais de mise en œuvre du permis de construire (2 904 euros), aux frais de justice concernant l’instance précédente annulant les permis (3 377,40 euros) et au préjudice moral du requérant (1 000 euros).
Si cette jurisprudence est intéressante, c’est principalement s’agissant du préjudice lié à la surestimation des terrains acquis.
En effet, les renseignements erronés ont faussé l’évaluation du prix des terrains lors de la donation partage.
Le préjudice de la perte de valeur vénale du terrain est en lien direct et certain avec les fautes de la commune sur la constructibilité du terrain.
En pareille situation, la jurisprudence accepte d’indemniser le préjudice lié à l’inégalité dans la donation-partage (Voir en ce sens notre article « Loi Littoral et responsabilité »)
Or, dans la présente jurisprudence, le tribunal a estimé que l’inconstructibilité s’appliquait à toutes les parcelles au moment de cette donation partage et diminuait la valeur globale du terrain divisé.
Ils ont alors valorisé le prix du terrain sur la valeur des terrains agricoles. La valeur du bien était donc de 305 406,45 francs, soit 76 351,61 francs pour chacun des héritiers (soit 11 639,66 euros).
Or, au vu de la localisation optimale du secteur et sa proximité avec le manoir de Cardelan, le juge retient le prix de 10 € par m² ce qui revient à une valorisation des terrains à un prix de 23 980 euros par héritier.
Ainsi, en application de cette estimation, la valeur qui aurait dû être retenue dans le cadre de la donation-partage est inférieure à la valeur théorique indexée sur le prix des terres agricoles.
Ce calcul complexe n’ouvre malheureusement donc aucun droit à indemnisation pour le requérant s’agissant de ce préjudice.
Le raisonnement des juges est alors très sévère.
D’une part, le prix de 10 euros par m² est largement supérieur au prix habituellement retenu par les juges concernant des terrains inconstructibles même sur des communes littorales.
Par exemple, les juges administratifs ont retenu le prix de 0,52 euros par m² pour un terrain non constructible situé sur la commune littorale de Meschers-sur-Gironde (Voir en ce sens notre article « Terrain inconstructible et loi Littoral - condamnation de Meschers-sur-Gironde »)
Le seul fait de la localisation proche du manoir de Cardelan permet aux juges de calculer le prix de la parcelle sur la base de 10 euros par m².
D’autre part, une des parcelles voisines issues de la donation-partage est aujourd'hui construite. L’un des héritiers a pu construire ou vendre son terrain en tant que terrain constructible ce qui modifie, à l’évidence, le calcul de la valeur initiale du terrain.
Dans ce type de contentieux, la preuve de la perte de valeur du terrain est essentielle et permet d’obtenir une plus forte indemnisation.
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