Malgré une population d’à peine 450 habitants, l’ile de Batz, située au large de Roscoff, connaît une prospérité contentieuse significative en matière d’urbanisme.

Cette réputation est due au lieu-dit « Mezou Grannog » située à l’ouest de l’île entre le phare et le Trou du Serpent et à l’opposition d’un îlien contre la création d’un lotissement dans ce secteur remarquable, notamment au sens de la loi Littoral.

Pas moins de quatre décisions ont été rendues par le Conseil d’État s’agissant d’autorisations d’urbanisme dans cette zone.

L’une de ces décisions avait déjà eu les honneurs du recueil Lebon (mentionnée) pour ce qui concerne l’épineuse question de l’intérêt à agir et de l'application de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Il y était jugé que « le propriétaire d'un terrain non construit est recevable, quand bien même il ne l'occuperait ni ne l'exploiterait, à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager si, au vu des éléments versés au dossier, il apparait que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux en cause, de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien » (CE 28 avril 2017 n° 393801, Mentionné dans les tables sur ce point ; V. également mais inédit CE 17 mai 2019 n° 416950, Inédit toujours sur l’intérêt à agir).

Les affaires (trois en tout) jugées par le Conseil d’État le 3 avril 2020 constituent le second pourvoi en cassation du demandeur ses appels ayant été, une nouvelle fois, rejetés pour défaut d’intérêt à agir par la Cour administrative d’appel de Nantes, après qu’elle ait tirés les enseignements de son erreur de droit.

La partie est désormais terminée, du moins pour la légalité de ces permis de construire car des actions en démolition peuvent être engagées, puisque le Conseil d’État a statué sur les affaires, sans renvoyer à la Cour, dès lors qu’il s’agissait d’une seconde cassation.

La Haute juridiction administration sanctionne une nouvelle fois dans cette affaire la Cour administrative d’appel de Nantes pour sa conception trop rigoriste de l’intérêt à agir en retenant que, les constructions autorisées étaient de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance du bien du requérant en ce qu'elles altéraient la qualité d'un site aux caractéristiques particulières, essentiellement naturel et identifié comme un espace remarquable, à l'intérieur duquel se trouvaient leurs terrains d'assiette et ses propres terrain (V. récemment pour une autre affaire tout aussi éloquente sur l’appréciation restrictive de l’intérêt à agir de la Cour administrative d’appel de Nantes CE 30 avril 2019 n° 420525). 

A l’évidence, cette jurisprudence devrait être reçue par les juridictions comme un signal les invitant à ne pas retenir une approche plus restrictive de l’intérêt pour agir suite à la « consécration » législative de cette notion, pour reprendre l’expression soupçonneuse du rapport Labetoule, mainte fois reproduite (D. Labetoulle « Construction et droit au recours pour un meilleur équilibre » 25 avril 2013 d’ailleurs citée par M. Stéphane HOYNCK dans ses conclusions lus dans la jurisprudence ici commentée, que nous remercions pour leurs communications).

Mais cette décision n’est pas seulement intéressante sur la question de l’intérêt à agir (elle n’est d’ailleurs pas fichée sur ce point).

Elle tranche également une question s’agissant de l’application de la loi Littoral et plus précisément, de l’obligation d’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages, prévue par l’article L. 121-8 (ancien article L. 146-4-I) du Code de l’urbanisme. C’est sur ce point que la jurisprudence est mentionnée dans les tables du recueil Lebon.

 

I/. L’agrandissement d’une construction et l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme

 

Parmi tous les permis de construire contestés, l’un concernait l’extension d’une construction existante à usage d’habitation.

La question se posait alors de savoir si l’extension de cette maison, constituait une « extension de l’urbanisation » au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

La plus part des jurisprudences des juges du fond, jugeaient que tel n’était pas le cas, en qu’en conséquence, même dans une zone d’urbanisation diffuse, cet article ne pouvait être utilement invoqué.

Le Conseil d’État a entériné cette veine jurisprudentielle en jugeant dans cette décision du 3 avril 2020 que si le législateur en adoptant l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme « a entendu interdire en principe toute opération de construction isolée dans les communes du littoral, le simple agrandissement d'une construction existante ne peut être regardé comme une extension de l'urbanisation au sens de ces dispositions ». C’est ce considérant qui est mentionné dans les tables du recueil Lebon.

En l’espèce, le projet consistait en l’extension de 42 m2 d'une construction à usage d'habitation disposant initialement d'une surface hors œuvre nette de 105 m2.

Faisant application du principe précité, le Conseil d’État a donc jugé que c’est sans erreur que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, a été écarté par les juges du fond.

La solution aurait été toute autre s’il avait été question d’une extension se trouvant dans la bande de cent mètres (CE 21 mai 2008 n° 297744, Mentionné au tables : « Il n'y a pas lieu de distinguer, pour l'application des dispositions du III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, les constructions ou installations nouvelles et celles portant extension d'une construction ou installation existante »).

En effet, alors que l’article L. 121-16 (ancien article L. 146-4 III) encadre toute « construction ou installation » dans la bande de cent mètres, l’articles L. 121-8 régit uniquement les « extensions de l’urbanisation ». Ces deux dispositions règlementant l’urbanisme côtier n’ont pas les mêmes périmètres.

Même si le Conseil d’État apporte une clarification bienvenue, il n’en demeure pas moins que sa jurisprudence laisse plusieurs aspects en suspens.

 

II/. Agrandissement, jusqu’où aller ?

 

En droit de l’urbanisme, la notion d’extension d’une construction, même si ce point n’est pas définitivement tranchée, implique que la partie ajoutée ait une superficie inférieure au bâtiment existant (sur ce point V. le Lexique national d’urbanisme : « L’extension consiste en un agrandissement de la construction existante présentant des dimensions inférieures à celle-ci. L’extension peut être horizontale ou verticale (par surélévation, excavation ou agrandissement), et doit présenter un lien physique et fonctionnel avec la construction existante » ; V. également CE 29 mai 2019 Commune de Craménil n° 419921, Mentionné aux tables, s’agissant de la notion d’extension prévue par l’article L. 111-4 du code de l’urbanisme).

Il ne faisait aucun doute que le projet dans cette jurisprudence consistait à ce titre en une extension de la construction existante, puisqu’il consistait en l’ajout de 42 m2 à une construction en faisant environ une centaine. 

Mais la jurisprudence administrative a déjà, par le passé, admis des extensions beaucoup plus importante, sans considérer qu’il s’agissait d’une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme (V. par exemple CAA Nantes 28 mars 2006 n° 05NT00824 : « le projet pour lequel les époux ont obtenu le permis de construire contesté consiste à agrandir leur maison d'habitation en portant sa surface hors œuvre nette de 64 à 297 m² ; (…) Considérant qu'au cas d'espèce, la réalisation de l'extension de la maison d'habitation des époux ne constitue qu'une simple opération de construction ; qu'elle ne présente pas, dès lors, le caractère d'une extension de l'urbanisation au sens des dispositions précitées ; »)

Même si aujourd’hui les extensions sont, très généralement, encadrées en nombre et en dimension par les documents d’urbanisme, le Conseil d’État aurait pu dans cette jurisprudence préciser que l’extension devait être d’une « ampleur limitée en proportion » par rapport à la construction étendue, pour reprendre les termes de la décision Commune de Craménil précitée.

A l’inverse de cette clarification qui aurait été opportune, le Conseil d’État a alors fait le choix de ficher au Lebon et de retenir comme terme dans son considérant de principe, non pas celui d’extension, mais celui d’agrandissement.

Est-ce à dire que les juges du Palais Royal ont considéré qu’ils n’entendaient pas limiter leur jurisprudence aux extensions, mais à tout agrandissement d’une construction, notion plus vague en droit de l’urbanisme qui ne semble pas limitée s’agissant de sa superficie ?

En effet, une extension, constitue un type d’agrandissement. Mais un agrandissement se limite à l’augmentation de la surface d’un bâtiment préexistante, sans limitation par rapport à celui-ci (V. sur cette notion par exemple pour le calcul de la taxe locale d’équipement CE 10 mai 2017 n° 393485), Mentionné au Lebon).

Implicitement, le Conseil d’État semble valider la jurisprudence administrative considérant qu’un agrandissement qui fait plus que doubler la superficie existante de la construction existante, ne constitue pas une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Une telle solution pourrait être porteuse de dérives importantes.  

En effet, qu’est-ce qui empêcherait alors un propriétaire de réaliser un agrandissement important de sa maison, pour créer un logement supplémentaire ? ou même de faire cet agrandissement puis après de  diviser sa propriété en plusieurs lots, pour faire des logements différents ?

Par ailleurs, quand est-il lorsque la construction existante est d’une très faible dimension ? Ainsi par exemple le propriétaire d’une maison de 30 m2 dans une zone d’urbanisation diffuse, pourrait créer un agrandissement de plus de 100 m2, sans que cela constitue une extension de l’urbanisation au sens de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Enfin, le Conseil d’État se borne à évoquer l’agrandissement d’une construction, sans préciser si sa jurisprudence s’applique uniquement pour les constructions à usage d’habitation.

Ainsi, la question se pose de savoir si tous les types de constructions par exemple un hôtel, des bureaux ou encore un bâtiment industriel, peuvent bénéficier de cette jurisprudence, ou si elle concerne exclusivement les constructions destinées à l’habitation.

S’il est facilement entendable que l’extension mesurée d’une construction n’ait pas d’impacts significatifs sur le mitage d’une commune littorale, tel ne pourrait raisonnablement en être de même de l’extension de plusieurs centaines de mètres carrés d’un hôtel ou d’un bâtiment industriel dans une zone d’urbanisation diffuse.

Le paysage pourrait alors être significativement impacté.

En l’état, rien ne permet d’affirmer que cette jurisprudence doit être cantonnée aux petites extensions des maisons d’habitation.

Le Conseil d’État aurait donc pu apporter plus de précisions dans sa jurisprudence, en utilisant le terme d’extension et non d’agrandissement dans son considérant de principe, ou encore en indiquant que cet agrandissement se limite aux maisons d’habitation et ne doit pas conduire à créer un logement nouveau.