Alors qu’on aurait pu s’attendre à devoir patienter encore de nombreux mois avant d’avoir une jurisprudence de Cour administrative d’appel se prononçant sur la nouvelle notion de secteur déjà urbanisé de la loi Littoral (article L. 121-8 alinéas 2 et 3 du Code de l’urbanisme), la cour administrative d’appel de Nantes, vient de rendre le 06 mars 2020 une jurisprudence sur ce point.

1.

Bien que située à plusieurs kilomètres de la côte, la commune de Macey-les-Grèves, est une commune littorale par le biais du fleuve côtier la Sée, qui se jette dans la baie du Mont-saint-Michel.

Certaines dispositions de la loi Littoral y sont alors applicables, et tout particulière l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme.

Pendant longtemps cette disposition ne contenait qu’un alinéa disposant alors que « l'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».

L’article 42 de la loi du 23 novembre 2018 dite loi ELAN est venu, substantiellement, modifier cette disposition pour, d’une part, y supprimer la notion de hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, et d’autre part, y ajouter deux alinéas supplémentaires visant à créer une nouvelle catégorie juridique, celle des secteurs déjà urbanisés.

Ainsi désormais, « Dans les secteurs déjà urbanisés autres que les agglomérations et villages identifiés par le schéma de cohérence territoriale et délimités par le plan local d'urbanisme, des constructions et installations peuvent être autorisées, en dehors de la bande littorale de cent mètres, des espaces proches du rivage et des rives des plans d'eau mentionnés à l'article L. 121-13, à des fins exclusives d'amélioration de l'offre de logement ou d'hébergement et d'implantation de services publics, lorsque ces constructions et installations n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre bâti existant ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti. Ces secteurs déjà urbanisés se distinguent des espaces d'urbanisation diffuse par, entre autres, la densité de l'urbanisation, sa continuité, sa structuration par des voies de circulation et des réseaux d'accès aux services publics de distribution d'eau potable, d'électricité, d'assainissement et de collecte de déchets, ou la présence d'équipements ou de lieux collectifs. / L'autorisation d'urbanisme est soumise pour avis à la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Elle est refusée lorsque ces constructions et installations sont de nature à porter atteinte à l'environnement ou aux paysages ».

Pour être complet, il convient de préciser que le législateur a prévu un régime transitoire pour permettre que soit applicable cette nouvelle notion juridique dès à présent et sans attendre les modifications des documents d’urbanisme.

Il s’agit de l’article 42-III de la loi ELAN qui dispose que « III.-Jusqu'au 31 décembre 2021, des constructions et installations qui n'ont pas pour effet d'étendre le périmètre du bâti existant, ni de modifier de manière significative les caractéristiques de ce bâti, peuvent être autorisées avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat, après avis de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, dans les secteurs mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant de la présente loi, mais non identifiés par le schéma de cohérence territoriale ou non délimités par le plan local d'urbanisme en l'absence de modification ou de révision de ces documents initiée postérieurement à la publication de la présente loi ».

2.

Dans l’affaire jugée le 06 mars dernier par les juges administratifs d’appel nantais, les propriétaires de la parcelle cadastrée AD 203, d'une contenance de 7 676 m2, située au lieudit La Chattière à Marcey-les-Grèves (Manche), avaient déposé, le 22 janvier 2018, une demande de certificat d'urbanisme en vue de détacher de cette parcelle un lot d'une superficie de 800 m2, afin d’y construire une maison d'habitation.

M. le Maire avait déclaré l’opération non réalisable et son refus avait fait l’objet d’un recours en annulation devant le tribunal administratif de Caen.

En cours de procédure, M. le Maire avait pris une nouvelle décision le 12 mars 2019, venant retirer le certificat initialement attaqué et s’opposant une nouvelle fois à la réalisation de l'opération projetée par les intéressés.

Le tribunal administratif de Caen, aux termes du jugement du 9 mai 2019, avait alors jugé, d’une part, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 25 avril 2018, et d’autre part, avait rejeté le recours contre l'arrêté du maire du 12 mars 2019.

Les intéressés ont fait appel, et ont été manifestement bien inspirés.

3.

Les appelant soutenaient alors que l’article L. 121-8, tel que modifié par l’article 42 de la loi ELAN, avait été méconnu et que leur terrain pouvait être considéré comme situé dans un secteur déjà urbanisé au sens de cette disposition.

La Cour administrative a alors fait droit à leur demande en jugeant que le terrain en question « se situe au sud du secteur de La Chattière lequel, éloigné d'environ 1,5 km du bourg de Marcey-les-Grèves, est structuré autour de l'intersection formée par la voie D 105, le chemin du Bas-Marcey et les rues des Sablons et de Bellevue. De petites voies permettent l'accès à ces axes routiers. Ce secteur comporte une cinquantaine de constructions regroupées les unes auprès des autres et il est constant qu'il est desservi par les réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité et de collecte des déchets. Au sud du terrain des intéressés se situent également d'autres constructions implantées le long de la voie D 105. Ces constructions forment un noyau bâti d'une densité marquée qui doit être regardé comme constituant, non pas une zone d'urbanisation diffuse, mais un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions précitées de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme issu de la loi du 23 novembre 2018, permettant, selon les modalités prévues par les dispositions transitoires de l'article 42 de cette loi, d'admettre, sous conditions, des constructions nouvelles ».

Quelques enseignements peuvent être tirés de cette première jurisprudence.

En premier lieu, la Cour prend soin de préciser que le secteur en cause, comprend une cinquantaine de constructions.

Or, le second alinéa de l’article L. 121-8 du Code de l’urbanisme, ne fait pas du nombre de constructions, un critère d’identification des secteurs déjà urbanisés.

En deuxième lieu, il est constant que le secteur en cause ne comprend pas « d’équipements ou lieux collectifs ».

La Cour admet donc que ce critère n’est pas indispensable à la qualification de secteur déjà urbanisé.

En troisième lieu, en l’espèce, la Cour s’appuie sur l’existence de trois des critères de l’article L. 121-8 pour qualifier le lieudit La Chattière à Marcey-les-Grèves de secteur déjà urbanisé, à savoir la structuration par des voies, une densité remarquée et la présence de réseaux.

En quatrième lieu, il est possible de considérer, à la lecture de cette jurisprudence, que le principe selon lequel la construction ne doit pas avoir « pour effet d'étendre le périmètre bâti » ne fait pas l’objet d’une conception stricte de la part de la Cour.

En effet la parcelle en cause était située sur un vaste terrain de presque 8.000 m2, se trouvant au sud en bordure de ce lieudit.

Si quelques constructions sont situées au sud de la parcelle en cause, d’une part, celles-ci ne sont édifiées que d’un côté de la départementale, et d’autre part, le secteur en cause semble se caractériser beaucoup plus comme une zone d’urbanisation diffuse que comme un espace urbanisé.

Il est très probable que si la parcelle en cause avait été située, un peu plus au sud, la Cour aurait considéré qu’il y a extension du périmètre bâti.

 

Il ressort donc de cette première jurisprudence que la Cour ne semble pas faire une application extrêmement rigoureuse de la nouvelle notion de secteur déjà urbanisé, donnant ainsi implicitement aux élus locaux une certaine marge de manœuvre pour son appropriation et son adaptation locales.

En l’espèce, il restera toutefois aux personnes concernées par la jurisprudence ici commentée à franchir les obstacles du Préfet et de la commission départementale de la nature des paysages et des sites, avant de pouvoir véritablement envisager leur projet de construction ou de vente.