1.

Au sortir de la seconde guerre mondiale, le Gouvernement, à la recherche de moyens pour relancer l’économie et le développement du pays, a l’idée d’utiliser le tourisme comme instrument privilégié de cet objectif. Avec ses 7.756 kilomètres de long, les côtes françaises sont alors un outil majeur de cette politique.

On lie souvent les servitudes de passage des piétons sur le littoral avec les anciens sentiers « du douanier » qui « se rapportent à la désignation d'un ancien droit de passage des agents des douanes sur les propriétés riveraines pour la surveillance de la frontière douanière ».  Si juridiquement ces sentiers n’ont aucun lien, factuellement l’analogie est pertinente.

En effet, l’abandon de l’usage de ce sentier a permis à des personnes de l’emprunter pour leurs loisirs, créant alors le changement de mentalité nécessaire pour légitimer l’instauration de cette servitude. Ainsi, le sentier « du douanier » a facilité la possibilité de cheminer librement le long de la coté, favorisant très probablement, l’engouement nécessaire pour légitimer de contraindre ainsi le droit de propriété.

C’est cependant dans « la volonté politique affirmée par les pouvoirs publics que la servitude de passage des piétons du littoral » a puisé son véritable fondement.

En effet, les pouvoirs publics ont mené, à partir du début des années 60, une politique visant à promouvoir le libre accès des piétons au rivage de la mer. Plusieurs textes législatifs et de nombreuses circulaires visaient alors à limiter les constructions le long du littoral et à favoriser la création ou le maintien des chemins de randonnée.

2.

Cette politique publique a connu son aboutissement avec la création par l’article 52 de la Loi n° 76-1285 du 31 décembre 1976 portant réforme de l'urbanisme, de la servitude de passage des pétions en bordure du littoral. Son principal objectif est de permettre à tous « dans un souci démocratique » d’accéder librement au rivage de la mer.

Le régime législatif de cette servitude, n’a fait l’objet que d’une modification significative depuis sa création, par les articles 4 à 6 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 dite loi Littoral. Le principal apport de la loi Littoral a alors été d’ajouter à la servitude longitudinale, une servitude transversale, dont le but est cette fois « de relier la voirie publique au rivage de la mer ou aux sentiers d'accès immédiat à celui-ci ». Il n’existe donc pas une, mais deux servitudes de passage des piétons sur le littoral, même si par commodité, il est souvent fait référence, à la servitude de passage des piétons sur le littoral, pour évoquer ces deux servitudes.

La présente étude porte exclusivement sur la servitude longitudinale, c’est-à-dire, celle parallèle au rivage de la mer.

Ces lois sont aujourd’hui codifiées aux articles L. 121-31 et suivants du Code de l’urbanisme dans une section intitulée « servitudes de passage sur le littoral ».

Ainsi et grâce à cette servitude, les habitants vont « avoir la possibilité de cheminer librement le long des côtes avec facilité, de jouir des paysages naturels et de disposer, pour leurs loisirs, de cet équipement aussi simple qu’utile à toute la population ».

La fonction de cette servitude ne semble juridiquement pas limitée exclusivement aux randonnées de loisir, dès lors que le Conseil d’État a estimé qu’elle « peut en outre avoir pour effet, dans certaines circonstances, d'assurer la desserte d'une parcelle ». L’utilisation de la locution « dans certaines circonstances » témoigne du fait que la solution adoptée dans cette jurisprudence est très exceptionnelle. Il était en effet alors question d’une île et l’on peut admettre que la notion de desserte, sur une île où les voitures sont rares, n’a pas la même signification que sur le continent.

Plusieurs Décrets ont par la suite été édictés pour encadrer cette servitude (Décret n° 77-753 du 7 juillet 1997 pris en application de la Loi n° 76-1285 (article 4) ; Décret n° 90-481 du 12 juin 1990 pris en application de l’article L. 160-6-1 du Code de l’urbanisme). Ils sont aujourd’hui codifiés aux articles R. 121-9 et suivants du Code de l’urbanisme.

Doit par ailleurs, être mentionné le rôle de deux circulaires. D’une part, « l’importante » circulaire n° 78-144 du 20 octobre 1978 relative à la servitude de passage des piétons sur le littoral, et d’autre part, la circulaire n° 90-46 du 19 juin 1990 relative à l'amélioration de l'accessibilité au rivage de la mer.

Enfin, la jurisprudence administrative est venue préciser le régime juridique de cette servitude, à l’occasion de contentieux liés à des arrêtés préfectoraux modifiant ou suspendant le tracé de la servitude.

3.

Depuis 2010, ces deux servitudes sont également applicables, avec plusieurs adaptations dans les départements d’outre-mer.

Le service statistique du ministère en charge de l’environnement a publié en 2019, une fiche thématique sur « Le sentier du littoral sur les côtes françaises ». On y apprend notamment qu’en « métropole, près de 5 350 km de sentier du littoral sont ouverts, dont 1 420 km au titre de la servitude de passage des piétons. 1 200 km seront ouverts à court terme ou sont à l’étude. À moyen terme, cela portera le linéaire de sentier à 6 550 km. De par son linéaire côtier élevé, la Bretagne concentre 2 800 km de sentier du littoral ouvert, ouvert à court terme ou à l’étude, dont une part importante dans le Finistère et le Morbihan. Les régions Normandie, Nouvelle - Aquitaine et Provence – Alpes - Côte d’Azur disposent également de linéaires conséquents (plus de 600 km chacun) ». On y apprend également que « malgré son linéaire côtier élevé, la Corse ne dispose que de 160 km de sentier ouvert ».

Enfin, le CEREMA a mis en ligne une carte des sentiers du littoral : http://www.geolittoral.developpement-durable.gouv.fr/sentier-du-littoral-francais-r454.html

Nous étudierons dans un premier temps, le cadre juridique général de la servitude légale (I/.), puis l’adaptation de son tracé (II/.).

 

I/. La servitude longitudinale légale de passage des piétons sur le littoral

 

1. de la servitude longitudinale

 

L’article L. 121-31 du Code de l’urbanisme fixe le cadre de la servitude longitudinale légale de passage des piétons sur le littoral : « Les propriétés privées riveraines du domaine public maritime sont grevées sur une bande de trois mètres de largeur d'une servitude destinée à assurer exclusivement le passage des piétons ».

Cette servitude est instituée de plein droit, c’est-à-dire qu’elle ne nécessite aucun « acte institutif » pour produire ses effets juridiques.

Elle est destinée à s’appliquer seulement aux propriétés privés riveraines du domaine public maritime, sauf lorsqu’est en cause une modification de son tracé pour permettre la continuité du cheminement.

Elle ne s’applique donc pas aux autres espaces protégés par la domanialité publique (domaine public routier, voie ferrée…), mais peut grever des dépendances relevant du domaine privé (chemins ruraux…).

 

2. de la limite à partir de laquelle est mesurée l’assiette de la servitude longitudinale

 

Le tracé et l’emprise de cette servitude légale dépendent directement de la consistance du domaine public maritime contiguë, qu’il soit naturel ou artificiel, lequel est défini par les articles L. 2111-4 à L. 2111-6 du Code général de la propriété des personnes publiques.

L’article R. 121-10 du Code de l’urbanisme est alors venu prévoir les différentes limites à partir desquelles sont mesurées l’assiette de cette servitude, en fonction de la nature du domaine public maritime adjacent.

Lorsque la propriété est attenante au rivage de la mer, l’assiette de la servitude est fixée par rapport à « la limite haute du rivage de la mer, tel qu'il est défini par le 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques », c’est-à-dire « jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ».

S’agissant des estuaires, rias, abers et des embouchures de fleuves ou de rivières, la limite entre domaine public maritime et fluvial est fixée par la limite transversale de la mer. La servitude ne trouve alors à s’appliquer que pour la partie du territoire communal située en aval de la limite transversale de la mer, et non pour la partie du territoire située en amont de cette limite. La limite transversale de la mer, lorsqu’elle est fixée par un acte, peut être contestée à toute époque. Elle « repose sur l'observation combinée de plusieurs indices, tels que la configuration des côtes et notamment l'écartement des rives, la proportion respective d'eaux fluviales et d'eaux de mer, l'origine des atterrissements, le caractère fluvial ou maritime de la faune et de la végétation. La part relative de chacun de ces indices, dont se dégage l'influence prépondérante ou non de la mer, doit être appréciée en fonction des circonstances propres à chaque espèce ».

Lorsque la propriété est attenante aux lais et relais de la mer, l’assiette de la servitude est fixée par rapport à « la limite, du côté de la terre, des lais et relais de la mer compris dans le domaine public maritime naturel par application du 3° du même article », soit les lais et relais « a) qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; » ou qui se sont « b) Constitués à compter du 1er décembre 1963 ».

La jurisprudence a alors jugé « que, pour l'application de cette législation, les lais de mer doivent être regardés comme des alluvions déposés par la mer et les relais comme des terrains que la mer découvre en se retirant et que ne submergent plus les plus hautes eaux ».

Lorsque la propriété est attenante à des terrains soustraits artificiellement à l’action des flots ou qui font parties du domaine public artificiel, l’assiette de la servitude est fixée par rapport à la limite de ces terrains.

 

3. de la délimitation du domaine public maritime

 

La délimitation du domaine public maritime artificiel ne pose généralement pas de difficultés. Il n’en va pas de même du domaine public maritime naturel qui connaît des variations en raison de phénomènes naturels, accentués par le réchauffement climatique et, notamment, le recul du trait de côte qu’il induit. Le Code de l’urbanisme est alors venu prévoir un mécanisme pour imposer la délimitation du domaine public maritime.

Selon l’article R. 121-11 du Code de l’urbanisme, « en l'absence d'acte administratif de délimitation, tout propriétaire riverain peut demander au préfet qu'il soit procédé à la délimitation du domaine public maritime au droit de sa propriété. Il en est de même dans le cas où, depuis une délimitation antérieure, des phénomènes naturels non liés à des perturbations météorologiques exceptionnelles ont eu pour effet de modifier le niveau des plus hautes eaux ».

Le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser que le Préfet est en situation de compétence liée pour faire une telle délimitation, seulement si la demande émane du propriétaire concerné.

Une fois la servitude posée dans son principe et dans sa consistance, le législateur a prévu des exceptions, afin de ne pas porter atteinte, de manière disproportionnée, au droit de propriété.

 

4. de l’exception des terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d'habitation édifiés avant le 1er janvier 1976

 

Afin de ne pas porter une atteinte disproportionnée à la tranquillité des habitations édifiées et d’éviter une situation où « tout le monde pourrait passer chez tout le monde », l’article L. 121-33 du Code de l’urbanisme dispose que : « sauf dans le cas où l'institution de la servitude est le seul moyen d'assurer la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, la servitude instituée aux articles L. 121-31 et L. 121-32 ne peut grever les terrains situés à moins de quinze mètres des bâtiments à usage d'habitation édifiés avant le 1er janvier 1976 (…) ».

Cette protection s’applique donc exclusivement aux habitations édifiées avant le 1er janvier 1976. Cette protection est particulièrement limitée dans la mesure où elle ne s’applique qu’aux constructions édifiées avant le début de l'année civile au cours de laquelle la disposition instituant la servitude a été discutée et adoptée par le Parlement. Ainsi, cette exception vise à prendre en compte la situation des propriétaires qui ont légalement édifié leurs habitations à une époque où l'institution d'une telle servitude n'était pas envisagée.

La preuve de l’achèvement de la construction est en principe apportée par la déclaration d’achèvement des travaux, ou en l’absence, par tout moyen.

A la lecture de cette disposition, il ne semble pas nécessaire que le terrain en question soit la même parcelle que celle supportant la construction ou appartienne au même propriétaire. Ainsi, si une construction est située à moins de 15 mètres du domaine public maritime, mais qu’un autre terrain, appartenant à un propriétaire différent, s’interpose entre ces deux espaces, en principe ce dernier ne pourra être grevé de la servitude et bénéficiera de la proximité de la construction tierce.

La distance de 15 mètres, peut être réduite dans plusieurs situations en vertu de l’article R. 121-14, « 1° Lorsque le bâtiment à usage d'habitation est, en raison de la configuration des lieux, situé à un niveau sensiblement plus élevé que celui de l'emprise de la servitude ; / 2° S'il existe déjà, dans cet espace de quinze mètres, un passage ouvert à la libre circulation des piétons ; / 3° Si le mur clôturant le terrain sur lequel est situé le bâtiment est lui-même à moins de quinze mètres dudit bâtiment ». Pour ce dernier cas, la circulaire de 1978 indique que le sentier pourra longer le mur à l'extérieur sans constituer une gêne aggravée pour les habitants de la maison, le mur constituant un écran suffisant. Il faut donc, implicitement, que le mur en question puisse jouer le rôle d’écran. Un mur d’un mètre de haut seulement ne pourrait sérieusement constituer un tel écran.

Le propriétaire peut également donner son accord, par convention, à la réduction du délai de 15 mètres (article R. 121-15 du Code de l’urbanisme).

Le juge administratif a précisé que ce régime juridique d’exception, qui ne bénéficie qu’aux propriétaires ayant achevé avant le 1er janvier 1976 leurs habitations, est conforme au principe d’égalité devant la loi.

Comme on pouvait s’y attendre, le contentieux a été foisonnant, concernant l’application de cette disposition et la jurisprudence a eu l’occasion d’apporter de nombreuses précisions.

Ainsi, pour bénéficier de cette exception le bâtiment en cause doit avoir eu, au 1er janvier 1976 un usage d’habitation et doit l’avoir conservé à la date de l’arrêté modifiant ou suspendant le tracé de la servitude. Ainsi, un bâtiment « partiellement détruit et donc impropre à toute habitation » à la date de cet arrêté préfectoral, ne peut être considéré comme ayant un usage d’habitation, quand bien même tel aurait été le cas au 1er janvier 1976. Le propriétaire en question a alors, par son inaction, perdu le droit de profiter de cette exception.

Le conseil d’État a également précisé que les juges du fond se livrent à une appréciation souveraine quant à la qualification de bâtiment à usage d’habitation édifié avant le 1er janvier 1976. La Haute juridiction administrative, se livrant alors uniquement à un contrôle de la dénaturation des pièces du dossier.

Les juges du fond acceptent alors de prendre en compte un grand nombre d’éléments pour opérer cette qualification juridique, comme par exemple, le payement d’une taxe d’habitation, les aménagements intérieurs du bâtiment (notamment l’existence d’un équipement sanitaire), la description du bâtiment dans les actes notariés.

Quelques exemples peuvent être donnés.

Ainsi, s’agissant d’un ancien moulin à marée (« moulin de Baden »), la Cour administrative d’appel de Nantes a jugé que : « si des attestations, au demeurant établies une vingtaine d'années après les faits qu'elles relatent, indiquent que plusieurs personnes ont pu être épisodiquement reçues dans l'ancien moulin à marée avant 1976, un acte, rectificatif d'un précédent acte de donation-partage, dressé par notaire en 1978 décrit le bâtiment, distinct de l'ancienne maison du meunier située sur la même propriété, comme ne comportant qu'une pièce en rez-de-chaussée et un grenier, sans qu'il soit fait mention du moindre équipement intérieur, sanitaire en particulier ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, ce bâtiment ait fait l'objet jusqu'en 1976 d'une imposition particulière à la taxe d'habitation ; que les documents produits relatifs à des travaux antérieurs à 1976 attestent du remplacement des fenêtres ainsi que d'un plancher, mais ne démontrent pas que les travaux d'installation de plomberie sanitaire également mentionnés aient été réalisés dans le moulin à marée et non dans l'ancienne maison de meunier ; que, dans ces conditions, il n'est pas établi que le moulin à marée aurait été, au 1er janvier 1976, dans un état d'aménagement tel qu'il pouvait être regardé comme d'ores et déjà transformé à cette même date en bâtiment à usage d'habitation ».

La même cour a également jugé concernant cette fois une maison d’habitation située au lieudit « Pointe de Kerio » sur la commune de Belz, « que la construction dont s'agit, qui était un bâtiment à usage d'habitation, reliée au réseau électrique et disposait d'un système d'assainissement, a été constamment occupée jusque dans le courant des années 1970 ; que si, par la suite, à partir d'une date antérieure au 1er janvier 1976 et jusqu'à son achat par M. Y... en 1988, elle est demeurée inoccupée, il n'est établi ni qu'elle aurait été affectée à un autre usage durant ce laps de temps, ni que, au regard en particulier de l'état du gros œuvre et de la toiture, elle serait devenue impropre à l'habitation ; que, dans ces conditions, alors même que, comme le soutient le ministre, sans d'ailleurs préciser quelle était la situation antérieure à cet égard, la parcelle d'assiette n'a pas fait l'objet d'une imposition au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties entre 1976 et 1990, cette construction, ainsi que le fait valoir M. Y..., devait être regardée comme un bâtiment à usage d'habitation édifié avant le 1er janvier 1976 au sens de la disposition précitée de l'article L.160-6 du code de l'urbanisme et qui avait conservé cet usage après cette date ».

 

5. l’exception des terrains attenants à des maisons d'habitation et clos de murs au 1er janvier 1976

 

Toujours selon l’article L. 121-33 précité, la servitude légale ne peut grever des « terrains attenants à des maisons d'habitation et clos de murs au 1er janvier 1976 ».

La circulaire de 1978, qui n’a toutefois pas valeur règlementaire, est venue détailler cette disposition, avec un degré de précision remarquable.

Ainsi, selon cette circulaire, « il convient de considérer comme close de murs, une habitation entourée de murs d’une façon continue à moins qu’un obstacle naturel puisse jouer le rôle de pan de mur ». Ainsi, une falaise peut, à ce titre, constituer un mur au sens de ces dispositions.

La circulaire incite toutefois à faire preuve de pragmatisme en tenant compte des circonstances locales. Ainsi une « propriété fermée sur 3 côtés et ouverte sur la mer pourrait être considérée comme close de murs, si aucune circulation de piétons ne se fait habituellement sur cette partie du rivage, ou s'il est par ailleurs possible d'y accéder par d'autres moyens ».

Concernant la notion de mur, au sens de cette disposition, la circulaire précise alors que celui-ci devra être composé de « matériaux durables et adhérents au sol ». Cette définition a été implicitement entérinée par le pouvoir règlementaire (article R. 121-17 du Code de l’urbanisme) Il s’agira donc « de façon générale d'ouvrage de maçonnerie d'épaisseur variable, formé de matériaux superposés et consolidés (…) d’une hauteur d'au moins 1 mètre ».

Là encore, la circulaire invite à prendre en compte les usages locaux « dans l'appréciation qui sera faite d'une clôture, comme mur (…). C'est ainsi que les murs de pierres sèches bien que non consolidés ni adhérents au sol devront être considérés comme des murs, il en est de même des clôtures en ciment armé. Par contre, ne pourraient être assimilés à des murs, les clôtures de haies vives ou sèches, les palissades, les grillages, les traverses de bois, les fils métalliques... ». Aucune jurisprudence n’est venue confirmer ce dernier point.

Comme pour les bâtiments à usage d'habitation, la preuve est ici libre et le juge administratif forge sa conviction au vu de l’ensemble des pièces du dossier.

Ainsi, l’attestation d’un résident, complétée par un ancien acte notarié et des photos anciennes peuvent permettre d’établir l’ancienneté de ce mur, quand bien même le dernier acte d’acquisition ne faisait pas mention de son existence.

Le mur en question peut par ailleurs comprendre des ouvertures, notamment pour accéder au rivage, sans pour autant faire perdre au terrain sa qualification de « clos de murs » au sens de ces dispositions.

 

6. Concernant les obstacles naturels

 

Les obstacles au tracé de la servitude légale sont bien souvent naturels.

Selon la côte en question, ces obstacles peuvent être très divers.

Ainsi, les dunes sableuses instables, les marais, les vasières, mais également les falaises et côtés découpées peuvent justifier que le tracé de la servitude légale ne soit pas retenu.

En présence d’un obstacle, juridique ou naturel, il sera alors nécessaire d’adapter le tracé de la servitude de passage.

 

II/. Concernant l’adaptation du tracé de la servitude de passage

 

Selon l’article L. 121-32 du Code de l’urbanisme: « l'autorité administrative compétente de l'Etat peut, par décision motivée prise après avis de la ou des communes intéressées et au vu du résultat d'une enquête publique effectuée comme en matière d'expropriation : /1° Modifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude, afin, d'une part, d'assurer, compte tenu notamment de la présence d'obstacles de toute nature, la continuité du cheminement des piétons ou leur libre accès au rivage de la mer, d'autre part, de tenir compte des chemins ou règles locales préexistants. Le tracé modifié peut grever exceptionnellement des propriétés non riveraines du domaine public maritime ; /2° A titre exceptionnel, la suspendre ».

Deux situations sont donc envisageables. Soit une modification du tracé, soit une suspension de celle-ci.

 

1. La suspension de la servitude

 

En vertu de l’article R. 121-13 du Code de l’urbanisme, la servitude peut être suspendue, à titre exceptionnel, dans six cas.

En premier lieu, lorsque les piétons peuvent circuler le long du rivage de la mer grâce à des voies ou passages ouverts au public. Il s’agit des chemins ruraux le long du rivage ou encore des boulevards en front de mer

La circulaire de 1978 indique que la servitude pourra être suspendue lorsque le passage pourra être assuré par une partie de la plage demeurant perpétuellement sèche dès lors qu’il s’agit d’un morceau de la plage ne faisant pas partie du domaine public maritime. Toutefois désormais, dès lors que tous les lais et relais font partis du domaine public maritime, le cheminement par une partie sèche de la plage ne semble guère plus envisageable pour justifier la suspension de la servitude.

La question de la proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété du dispositif peut alors légitimement se poser. En effet, si l’on peut admettre une atteinte par le biais de la servitude lorsqu’il n’existe aucun moyen d’assurer le cheminement pérenne des piétons sur le domaine public maritime (c’est-à-dire sur le rivage), l’opportunité d’une telle servitude se pose lorsqu’une partie du domaine public maritime, très concrètement des plages, permet d’assurer ce cheminement sans difficultés.

En deuxième lieu, si le maintien de la servitude de passage fait obstacle au fonctionnement soit d'un service public, soit d'un établissement de pêche bénéficiaire d'une concession, soit d'une entreprise de construction ou de réparation navale.

En troisième lieu, à l'intérieur des limites d'un port maritime.

En quatrième lieu, à proximité des installations utilisées pour les besoins de la défense nationale.

En cinquième lieu, si le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols.

S’agissant de la stabilité des sols, la circulaire de 1978 indique que les bords des falaises érodés et souvent en suspension ou constitués de ronciers, sables et cailloux ou rochers impraticables ou encore ouverts par des failles, s’avèrent dangereux et ne doivent pas être ouverts au public.

Le Conseil d’État a alors eu l’occasion de préciser ce cas de suspension de la servitude en indiquant que, « l'administration ne peut légalement décider de suspendre, jusqu'à nouvel ordre, la servitude, que si elle justifie que ni la définition de la servitude dans les conditions prévues par l'article R. 160-8 du code, ni une modification de son tracé ou de ses caractéristiques dans les conditions et limites prévues par la loi, ne peuvent, même après la réalisation des travaux qu'implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l'article R. 160-25 du code, garantir la conservation d'un site à protéger pour des raisons d'ordre écologique ou archéologique, ou, dans l'intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols ». Selon cette jurisprudence, la suspension du tracé de la servitude n’est donc possible, qu’à titre subsidiaire, lorsqu’une modification du tracé n’est pas envisageable.

En dernier lieu, si l'évolution prévisible du rivage est susceptible d'entraîner un recul des terres émergées.

Il ressort de la jurisprudence administrative, qu’elle a donné à la qualification d’exceptionnelle de la suspension de la servitude toute sa portée, dès le début.

Par ailleurs, et dès lors qu’il ne s’agit que d’une suspension jusqu’à nouvel ordre, en cas de changement dans les faits faisant disparaître la justification du tracé, la servitude doit en principe être à nouveau instituée et l’arrêté de suspension doit être abrogé.

L’utilisation de l’adverbe « notamment » laisse à penser que cette liste n’est pas exhaustive. Toutefois, aucune jurisprudence à ce jour n’est venue entériner l’existence d’un nouveau cas.

 

2. La modification du tracé de la servitude

 

La circulaire de 1978 a précisé qu’en cas de modification, le tracé devra être le moins gênant pour les propriétés et la largueur sera, le plus souvent inférieure à 3 mètres.

Le Conseil d’État, quant à lui, a jugé que la modification « n'est ouverte à l'administration que dans la stricte mesure nécessaire au respect des objectifs fixés par la loi ».  Ainsi, une modification ne peut satisfaire d’autres objectifs que ceux fixés par l’article L. 121-32 du Code de l’urbanisme.

Il s’agit, d’une part, d’assurer la continuité du cheminement et le libre accès au rivage des piétons, et d’autre part, de « tenir compte des chemins ou règles locales préexistants ».

La circulaire de 1978 offre, sur ce dernier point, des précisions en indiquant que ce motif de modification concerne notamment, les chemins et sentiers d’exploitation prévus par l’article L. 162-1 du Code rural et de la pêche maritime, ou encore « des chemins privés utilisés par le public depuis au moins 30 ans sans qu'il y ait eu opposition des propriétaires (constitution d'un droit d'usage au profit de la commune) ». Dans ce dernier cas, la commune devient alors bénéficiaire d’une sorte de prescription acquisitive sur ce tracé, qui peut alors justifier une modification de la servitude légale. Il est facile de comprendre la philosophie de la modification. Dès lors qu’un propriétaire a laissé se faire un passage sur son terrain, c’est nécessairement qu’il estimait que ce passage ne le gênait pas, ou alors de manière résiduelle. Ce tracé, le moins gênant possible pour ce propriétaire, doit alors être retenu, de préférence.

 

3. La procédure de la modification et de la suspension de la servitude

 

C’est à l’État d’initier et de diligenter les procédures de modification ou de suspension de la servitude. Toutefois, de par son ancrage dans les territoires, d’autres acteurs, et principalement les communes, peuvent être amenés à « travailler de concert dès le début des procédures » avec les services de l’État. Une contractualisation pour organiser ce partage de responsabilité semble alors possible d’après le ministre en charge de l’environnement. Toutefois, le Code de l’urbanisme prévoit expressément quelle est l’autorité en charge de la constitution du dossier administratif. En effet, dès lors que c’est au Chef du service maritime, c’est-à-dire au directeur de la DDTM, d’adresser au Préfet le dossier d’enquête publique, il apparaît que le pouvoir règlementaire a donc donné spécifiquement à cette autorité la compétence dans la réalisation des études préliminaires.

La jurisprudence, si elle a déjà souligné le rôle de cet agent, n’a jamais tranché la question de savoir si un tel « partage de responsabilité » était légal.

Une fois cette première phase administrative interne réalisée, la procédure de modification ou de suspension est soumise à enquête publique. L’article L. 121-32 prévoit que cette enquête est « effectuée comme en matière d'expropriation ».

Toutefois, depuis l’article 6 du Décret n° 2016-308 du 17 mars 2016, l’article R. 121-20 a été modifié pour indiquer que l’enquête publique doit être effectuée, dans les formes prévues par le chapitre IV du titre III du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration (article L. 134-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration), sous réserve de quelques dispositions particulières prévues par le Code de l’urbanisme.

La compatibilité de ces deux dispositions peut sérieusement se poser. Quoi qu’il en soit, le Code de l’urbanisme prévoit que le dossier soumis à enquête publique comprend alors :

1° Une notice explicative exposant l'objet de l'opération prévue.

2° Le plan parcellaire des terrains sur lesquels le transfert de la servitude est envisagé, avec l'indication du tracé à établir et celle de la largeur du passage.

3° La liste par communes des propriétaires concernés par le transfert de la servitude.

4° L'indication des parties de territoire où il est envisagé de suspendre l'application de la servitude, notamment dans les cas mentionnés à l'article R. 121-13, ainsi que les motifs de cette suspension, et celle des parties de territoire où le tracé de la servitude a été modifié par arrêté préfectoral en application de l'article R. 121-12.

Lorsque le tracé a pour effet, soit de grever des terrains attenants à des maisons d'habitation qui, au 1er janvier 1976, étaient clos de murs en matériaux durables et adhérant au sol, soit de réduire, par rapport aux bâtiments à usage d'habitation édifiés au 1er janvier 1976, la distance de quinze mètres prévue  à l'article L. 121-33, le dossier doit comprendre en outre « la justification du bien-fondé du tracé retenu »

Lorsque la modification du tracé est guidée par la volonté de tenir compte de l'évolution prévisible du rivage afin d'assurer la pérennité du sentier permettant le cheminement des piétons, le dossier doit également contenir « les observations et informations fournies par des procédés scientifiques qui motivent le nouveau tracé ».

La jurisprudence administrative a eu l’occasion de préciser que le dossier constitué « doit permettre à la population de connaître les motifs des projets de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude de passage longitudinale. A cette fin, il doit notamment indiquer la nature et la localisation des obstacles qui justifient la modification du tracé ». Ainsi, un dossier se bornant « à indiquer que les modifications projetées visaient à : « tenir compte des obstacles de toute nature dus à la configuration des lieux » n’est pas suffisant.

Le commissaire enquêteur a alors la possibilité de se déplacer sur les lieux pour faire une visite (article R. 121-21 du Code l’urbanisme). Il doit alors convoquer tous les propriétaires intéressés, c’est-à-dire ceux concernés soit par les modifications envisagées par l'autorité administrative du tracé ou des caractéristiques de la servitude, soit par la suspension de celle-ci.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de préciser que la notion de propriétaires intéressés ne se limite pas « aux seuls propriétaires ayant exprimé le souhait qu'il soit procédé à une visite des lieux ». Les propriétaires alors intéressés et non-convoqués peuvent être regardés comme ayant été privé d’une garantie devant entraîner l’annulation de l’arrêté préfectoral.

Par ailleurs, la visite ne peut avoir lieu après la clôture de l’enquête publique.

Le commissaire enquêteur a alors la possibilité de proposer de rectifier le tracé ou les caractéristiques de la servitude. Lorsque cette modification affecte de nouveaux terrains, les propriétaires concernés doivent être informés et bénéficient d’un délai supplémentaire pour formuler leurs observations.

Une fois l’enquête publique terminée, le conseil municipal de la commune concernée doit délibérer sur le tracé et les caractéristiques du projet de servitude.

La modification ou la suspension est alors prise par un arrêté préfectoral devant être motivé en cas d’avis favorable de la commune concernée, et par décret en Conseil d’État en cas d’opposition.