1.

Pendant de très nombreuses années, les personnes publiques en charge du service eau potable disposaient d’un pouvoir quasi-discrétionnaire pour autoriser ou refuser les travaux nécessaires pour desservir leurs administrés.

Le Conseil d’État avait alors adopté une jurisprudence aux termes de laquelle l’éloignement d’un secteur était suffisant pour justifier un refus, sans que celui-ci ne fasse l’objet du moindre examen d’appréciation (CE 30 mai 1962 Sieur Parmentier publié au Lebon p. 912).

La Haute juridiction administrative ne censurait alors que les décisions manifestement disproportionnées, comme par exemple, celle de « refuser le raccordement au réseau d'eau potable de tous les terrains non constructibles » (CE 27 juin 1994 Commune de Portbail n° 85436, Publié au recueil Lebon sur ce point).

En dehors de ce cas d’école, les personnes publiques jouissaient d’une totale liberté.

Plusieurs dispositions législatives ont depuis été adoptées, amenant le Conseil d’État, dans une décision du 26 janvier 2021 Commune de Portes-en-Valdaine (n° 431494), à faire évoluer sa jurisprudence.

2.

Deux dispositions législatives ont conduit à la nécessité de cette jurisprudence, qui a les honneurs d’une publication au recueil Lebon.

D’une part, le Code général des collectivités territoriales est venu prévoir à l’article L. 2224-7-1 que les personnes publiques compétentes en matière de distribution d'eau potable « arrêtent un schéma de distribution d'eau potable déterminant les zones desservies par le réseau de distribution ».

D’autre part, le deuxième alinéa de l’article L. 210-1 du Code de l’environnement, adopté suite à la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, dispose que : « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

Autant d’évolutions législatives qui ont obligés les juges du Palais Royal à prendre la plume pour faire évoluer le cadre juridique des décisions de refus d’extension ou de branchement des réseaux de distribution d’eau potable.

3.

Aux termes de sa décision du 26 janvier 2021, rendu conformément au sens des éclairantes conclusions de M. Laurent Cytermann, le Conseil d’État a jugé qu’il résulte de ces deux dispositions que les communes/établissements publics de coopération intercommunale qui ont délimité, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, les zones desservies par le réseau de distribution, « sont tenus, tant qu'ils n'en ont pas modifié les délimitations, de faire droit aux demandes de réalisation de travaux de raccordement, dans un délai raisonnable, pour toutes les propriétés qui ont fait l'objet des autorisations et agréments visés à l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme ».

Cette solution jurisprudentielle transpose alors celle adoptée en matière d’assainissement collectif (CE 24 novembre 2017 commune de Rigny-Ussé n° 396046, mentionné dans les tables du recueil Lebon) comme le souligne son fichage au Lebon.

Une telle transposition n’allait pas de soi car les régimes juridiques applicables à ces deux réseaux sont différents (V. par exemple, sur le fait que le branchement au réseau d’assainissement collectif constitue une obligation légale pour des motifs de salubrité publique - l’article L. 1331-1 du Code de la santé publique).

Il faut alors consulter les conclusions précitées de M. Cytermann pour comprendre que les juges du Conseil d’État ont déduit le caractère impératif des zones desservies par le réseau de distribution figurant dans le schéma de distribution d'eau potable, de l’exposé des motifs de l’amendement déposé par les députés Flajolet et Santini en 2ème lecture de la loi sur l’eau précitée à l’Assemblée Nationale.

La jurisprudence viendra alors préciser la notion de délai raisonnable qui, nécessairement, est empreinte d’une casuistique propice à des débats juridictionnels.

Le Conseil d’État en a précisé le cadre en indiquant que ce délai raisonnable : « doit s'apprécier au regard, notamment, du coût et de la difficulté technique des travaux d'extension du réseau de distribution d'eau potable et des modalités envisageables de financement des travaux ».

4.

Le Conseil d’État est allé encore plus loin dans cette jurisprudence puisque la Haute juridiction est également venue préciser le cadre juridique en l’absence du schéma de distribution d’eau potable.

C’est sans doute cet abondance de pédagogie qui a justifié que cette décision soit publiée au recueil et non simplement mentionnée dans les tables.

Ainsi, les juges du Palais Royal estiment que : « en dehors des zones de desserte ou en l'absence de délimitation par le schéma de telles zones, la collectivité apprécie la suite à donner aux demandes d'exécution de travaux de raccordement, dans le respect du principe d'égalité devant le service public, (…) en fonction, notamment, de leur coût, de l'intérêt public et des conditions d'accès à d'autres sources d'alimentation en eau potable ».

Cette jurisprudence ouvre donc la voie à un contrôle juridictionnel des décisions prises en matière de travaux publics de raccordement au réseau d’eau potable.

Toutefois, soucieux de ne pas trop « effrayer » les personnes publiques compétentes en matière de distribution d'eau potable, qui passent d’une liberté quasi-totale à un régime juridiquement contraignant, le Conseil d’État est venu préciser que les juges du fond ne doivent se livrer dans cette dernière configuration, en cas de refus, qu’à un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation.

Le Conseil d’État n’ouvre donc, que partiellement, le prétoire des juges administratifs en matière de décisions de refus de travaux de raccordement.