On rappellera le vieil adage:

Actioni non natae, non praescribitur : l’action ne peut commencer à se prescrire avant d’être née.

Cet adage forcément vénérable puisqu’il s’exprime en latin, et qui pourrait s’apparenter à une vérité intemporelle pour tout juriste malgré son absence de codification, n’emporte pourtant pas l’opinion récente de la Cour de cassation.


La Haute juridiction a effectivement rappelé que l’action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée dans le délai préfix de deux ans à compter de la découverte du vice, doit en outre être mise en œuvre dans un délai de cinq ans à compter de la vente, sous peine d’irrecevabilité. (Cass. civ. 1ère. 11 mars 2020, n°19-15.972)


Pour rappel, l’action en garantie des vices cachés de l’article 1641 du Code civil permet à l’acheteur d’un bien défectueux d’en demander le remboursement (action dite « rédhibitoire ») ou la diminution du prix (action dite « estimatoire »), avec dans certains cas une indemnisation complémentaire (action indemnitaire).

Le vice caché qui entraîne cette garantie doit présenter certaines caractéristiques :

  • le vice doit être inhérent à la chose ;
  • il doit être présent avant la vente, même en germe ;
  • il ne doit pas être visible lors de la vente ;
  • et il doit rendre la chose impropre à son usage ou diminuer tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise ou seulement à un prix moindre.

L’article 1648 du Code civil impose à l’acheteur déçu d’exercer son action avant l’expiration d’un délai préfix de 2 ans, qui court à compter de la date de la découverte du vice.

Antérieurement à la réforme des règles de la prescription du 17 juin 2008, la jurisprudence considérait que l’action en garantie des vices cachés devait être intentée dans un délai de 30 ans (ancien article 2262 du Code civil) ou de 10 ans en matière commerciale (article L.110-4 du Code de commerce) à compter de la vente.

Il existait donc un double délai de 2 ans (1er délai préfix) et de 30 ans ou 10 ans (2e délai de droit commun) selon la matière considérée.

Depuis la réforme du 17 juin 2008, ces délais de droit commun ayant tous deux été réduits à 5 ans (article 2224 du Code civil ; article L.110-4 du Code de commerce), le législateur avait estimé devoir instaurer un délai butoir de 20 ans à l’article 2232 du Code civil, ce qui laissait présager que le délai quinquennal de droit commun était tombé en désuétude pour l’exercice de l’action des vices cachés.

En effet, une problématique existait dans l’hypothèse du maintien d’un délai butoir réduit de 5 ans, et en matière d’action du vendeur contre le fabricant, dès lors que le premier cité pouvait être amené à ne pas connaitre l’existence même de son droit avant l’expiration du délai butoir de 5 ans pour agir.

En pratique, et alors même que le vendeur décidait d’agir dans le délai de 2 ans à compter de la connaissance du vice, son action était irrecevable si la connaissance de ce vice intervenait plus de 5 ans après la conclusion du contrat, ce qui pouvait être fréquent.

Consacrer une telle solution aurait été extrêmement sévère, et aurait clairement eu pour effet de priver celui qui exerce le recours du droit d’accès à un juge, en parfaite violation du droit au procès équitable (Conv. EDH, art. 6-1°).

C’est pourtant l’orientation visiblement prise par la Cour de cassation qui a consacré cette solution à plusieurs reprises.

Ainsi, dans un arrêt du 6 juin 2018 relatif à des matériaux de construction défectueux, la Cour de cassation a retenu que la garantie des vices cachés devait être intentée avant l’expiration du délai prévu à l’article L.110-4 du Code de commerce, dont le point de départ se situe au jour de la vente (Civ 1, 6 juin 2018, n°17-17.438).

Un infléchissement avait initialement pu être décelé suite à une décision de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, laquelle précisait que si le recours du vendeur intermédiaire contre le vendeur initial était bien soumis au délai de l’article L.110-4 du Code de commerce, ce délai ne commençait à courir qu’à compter du jour où le vendeur intermédiaire était assigné par l’acheteur final (Civ 3, 6 décembre 2018, n°17-24.111). 

Toutefois, de manière parfaitement limpide, et plus récemment, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est prononcée dans le sens de la première chambre civile en rappelant l’existence du double délai : l’action en garantie des vices cachés doit être intentée à la fois dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, mais également dans le délai de l’article L110-4 du code de commerce, qui court à compter de la date de la vente (Com, 16 janvier 2019, n°17-21.477). 

Par la décision commentée du 11 mars 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation confirme une nouvelle fois qu’ « en application des articles 1648 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce, ce dernier modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'action résultant des vices rédhibitoires doit être formée par l'acquéreur, non seulement dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, mais encore dans le délai de la prescription extinctive de droit commun. »

Dans cette affaire, pour contester la décision de la cour d’appel qui avait déclarer son action en garantie formée contre le constructeur irrecevable comme prescrite, le vendeur reprenait la solution dégagée par la troisième chambre civile qui a pu considérer « qu’en matière d’action récursoire en garantie des vices rédhibitoires affectant la chose vendue, le vendeur ne peut agir contre le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par son acquéreur ».

Le demandeur au pourvoi a estimé qu’en fixant le point de départ du délai de prescription à la date de mise en circulation du véhicule en cause et non à la date de l’assignation par le constructeur par l’acquéreur, la cour d’appel avait violé les articles L. 110-4 du Code de commerce et 1648 du Code civil.

Le pourvoi est rejeté par la Cour de Cassation qui rappelle la nécessité pour le vendeur déçu de respecter le double délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, et le délai de 5 ans courant à compter de la vente initiale, pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Il n’est donc pas exclu qu’un individu soit privé de son droit d’agir avant même que les éléments permettant de s’en prévaloir soient réunis. 

La plus grande vigilance est donc de mise pour le vendeur souhaitant se prévaloir de cette garantie dont l'exercice de l'action est temporellement réduit à 5 ans.