Une personne atteinte d’un trouble psychique ou neuropsychique à la suite de consommation de produits stupéfiants est-elle pénalement responsable ?

La réponse à cette question se trouve dans l’article 122-1 du Code pénal, qui distingue selon que ce trouble a aboli ou seulement altéré le discernement de l’auteur des infractions commises.

S’agissant d’une abolition du discernement, l’article 122-1 alinéa 1 du Code pénal dispose que « n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».

S’agissant d’une altération du discernement, l’article 122-1 alinéa 2 du Code pénal dispose que « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état ».

 

Dans une affaire criminelle, la question s’est posée de savoir si ce texte est applicable lorsque l’auteur de l’infraction commise était responsable de ce trouble pour avoir consommé des stupéfiants.

Dans cette affaire, l’auteur de l’infraction avait été mis en examen des chefs d’homicide volontaire et d’arrestation, enlèvement, détention ou séquestration avec absence de libération volontaire avant le septième jour, commis à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée.

Cependant, au cours de l’instruction, les experts ont considéré que le mis en cause était atteint de « bouffée délirante » lors des faits.

Le juge d’instruction et la chambre d’instruction en ont déduit que le mis en cause était pénalement irresponsable.

Les parties civiles ont contesté cette irresponsabilité pénale en soutenant que les dispositions de l’article L 122-1 du Code pénal n’ont vocation qu’à protéger les auteurs malades de maladies mentales, mais pas les auteurs d’infractions dont le trouble résulte d’un comportement illicite, tel que la consommation de produits stupéfiants, en violation de l’article L. 3421-1 du Code de la santé publique, qui réprime la consommation illicite de produits stupéfiants par une peine d’emprisonnement et 3750 € d’amende.

Cependant, par un arrêt du 14 avril 2021 (20-80.135), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que « les dispositions de l’article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement ».

Ainsi, selon cette décision, l’auteur d’une infraction dont le discernement a été aboli ou altéré bénéficierait des dispositions protectrices de l’article 122-1 du Code pénal, que ce trouble ait pour cause une maladie mentale ou un comportement délictueux, tel que la consommation de produits stupéfiants.

Sur le plan juridique, cette décision apparaît conforme à l’adage « ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus », selon lequel là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Cependant, sur le plan de l’équité, cette décision n’apparaît pas satisfaisante dans la mesure où elle conduit à limiter, voir à exclure, la responsabilité pénale d’auteurs d’infractions atteints de troubles psychiques ou neuropsychiques quand bien même que ce trouble résulte de leur comportement volontairement illicite. Ce serait une sorte de prime à la délinquance conduisant excuser une infraction plus grave.

Cette décision d’irresponsabilité pénale en raison d’une abolition du discernement résultant de la consommation de produits stupéfiants soulève en outre la question de l’application des dispositions selon lesquelles le fait de conduire sous l’emprise de produits stupéfiants constitue une circonstance aggravante des infractions d’homicide et blessures involontaires, prévus par les articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 du Code pénal. Est-il cohérent qu’une personne qui consomme des produits stupéfiants en petite quantité et de manière exceptionnelle, se voit appliquer des circonstances aggravantes et une peine plus sévère, alors qu’une personne qui en aura fait une consommation plus importante et plus habituelle entraînant une abolition de son discernement échapperait à toute sanction pénale ? Est-ce ainsi inciter à des comportements responsables ?

Cela promet de nombreuses expertises et de beaux débats devant les juridictions.

Par ailleurs, cet arrêt pose la question de l'appréciation de l'évolution du trouble psychique ou neuropsychique dans le temps.

S'il n'est pas contestable qu'on ne juge pas une personne atteinte de folie, n'est il pas possible de juger une personne dont le discernement n'a été aboli que temporairement au moment de la commission de l'infraction et qui postérieurement a retrouvé la raison, quitte à alors faire application des dispositions de l'article 122-1 du Code pénal ? Ne conviendrait-il pas de distinguer l'aptitude à être jugé de la responsabilité pénale lors des faits ?