Dans un arrêt de rejet prononcé le 8 février 2018 (n° de pourvoi 17-10516), la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation nous offre un exemple rare d'exonération de la responsabilité du gardien de la chose, en raison de l'existence d'un cas de force majeure.

Cet arrêt a été rendu au visa de l'article 1384 du Code civil, alors applicable. Il ne fait pour autant aucun doute que cette décision aurait été identique sous l'empire de l'article 1242 du même Code, dans sa rédaction issue de l'Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le principe dispose que "On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. [...]".

Dans ces conditions, le gardien juridique de la chose (autrement dit, le propriétaire) ne peut échapper à l'engagement de sa responsabilité qu'à condition de rapporter la preuve d'un transfert effectif de la garde de la chose (ce qui suppose de démontrer le transfert des pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction qu'il détient sur la chose) ou l'existence d'un cas de force majeure (ce qui suppose de démontrer l'existence d'un élément imprévisible, irresistible et extérieur).

En l'espèce, il s'agissait de savoir si les critères de la force majeure étaient réunies pour le gardien du train qui, au moment où il entrait en gare, a percuté deux hommes ayant chuté sur la voie.

Pour répondre par l'affirmative à cette question, la Cour de cassation a relevé : " que l'agresseur de X... A... souffrait de schizophrénie et entendait des voix, qu'aucune altercation n'avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu'un laps de temps très court s'était écoulé entre le début de l'agression et la collision avec le train, que l'enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu'aucune mesure de surveillance ni aucune installation n'aurait permis de prévenir ou d'empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l'ampleur des travaux et du fait que la SNCF n'était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour [de sorte que c'est sans inverser la charge de la preuve que la Cour d'Appel] a pu décider que le fait du tiers avait présenté pour cette dernière un caractère irrésistible et imprévisible pour en déduire, à bon droit, l'existence d'un cas de force majeure".

Les termes de la décision sont les suivants : 

"[...] Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2015), qu'alors qu'il se trouvait, [...], sur un quai de RER, X... A... a été, au moment où un train entrait en gare, soudainement ceinturé et entraîné sur les voies par un tiers ; que, chutant sur les rails, les deux hommes ont été immédiatement percutés par le train et sont décédés ; qu'ayant indemnisé les ayants droit de X... A..., le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a agi en remboursement des sommes versées contre la Société nationale des chemins de fer français, devenue SNCF mobilités (la SNCF) ;

Attendu que le FGTI fait grief à l'arrêt de déclarer son action non fondée, alors, selon le moyen :

1°/ que la SNCF, gardienne du train entré en contact avec la victime, ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en rapportant la preuve du caractère imprévisible et irrésistible de ce heurt ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que l'installation de façades sur les quais aurait permis d'éviter le drame ; qu'en jugeant néanmoins que la SNCF s'exonérait de toute responsabilité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1384, alinéa 1, du code civil, dans sa version applicable en la cause, ensemble l'article 706-11 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en toute hypothèse, il incombait à la SNCF qui invoquait l'impossibilité technique de l'installation de façades sur les quais, pour soutenir que l'acte d' Z... B... était irrésistible et échapper à son obligation de prendre en charge les conséquences dommageables de l'accident survenu le [...], d'en rapporter la preuve ; qu'en faisant peser sur le FGTI la charge de la preuve de la faisabilité technique de l'installation de façades, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du code civil, dans sa version applicable en la cause ;

Mais attendu qu'ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'agresseur de X... A... souffrait de schizophrénie et entendait des voix, qu'aucune altercation n'avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu'un laps de temps très court s'était écoulé entre le début de l'agression et la collision avec le train, que l'enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu'aucune mesure de surveillance ni aucune installation n'aurait permis de prévenir ou d'empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l'ampleur des travaux et du fait que la SNCF n'était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a pu décider que le fait du tiers avait présenté pour cette dernière un caractère irrésistible et imprévisible pour en déduire, à bon droit, l'existence d'un cas de force majeure ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi [...]".

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris , du 18 décembre 2015

(Source : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036635563&fastReqId=93336913&fastPos=1)

N’hésitez pas à me contacter si vous avez des questions, des remarques ou des suggestions. Je me tiens à votre disposition !

Vous pouvez retrouver d'autres sur le site internet du cabinet Vianney LEYAvocat au barreau de RENNES.