Après avoir été habilité par le parlement en ce sens, le gouvernement a pris une succession d’ordonnances visant à suspendre voire proroger les délais qui auraient dû échoir ou commencer à courir après le 12 mars 2020. Ces nouvelles mesures ne sont pas sans incidence pour tous les acteurs du secteur de l’urbanisme, les tiers et administrations compris.

Deux ordonnances doivent particulièrement attirer l’attention. Une première ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période. Ce texte, de portée générale, et visant à instituer un moratoire sur les délais, nous y reviendrons, vient d’être complété par une seconde ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 notamment pour le domaine de l’urbanisme.

D’application générale, la première ordonnance institue une période de moratoire courant du 12 mars 2020 jusqu’à l'expiration d'un délai d’un mois (ou de deux mois suivant les cas) à compter du 24 mai 2020, date retenue à ce jour pour la fin de l'état d'urgence sanitaire par la loi du 23 mars 2020 (cf. art. 4 loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19). Aussi, les délais qui ont commencé à courir avant le moratoire et qui auraient dû expirer entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 sont suspendus et recommenceront par principe à courir, pour le temps restant, à l’issue dudit moratoire.  Par ailleurs, les délais qui auraient dû commencer à courir durant la période de moratoire, ne débuteront qu’à son issue.

Cependant, et alerté par différents acteurs de l’urbanisme, craignant légitimement le blocage des instructions des demandes d’autorisation d’urbanisme ou encore, l’insécurité juridique des autorisations d’urbanisme délivrées peu avant le moratoire et, par voie de conséquence, non purgées des voies et délais de recours, le gouvernement va prendre une seconde ordonnance visant notamment à raccourcir la période de moratoire les concernant. 

Sans vouloir prétendre à l’exhaustivité, le présent article offre avant tout un tour d’horizon des principales conséquences de ces ordonnances sur les procédures d’urbanisme au stade de l’instruction des demandes (1) après la délivrance des autorisations (2) et enfin, du recours administratif ou contentieux (3).

 

1. Quant aux incidences du moratoire sur l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme

Les ordonnances déjà citées sont venues suspendre voire geler les délais impartis à l’administration pour statuer sur une demande d’autorisation, de certificat d’urbanisme ou encore, de déclaration préalable :

« (…) les délais à l'issue desquels une décision, un accord ou un avis de l'un des organismes ou personnes mentionnés à l'article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er. » (art. 7 ord. du 25 mars 2020).

Toutefois, et comme déjà évoqué, l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 est venue raccourcir la période de moratoire dans certaines hypothèses en complétant l'ordonnance n° 2020-306 d’un article 12 ter al. 1 qui dispose que :

« Les délais d'instruction des demandes d'autorisation et de certificats d'urbanisme et des déclarations préalables prévus par le livre IV du code de l'urbanisme ainsi que les procédures de récolement prévues à l'article L. 462-2 du même code, qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils reprennent leur cours à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée. »

Autrement dit, les délais d’instruction recommenceront à courir, pour le temps restant, à compter du 25 mai 2020 (et non plus du 25 juin comme décidé initialement).

S’agissant des délais qui auraient dû commencer à courir durant la période du moratoire, le nouvel article 12 ter al. 2 dispose :

« Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci. »

A titre d’illustration, le délai d’instruction de droit commun de 2 mois, qui court à compter du dépôt d’un dossier complet d’une demande de permis de construire une maison individuelle par exemple, ne commencera à courir qu’à compter du 25 mai 2020 dès lors que ce dépôt complet intervient entre le 12 mars et le 24 mai 2020.

L’article 12 ter al. 3 étend enfin la règle aux avis et accords sollicités dans ces procédures :

« Les mêmes règles s'appliquent aux délais impartis aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, aux services, autorités ou commissions, pour émettre un avis ou donner un accord dans le cadre de l'instruction d'une demande ou d'une déclaration mentionnée à l'alinéa précédent. » 

Il reste toutefois parfaitement possible à l’administration compétente de prendre une décision expresse ou de rendre un avis exprès durant la période de moratoire.

 

2. Quant aux incidences du moratoire sur les autorisations et décisions prises en matière d’urbanisme

Tout d’abord, l’administration, en vertu de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme, dispose d’un délai de trois mois pour retirer les autorisations d’urbanisme qui seraient illégales. Il est bien évident que ce délai est suspendu tant que la période de moratoire n’est pas terminée ce qui, par voie de conséquence, engendre une période d’insécurité juridique conséquente, l’autorisation d’urbanisme ne devenant pas définitive passés les 3 mois habituels.

Ensuite, l’article 3 de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 prévoit une prorogation de la durée de validité des « autorisations, permis et agréments » qui auraient dû arriver à échéance durant la période du moratoire.

La prorogation de plein droit est prévue pour 2 mois supplémentaires à compter de la fin du moratoire (soit trois mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire).

Autrement formulé, la durée de validité des permis, autorisations, agréments est prolongée jusqu’au 25 août 2020.

On pense enfin, à l’ensemble des délais qui trouvent à s’appliquer pour le récolement des travaux à compter de la réception en mairie de la déclaration d’achèvement (R. 462-6 C.U) ou encore, pour procéder aux  travaux ou démarches pour lesquels le bénéficiaire a été mis en demeure par l’administration afin, par exemple, de régulariser des travaux non-conformes aux prescriptions contenues dans l’autorisation d’urbanisme ou encore d’avoir à déposer une demande d’autorisation modificative aux fins de régularisation (L. 481-1 C.U.).

Les concernant, l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que :

« Lorsqu'ils n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020, les délais imposés par l'administration, conformément à la loi et au règlement, à toute personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou pour se conformer à des prescriptions de toute nature sont, à cette date, suspendus jusqu'à la fin de la période mentionnée au I de l'article 1er, sauf lorsqu'ils résultent d'une décision de justice.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l'article 1er est reporté jusqu'à l'achèvement de celle-ci.

Les dispositions du présent article ne font pas obstacle à l'exercice, par l'autorité administrative, de ses compétences pour modifier ces obligations ou y mettre fin, ou, lorsque les intérêts dont elle a la charge le justifie, pour prescrire leur application ou en ordonner de nouvelles, dans le délai qu'elle détermine. Dans tous les cas, l'autorité administrative tient compte, dans la détermination des obligations ou des délais à respecter, des contraintes liées à l'état d'urgence sanitaire. » 

Aussi, et par principe, les délais qui trouvent à s’appliquer dans ces hypothèses sont suspendus et recommenceront à courir, pour le temps restant, à compter du 25 juin 2020. Les délais qui auraient dû commencer à courir durant le moratoire ne commenceront quant à eux qu’à son issue. En revanche, les délais imposés par décision de justice, eu égard au principe de séparation des pouvoirs, ne sont pas concernés.

 

3. Quant aux incidences du moratoire sur le recours administratif ou contentieux

Il convient de clore le présent article sur l’effet du moratoire sur les recours dans le domaine du droit de l’urbanisme.

On l’a dit, l’ordonnance du 12 mars 2020 a été complétée par l’ordonnance du 15 avril 2020 notamment s’agissant des règles applicables en matière litigieuse avec un article 12 bis ainsi rédigé :

« Les délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir, qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils recommencent à courir à compter de la cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 susvisée pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'urgence sanitaire est reporté à l'achèvement de celle-ci. »

Si, sur la fin, la rédaction de l’alinéa 1er parait confuse, on peut tout de même déduire que le délai de recours à l’encontre des décisions énumérées (ou imparti au préfet pour les déférer) est suspendu à compter du 12 mars et recommencera à courir, pour la période restante – sans que celle-ci ne puisse être inférieure à 7 jours – à compter du 25 mai 2020 (1er jour suivant la cessation de l’état d’urgence sanitaire).  Quant aux délais qui auraient dû commencer à courir entre le 12 mars et le 24 mai 2020 ceux-ci ne commenceront à courir qu’au 25 mai 2020.

Nous ne les avons pas abordés jusqu’à présent mais s’agissant des délais de recours à l’encontre des différents actes règlementaires élaborés dans le domaine de l’urbanisme (on pense spontanément aux Plans Locaux d’Urbanisme) il conviendra de se référer à l’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 qui prévoit, notamment pour tous les « recours (…) qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. ».

Concrètement, et quand bien même les décisions approuvant les plans, projets ou programmes auraient été dument affichées, ou tout autre mesure de publicité prescrite accomplie, de sorte qu’elles auraient normalement acquis un caractère définitif entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020, ces décisions pourront toujours faire l’objet d’un recours et ce, jusqu’au 25 août 2020 par principe. Il s’agit ici d’une véritable interruption (et non pas suspension) de délai qui recommence donc entièrement à courir à l’issue du moratoire, dans la limite de deux mois.

Pour conclure, nous évoquerons le cas spécifique des recours gracieux (également nommés recours administratif) qui visent à demander à l’administration qui a pris la décision litigieuse de la retirer ou de l’abroger. Ces derniers, moins onéreux et à l’issue plus rapide bien qu’incertaine, sont généralement engagés avant la saisine du Juge Administratif.

Les concernant, il faut se référer à l’article 7 de l’ordonnance n°2020-306 qui induit une suspension, voire un report – si le recours parvient durant le moratoire - du délai de droit commun des deux mois dont dispose l’administration pour répondre à un recours gracieux.

Le silence de l’administration à l’issue de ces deux mois vaut décision de rejet implicite du recours. Une telle décision de rejet, qui peut d’ailleurs être expresse, est parfois obligatoire et permet de lier le contentieux (ex : Demande indemnitaire ; Contestation d’un refus d’abrogation pour faire jouer la voie d’exception ;…).

Il conviendra donc d’être vigilant avant de saisir le Juge Administratif et de s’assurer, dans les cas où celle-ci s’impose, qu’une décision tacite est née faute de quoi le recours contentieux pourrait s’avérer sans objet (ex : demande d’annulation d’une décision qui n’existe pas encore) et être rejeté de ce chef.

D’une manière plus générale, il faut rester extrêmement prudent sur la computation de ces différents délais. La sérénité devra donc attendre que le Juge Administratif apporte ses précisions quant aux nombreuses questions que posent ces mesures d’urgence et qui ne manqueront pas d’être débattues dans les contentieux à venir.