I-Une indemnisation au titre de la solidarité nationale octroyée

La Première Chambre civile de la Cour de Cassation, par un arrêt en date du 5 février 2014, a élargi l'indemnisation des préjudices occasionnés par des  « actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L.6322-1 et L.6322-2 du Code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, considérés comme des actes de soins au sens de l’article L.1142-1 II du même code qui dispose :"... un accident médical.. ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droits au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins" .

L'affaire relatait le cas tragique d’une jeune patiente âgée de 22 ans décédée, des suites d’un malaise cardiaque provoqué par l’anesthésie préalable à une intervention de liposuccion, par l’injection de deux produits sédatifs.L'anesthésie est un acte médical préparatoire de soins ayant engendré le préjudice et dont l'indemnisation au titre de la solidraité nationale devait intervenir.

 

Dans une autre affaire, une patiente subie une liposuccion sous anesthésie péridurale le 25 octobre 2006, de laquelle elle conserve une radiculalgie dans le territoire du nerf sciatique. Elle réclame en référé une expertise judiciaire qui conclue à « un risque accidentel et inhérent à la pratique médicale et qui ne pouvait être maîtrisé ».Elle saisit également la Commission de Conciliation et d’Indemnisation dont l’expertise confirmera l’expertise judiciaire. L’ONIAM, dans une décision en date du 10 Aout 2011, a considéré que " le dommage allégué doit être rapporté à un acte de chirurgie esthétique, qui n’est pas un acte de prévention, de diagnostic ou de soins »et refuse d'octroyer une indemnisation".

Toutefois, la victime assigne devant le TGI, qui statue au fond ,et par un jugement en date du 23 novembre 2015 retient que « le dommage est imputable à la rachis anesthésie, qu’il s’agit donc d’un accident thérapeutique, l’arrêt de travail répond aux conditions de gravité déterminant la prise en charge par l’ONIAM »

Cette indemnisation élargie intervient en faveur des victimes afin qu’elles puissent obtenir une indemnisation de leurs préjudices occasionnés par l’accident médical même s'il avait une finalité esthétique. On peut comprendre l’intérêt des victimes à solliciter une indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans la mesure ou la procédure de traitement des dossiers et de désignation des experts est beaucoup plus rapide qu'une procédure judiciaire. Par ailleurs, cette procédure présente un autre avantage qui motive les victimes, l’absence de frais d’avocat et de frais d’expert à engager. On peut aisément comprendre que les victimes sont souvent très affectées psychologiquement mais également financièrement car elles sont en arrêt maladie, et ne travaillent plus et ne peuvent subvenir à des dépenses supplémentaires.

La position de la Première Chambre Civile est appréciable et retient uniquement un certain critère organique, qui peut s’interpréter de la manière suivante ; il s’agit de professionnels de santé qui interviennent, certes sur un corps sain et non malade, mais au final peu importe il pratique des actes médicaux d’autant plus que l’anesthésiste est un professionnel de santé qui intervient également dans le cadre d’actes médicaux à finalité thérapeutique.

Par ailleurs, l’esprit de la loi n’était pas d’exclure les actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique comme il en ressort de la recommandation aux actes médicaux sans finalité thérapeutique de la Commission Nationale des accidents médicaux en date du 2 Août 2005 .En effet, les textes ou les travaux préparatoires, ne soutiennent aucunement l’exclusion de tels actes.

Toutefois, le législateur est intervenu pour rappeler avec force l’exclusion des actes médicaux à visée esthétique du champ d’indemnisation au titre de la solidarité nationale.

II-Une indemnisation au titre de la solidarité nationale exclue

La loi de finance de la sécurité sociale 2015 du 1er décembre 2014 consacre à l’article L.1142- 3-1 I du CSP que le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale « n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi » .

Cette limite légale se justifie essentiellement par rapport au coût financier qu’impliquerait l’indemnisation des victimes de telles actes sachant qu’en France plus de 600 000 injections de comblement de rides et d’autres actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique sont en constante évolution et par conséquent le risque d’accident également.

On peut notamment se référer au cas des granulomes qui ont défiguré de manière permanente des patientes auxquelles des refus d'indemnisation avaient été opposés car elles avaient subi les injections d'acide hyaluronique, à l'origine de leur dommage corporel, uniquement pour rajeunir et modeler l’ovale de leur visage.

La chirurgie esthétique se définit par le fait qu’elle est une intervention sur un corps sain dans le but d’en améliorer l’aspect. Elle se distingue de la chirurgie réparatrice dont le but principal est d’améliorer l’aspect d’un corps dont l’état a été dégradé soit par accident, soit par les suites d’un traitement ou bien qui était atteint de malformations suffisamment graves ou invalidantes pour être jugées pathologiques. Le régime juridique de la chirurgie esthétique est, depuis longtemps, spécifique.

Face à cette divergence, il convient de retenir que le culte excessif de l’apparence et du « jeunisme » qui a conduit à l’explosion des actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique est critiquable mais le poids de la « société du spectacle » pour reprendre l’expression de Guy Debord ( La société du spectacle :Gallimard 1967) impose des corrections physiques à peine de provoquer des syndromes dépressifs graves et des exclusions des emplois , dont les conséquences sont beaucoup plus couteuses pour la collectivité que les rares cas de prise en charge par la solidarité nationale des accidents médicaux liés à des traitements esthétiques.

Cette exclusion des actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique stigmatise intrinsèquement les femmes qui constituent 80% des personnes ayant recours à de telles interventions.

Toutefois, à l’heure où le marché́ des produits de comblements des rides est en forte progression, les risques d’incidents liés à l’utilisation de ces dispositifs médicaux sont eux aussi en augmentation d’autant plus que les accidents sont irrémédiables dans certains cas.

On peut s’interroger sur l’évolution de ces injections sous cutanée dans le temps, sachant que des réactions sont possibles plusieurs années après l’injection comme pour le scandale sanitaire des prothèses mammaires PIP.

 

Maître DIKME Angèle

M2/DU Droit des assurances

DU Droit de la réparation du dommage corporel

Membre de l'Association Droit de la Réparation du Dommage Corporel