La valeur fondamentale du principe ne bis in idem semble échapper depuis quelques temps (Cass. crim., 26 oct. 2016, n° 15-84.552 : JurisData n° 2016-022307 ; JCP G 2017, 16, note N. Catelan ; Dr. pén. 2017, comm. 1, par P. Conte ; Cass. crim. 7 déc. 2016, n° 15-87.335 : JurisData n° 2016-026305 ; Cass. crim., 5 janv. 2017, n° 15-86.362 : JurisData n° 2017-000040 ; Dr. pén. 2017, comm. 36, par P. Conte), à la Cour de cassation qui ne manque pas d’imagination pour cumuler les qualifications se rattachant à un même fait, comme en témoignent les trois espèces sélectionnées, tant en droit des affaires qu’en droit des personnes.
Le premier pourvoi n°18-84073 du 16 avril 2019 concerne un fait de rejets d’une station d’épuration en Haute-Corse occasionnant une dégradation du milieu naturel avec un constat de pollution de 15 à 125 fois supérieur à la normale. La responsabilité de la commune était engagée d’une part sur le délit de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer (C. env., art. L 216-6), d’autre part sur celui de rejet en eau douce ou pisciculture de substances nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire (C. env., art. L 432-2). La question qui se posait alors devant la Cour de cassation était celle du cumul de déclarations de culpabilité pour un même fait constaté, à savoir l’absence de réfection de la station d’épuration en dépit des relances de l’administration. Mettant en avant le fait que les valeurs sociales protégées par les deux infractions étaient distinctes et qu’en particulier « la seconde incrimination tend à la protection spécifique du poisson », la Cour de cassation estime que « seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions ».
Le deuxième pourvoi n°18-83025 du17 avril 2019 est relatif au cumul de qualifications en matière de marché public. En l’espèce, suite à l’extension du cimetière de sa commune, le maire était poursuivi pour les délits de favoritisme et prise illégale d’intérêt pour avoir rejeté les offres de deux entreprises sachant « dès l’origine » que l’entreprise sélectionnée – dont il était proche – ne serait pas en mesure de réaliser les travaux de terrassements qu’il a finalement exécuté lui-même bénévolement. Rejetant l’application de la règle ne bis in idem (Conv. EDH, art. 4 du protocole n° 7), la Cour de cassation estime que la double déclaration de culpabilité se justifie par le fait que les infractions retenues « sont fondées sur des faits dissociables ». Ainsi le délit de favoritisme est constitué « par les irrégularités commises en connaissance de cause par le maire durant la procédure de marché », alors que la prise illégale d’intérêt est caractérisée « par la seule décision prise par celui-ci, de faire signer à l’attributaire du marché, l’acte d’engagement des travaux et de publier l’avis d’attribution du marché ». Par le passé la Chambre criminelle avait déjà pu admettre le cumul (Cass. crim. 29 juin 2001, n°10-87498) pour un maire qui avait signé un avenant à un marché public de dragage d’un port en vue de réaliser des travaux supplémentaires, à la demande d’un autre élu, pour permettre au bateau d’un membre de la famille de ce dernier d’accéder au port.
Encore une fois, il apparaît qu’au final un seul et unique fait matériel soit en cause, la "mauvaise" décision du maire – d’ailleurs qualifiée de « fraude conçue d’emblée » et que le cumul des qualifications se justifie mal en présence d’incriminations qui se sont multipliées au fil des années et dont il est difficile de voir en chacune d’elle une vraie autonomie puisque le fait de contrarier les règles des marchés publics intervient rarement pour ne pas satisfaire – au moins moralement comme en l’espèce – un proche ou soi-même.
Le troisième pourvoi n°18-82885 du 9 mai 2019 intervient en matière de droit des personnes. La question à trancher était celle de savoir si la circonstance aggravante de bande organisée – applicable à un vol avec arme et destruction – pouvait se cumuler avec la qualification d’association de malfaiteurs dans le contexte d’un braquage. Etudiant le modus operandi et les relations entre la dizaine d’individus concernés, la Cour de cassation en conclut à la possibilité du cumul dans la mesure où « l’association de malfaiteurs avait pour objet la préparation d’autres infractions ». La motivation ne nous convainc pourtant pas dans la mesure où le groupe organisé n’avait commis d’autres infractions que celles en lien avec l’attaque des fourgons blindés (recel de véhicules volés, détention d’explosifs, etc.) et qu’en ce sens les faits procédaient bien « d’une manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne p(o)uv(a)nt être retenus comme élément constitutif d’une infraction et circonstance aggravante d’une autre infraction » (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84133, RTD com. 2018. 227, obs. L. Saenko ; Crim. 24 janv. 2018, n° 16-83045, RSC 2018. 412, obs. Y. Mayaud). La distinction opérée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., 2 mars 2004, décis. n° 2004-492 DC, Estier, D. 2004. 2756, obs. B. de Lamy) et par la Cour de cassation (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.329, AJ pénal 2016. 141, obs. C. Porteron ), entre la bande organisée (qui suppose la préméditation et la structuration) et l’association de malfaiteurs nous semble devoir ici conduire à exclure le cumul opéré.
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