La prise d’acte consiste pour le salarié à rompre le contrat de travail à son initiative du fait de manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations et qui empêchent la poursuite du contrat de travail.

 

La définition de la prise d’acte n’existe pas dans le Code du travail. Cependant, elle a été établie par les juridictions prud’homales.

 

En effet, le Code du travail prévoit la possibilité pour l’employeur de rompre à son initiative le contrat de travail par le licenciement du salarié du fait des manquements de ce dernier au respect du contrat.

 

Or, il n’existait pas dans ce texte de mode de rupture équivalent pour le salarié : il n’était pas possible de procéder à une sorte de « licenciement » inversé par lequel le salarié aurait pu rompre lui-même le contrat de travail en raison des manquements de son employeur au respect de ce contrat.

 

C’est ce vide qu’est venue combler la prise d’acte : elle permet enfin au salarié de rompre à son initiative le contrat de travail aux torts de son employeur.

 

Nous rappellerons ainsi les étapes chronologiques de la prise d’acte (I) puis analyserons une précision sur la prise d’acte apportée très récemment par la Cour de cassation (II). 

 

I. LES ÉTAPES CHRONOLOGIQUES DE LA PRISE D’ACTE

 

Les étapes d’une prise d’acte sont énoncées ci-après.

 

ÉTAPE N°1 – LA RUPTURE

 

Le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur en précisant les manquements reprochés à ce dernier. Aucun formalisme n’est imposé mais il est préférable de notifier la prise d’acte par un courrier recommandé.

 

Le contrat de travail est ainsi rompu dès réception de la prise d’acte par l’employeur. L’employeur doit alors fournir sans délai au salarié son solde de tout compte, son certificat de travail et son attestation Pôle emploi.

Le salarié n’a pas à exécuter de préavis.

 

ÉTAPE N°2 – LA SAISINE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

 

Le salarié doit alors saisir le Conseil de prud’hommes pour que la prise d’acte soit requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Cela permet ainsi qu’il puisse être indemnisé par l’employeur et toucher les allocations d’aide au retour à l’emploi de la part de Pôle emploi.

 

Rappelons que le salarié ne peut donc pas toucher les allocations d’aide au retour à l’emploi pendant la période située entre sa prise d’acte et la décision du Conseil de prud’hommes. Cette durée peut être plus ou moins longue. 

 

En effet, le Code du travail prévoit qu’en cas de prise d’acte, le Conseil de prud’hommes statue dans un délai d’un mois (article L. 1451-1 du Code du travail). Dans les faits, ce délai n’est quasiment jamais respecté. 

 

En région parisienne, seul le Conseil de prud’hommes de Paris s’engage à donner une date d’audience dans un délai d’un mois. Cependant, sa décision n’est pas rendue dans ce délai.

 

Dans cette région, une moyenne de 4 à 6 mois peut être observée pour obtenir une décision opposable concernant une prise d’acte (moyenne observée sur les années 2018-2019). Ce qui, une fois n’est pas coutume, décourage de fait de nombreux salariés dans l’exercice de leur droit à rompre la relation de travail aux torts d’un employeur irrespectueux de leur contrat de travail ou de la loi.


ÉTAPE N°3 – LA DÉCISION DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

 

1. La requalification en licenciement 

 

Le Conseil de prud’hommes peut requalifier la prise d’acte en licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Dans ce cas, il indemnise le salarié comme si ce dernier avait été licencié de manière abusive. Par ailleurs, il ordonne la rectification de l’attestation Pôle emploi, qui mentionnera alors un licenciement et qui permettra en conséquence au salarié de toucher les allocations d’aide au retour à l’emploi.

 

Dans son appréciation, le Conseil de prud’hommes examine si les manquements de l’employeur ont réellement empêché la poursuite du contrat de travail.

 

Il est ainsi jugé qu’une prise d’acte est notamment justifiée en cas de :

le travail dissimulé (voir par exemple :  Cour de cassation, chambre sociale, 2 juin 2010, n° 08-44849) ;

 

 

2. La requalification en démission

 

Dans le cas où le Conseil de prud’hommes estime que la prise d’acte n’était pas justifiée, au motif que les manquements reprochés à l’employeur ne sont pas démontrés ou pas assez sérieux pour justifier d’une prise d’acte, il requalifie alors la prise d’acte en démission.

Dans ce cas, il peut condamner le salarié à verser à l’employeur l’équivalent du montant du préavis.

 

 

II. LE CAS DES MANQUEMENTS ANCIENS DE L’EMPLOYEUR : UNE PRÉCISION RÉCENTE PLUS PROTECTRICE

 

Dans une décision récente, la Cour de cassation vient rappeler un principe de base malheureusement souvent oublié par les Conseils de prud’hommes depuis 2014 (Cour de cassation, chambre sociale, 15 janvier 2020, n° 18-23417).

 

En effet, en matière de prise d’acte, un mouvement de balancier assez frappant a pu être observé.

 

Ainsi, avant 2014, les salariés invoquaient tout type de manquements de l’employeur pour justifier leur prise d’acte, manquements qui pouvaient être récents ou anciens.

 

La Cour de cassation a mis un coup d’arrêt à ce mouvement en se montrant plus exigeante sur les manquements reprochés à l’employeur : elle a notamment imposé que les manquements de l’employeur dont le salarié se prévalait pour justifier de sa prise d’acte soient récents.

 

En particulier, dans un arrêt du 26 mars 2014, la Cour de cassation estimait que des manquements de l’employeur étaient « anciens » et n’avaient donc pas empêché la poursuite du contrat de travail. Ainsi, ces manquement ne pouvaient pas justifier la prise d’acte du salarié.

 

Le raisonnement était le suivant : le salarié en cause avait continué à travailler malgré les manquements de l’employeur (les manquements reprochés dataient de trois ans avant la prise d’acte). Dès lors, selon la Cour, ces manquements n’empêchaient pas la poursuite du contrat de travail et la prise d’acte n’était donc pas justifiée (Cour de cassation, chambre sociale, 26 mars 2014, n° 12-23634 PB).

 

Les employeurs s’étaient alors allègrement engouffrés dans cette brèche : ils plaidaient alors systématiquement que la prise d’acte n’était pas justifiée si le salarié n’avait pas réagi très rapidement et pris acte de la rupture de son contrat de travail immédiatement après le premier manquement de l’employeur à ses obligations.

 

C’était évidemment faire peu de cas de nombreux paramètres, notamment : 

 

  • des cas de manquements anciens mais continus dans le temps ;
  • mais également de manquements qui, pris de manière isolée, sont mineurs, mais qui, par leur accumulation dans le temps, sont rendus graves et empêchent par leur somme la poursuite du contrat de travail ; 
  • ou encore de la méconnaissance des salariés de leur droit à prendre acte du contrat de travail, qui implique souvent qu’un certain temps se déroule entre la connaissance des manquements de l’employeur et la prise d’acte par le salarié.

 

C’est ainsi que, par exemple, par une décision de novembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Paris pouvait, d’une part, condamner l’employeur à payer au salarié un rappel de salaire de plus de 20 000 € sur trois ans, mais, d’autre part, rejeter sa demande de prise d’acte au motif laconique que les manquements reposant sur le non-paiement de son salaire en intégralité étaient « anciens ».

 

Or, les manquements avaient certes commencé plus de trois ans auparavant, mais ils s’étaient accumulés jusqu’à la prise d’acte du salarié.


Ce faisant, le Conseil de prud’hommes se fondait sur les décisions de la Cour de cassation de 2014 (voir la décision jointe Conseil de prud’hommes, 22 novembre 2017, n° 17/07200).

 

Heureusement, par son arrêt du 15 janvier 2020, la Cour de cassation vient enfin apporter la précision nécessaire : des manquements anciens mais persistants justifient bien la prise d’acte.


Le cas d’espèce soumis à la Cour est intéressant à analyser puisqu’il s’agissait d’un salarié qui faisait l’objet d’intimidations, de menaces et de harcèlement moral depuis 1992. Or, ce dernier avait pris acte de la rupture de son contrat de travail en octobre 2013, soit 20 ans plus tard.

La Cour de cassation précise, dans ces arrêts désormais didactiques, les raisons pour lesquelles elle confirme la décision de la Cour d’appel, en considérant que cette dernière a pu juger justifiée la prise d’acte car : 

« la persistance de ces manquements rendait impossible la poursuite du contrat de travail. » (Cour de cassation, 15 janvier 2020, n° 18-23417).

On espère que cette décision ramènera le mouvement de balancier initié en 2014 à une plus juste appréciation de la prise d’acte par les juridictions prud’homales.