Au vu du contexte particulier lié au confinement imposé par l’épidémie de COVID-19, mais aussi des conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations du premier tour de scrutin, le gouvernement a finalement décidé de prolonger le délai de contestation des opérations électorales du 15 mars 2020.

Ce sont les dispositions de deux ordonnances entrées en vigueur le 27 mars dernier qui prévoient les modalités exceptionnelles de contestation du premier tour des élections municipales de 2020.


En règle générale, l’article R. 119 du code électoral enferme dans des délais très courts la possibilité offerte aux citoyens de contester les opérations électorales concernant la désignation des conseillers municipaux :

« Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d’irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l’élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. Elles sont immédiatement adressées au préfet qui les fait enregistrer au greffe du tribunal administratif.
Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai
 » (alinéas 1 et 2).

Tout au plus le préfet dispose-t-il en principe d’un délai de 15 jours à compter de la réception du procès-verbal du scrutin pour exercer un recours de son côté (alinéa 3).

En raison du contexte particulier lié au confinement imposé par l’épidémie de COVID-19, le gouvernement a choisi de donner la possibilité aux citoyens qui estiment que des irrégularités doivent être dénoncées, de saisir le juge administratif au-delà de ce délai de 5 jours suivant le scrutin.

Rien ne semble avoir été prévu, en revanche, en ce qui concerne le délai donné au préfet pour exercer un recours.

Les modalités exceptionnelles de contestation du 1er tour des élections municipales du 15 mars 2020 ont été précisées par l’Ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, parue le lendemain 26 mars au Journal Officiel.

Deux hypothèses semblent devoir être distinguées :

  • la contestation de la désignation de candidats dès le premier tour des élections municipales du 15 mars 2020 ;
  • la contestation des opérations électorales qui n’auraient abouti à l’élection d’aucun élu, alors que tel ou tel candidat aurait dû être élu dès le premier tour.

1/ Contester l’élection de conseillers municipaux dès le premier tour est encore possible !

L’article 15, II, 3° de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 prévoit que, par exception :

« Les réclamations et les recours mentionnées à l’article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour, fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 dans les conditions définies au premier alinéa du III de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 susvisée ou, par dérogation, aux dates prévues au deuxième ou troisième alinéa du même III du même article ».

Le gouvernement a donc décidé qu’au vu du contexte particulier lié à la gestion de l’épidémie de Covid-19, le délai de cinq jours pour contester les opérations électorales du 15 mars 2020 (1er tour des élections municipales) courrait à compter de la date de prise de fonction des conseillers élus, et non pas, comme cela est le cas en temps normal, à compter de la date de l’élection.

En pratique, cette disposition a pour conséquence de redonner la possibilité à ceux qui auraient manqué le coche de contester l’élection d’un ou de plusieurs candidats à l’issue du premier tour des élections municipales 2020.

En conséquence, il est à nouveau possible de contester l’élection de conseillers municipaux dans un délai qui expirera seulement 5 jours après l’installation du conseil municipal nouvellement élu, et au plus tard au mois de juin prochain.


 

2/ Contester les opérations électorales du premier tour semble plus délicat en l’absence d’élus à l’issue du scrutin du 15 mars 2020…

Pour rappel, dès lors que l’on ne conteste pas les résultats du premier tour d’une élection, il n’est en principe plus possible de soulever les irrégularités qui l’aurait entaché à l’occasion d’un recours dirigé contre les résultats du second tour (CE, 25 juillet 1986, Él. cant. d’Amiens-II Nord-Ouest, T. p. 546). Il est néanmoins toujours possible, à l’occasion d’une contestation du second tour de scrutin, de soutenir que certaines irrégularités du premier tour ont affecté les résultats définitifs de l’élection (CE, 29 décembre 2014, req. n°383.127, publié au Recueil).

En l’absence d’élus au premier tour, il peut donc être opportun de contester la régularité de ces opérations électorales afin qu’il soit jugé qu’elles auraient dû conduire à l’élection de tel ou tel candidat.

En effet, si le juge administratif est en principe saisi pour annuler des opérations électorales ayant conduit à la désignation d’élus, rien n’empêche qu’il puisse également être saisi pour annuler des opérations électorales demeurées infructueuses.

Dans ce cas, le requérant doit impérativement démontrer qu’une erreur dans le décompte des votes a empêché son élection ou celle d’autres candidats. En toute hypothèse, pour que la requête soit recevable, le requérant ne doit pas se borner à solliciter l’annulation des opérations électorales, mais doit également demander au juge administratif d’entériner la proclamation d’un ou de plusieurs candidats [1].

En effet, le juge de l’élection étant investi de prérogatives liées aux recours de plein contentieux, il dispose du pouvoir de proclamer élu tel ou tel candidat, à la condition, par exemple, qu’ait été établie une erreur dans le décompte des suffrages (toutes les irrégularités ne permettent en revanche pas de procéder à une telle injonction, notamment lorsqu’il s’agit de manœuvres frauduleuses).

En ce qui concerne la contestation du 1er tour des élections municipales du 15 mars 2020.

Dans l’hypothèse où les opérations électorales contestées n’auraient pas abouti à l’élection de conseillers municipaux, il est très incertain que la dérogation prévue à l’article 15, 3° précité de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 soit applicable.

En effet, si ce texte prévoit que « les réclamations et les recours mentionnées à l’article R. 119 du code électoral peuvent être formées contre les opérations électorales du premier tour des élections municipales organisé le 15 mars 2020 », c’est « au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la date de prise de fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès ce tour […] ».

La prorogation exceptionnelle du délai de contestation des opérations électorales du 15 mars 2020 serait seulement applicable dans l’hypothèse où des élus auraient été désignés à l’issue du premier tour.

Au cas contraire, c’est-à-dire en l’absence d’élu, la dérogation prévue à l’article 15, II, 3° de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ne s’appliquerait pas.

Ce seraient donc les dispositions du point I qui devraient s’appliquer, lesquelles renvoient à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire.

Or, il est expressément indiqué à l’article 1er de ladite ordonnance n° 2020-306 (point II,1°) que les contentieux relatifs aux élections sont par principe exclus des mesures prises par le gouvernement pour proroger les délais de procédure :

« I. ‒ Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée.
II. ‒ Les dispositions du présent titre ne sont pas applicables :
Aux délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections régies par le code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable ; / […]
 ».

On en déduit que les opérations électorales qui n’auraient pas donné lieu à élection à l’issue du premier tour seraient totalement exclues du champ d’application des dispositions dérogatoires des ordonnances du 25 mars 2020, de sorte que les dispositions de droit commun du code électoral continueraient de leur être applicables.

Par suite, si l’on retient une interprétation stricte des textes précités, le délai de droit commun prévu à l’article R. 119 dudit code ayant expiré depuis le 20 mars 2020 à 18h00, seule une contestation à l’issue du second tour paraît encore envisageable pour remettre en cause un premier tour n’ayant abouti à la désignation d’aucun élu – il sera en effet toujours possible d’invoquer les irrégularités du premier tour, en démontrant qu’elles ont affecté les résultats du second.

Cependant, au vu du caractère exceptionnel né de la crise du Covid-19 et des conditions dans lesquelles s’est tenu le scrutin du 15 mars 2020, il n’est pas exclu que le juge administratif, s’il devait être saisi d’une contestation relative à l’absence d’élection dès le premier tour alors que tel ou tel candidat aurait dû être proclamé élu, interprète les dispositions précitées de l’article 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 comme ayant prorogé l’ensemble des contentieux électoraux relatifs au scrutin du 15 mars 2020, indépendamment de la désignation d’élus.

Nota bene : en cas de difficulté, il reste toujours possible d’envisager un recours en annulation directement à l’encontre des dispositions de l’ordonnance précitées ou bien d’invoquer leur illégalité par voix d’exception à l’occasion d’un recours en contestation électorale, en tant qu’aucun délai supplémentaire n’a été prévu pour contester le 1er tour des élections municipales en l’absence d’élu…

Dans l’hypothèse d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État, dirigé directement contre l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, le délai de recours expirera le 27 mai 2020, soit deux mois après sa publication au Journal Officiel.

En ce qui concerne la possibilité d’invoquer son illégalité par voie d’exception à l’occasion d’une contestation des opérations électorales, elle restera ouverte tant que l’ordonnance n’aura pas été ratifiée par le Parlement.


Dans quels délais statuera le tribunal administratif ?

L’article 17 de l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 prévoit que « le délai imparti au tribunal administratif pour statuer sur les recours contre les résultats des élections municipales générales organisées en 2020 expire, sous réserve de l’application de l’article L. 118-2 du code électoral, le dernier jour du quatrième mois suivant le deuxième tour de ces élections. ».

En conséquence, alors que l’article R. 120 du code électoral accorde en principe au tribunal administratif, pour se prononcer, un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la réclamation au greffe, voire trois mois en cas de renouvellement général des conseillers, les mesures prises par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire liée à l’épidémie du COVID-19 accorde aux tribunaux saisis un délai prolongé jusqu’au dernier jour du quatrième mois suivant l’organisation du second tour de ces élections (sauf intervention de la commission des comptes de campagne qui implique un sursis à statuer supplémentaire).

 

[1] v. pour un raisonnement a contrario : CE, 29 décembre 2014, n° 382.058 ; CE, 5 novembre 2014, n° 379.845 ; CE, 28 octobre 1996, n° 176.940 et autres, mentionné aux Tables ; CE, Sect., 4 décembre 1992, n° 136.077 et autres, publié au Recueil.