L’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 n’a pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux qui peuvent être payés spontanément ou par compensation, mais interdit l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur.

Le jugement de la 18e chambre du tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 a fourni une première piste de lecture sur l’appréhension par les juridictions du contentieux relatif aux loyers commerciaux impayés durant la période de fermeture administrative due à l’épidémie de covid-19.

 S’il est regrettable que cette décision ne se prononce pas sur l’effectivité du recours à des notions telles que la force majeure ou l’exception d’inexécution, elle demeure cependant très riche d’enseignements.

En effet, ce jugement met en évidence l’exigibilité des loyers commerciaux durant cette période et permet une résurgence remarquable de la bonne foi qui, comme à son habitude, tempère les ardeurs des contractants trop vindicatifs.

En l’espèce, un preneur et son bailleur étaient en procédure depuis 2013 afin de fixer le montant du loyer de renouvellement d’un bail commercial. À la suite d’un arrêt du 29 janvier 2020 de la cour d’appel de Paris, le bailleur a été déclaré redevable envers son preneur d’une certaine somme au titre d’un trop-perçu de loyer durant le cours de la procédure.

N’ayant pas provisionné la somme en question et rencontrant des difficultés économiques à raison de sa cessation d’activité du fait de la pandémie, le bailleur a sollicité tant des délais de paiement pour le solde de sa dette qu’une compensation avec les loyers échus durant la période de fermeture administrative et demeurés impayés par son preneur.

Le preneur refusant tout délai de paiement poursuit l’exécution de la décision de la cour d’appel de Paris.

De son côté, le bailleur assigne à jour fixe afin d’obtenir un échelonnement de sa dette et sa compensation avec les créances de loyers impayés du preneur.

Le preneur soutient alors que la fermeture administrative de son commerce est de nature à le décharger de son obligation de paiement des loyers et qu’en conséquence, toute compensation avec la dette de son bailleur est à exclure.

L’argument était soutenu que la période juridiquement protégée a eu pour effet de reporter l’exigibilité des loyers échus excluant donc toute compensation.

Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’ayant pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais interdit uniquement l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement, la compensation des loyers impayés à son profit est donc acquise.

De plus, le tribunal retient qu’en application de l’exigence de bonne foi, les parties étaient tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives.

Le bailleur ayant fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’avait fait aucune démarche en retour, seul le bailleur avait exécuté ses obligations de bonne foi.

 Dès lors, le tribunal a fait droit à sa demande de paiement intégral des loyers du deuxième trimestre 2020 par la voie de la compensation.

À la lecture de ce jugement, on regrettera que le preneur n’ait pas fait le choix de développer des moyens de défense percutant tels que la force majeure, l’exception d’inexécution, la perte temporaire de la chose louée ou encore l’imprévision.

La notion d’imprévision était, particulièrement une option juridique à creuser de toute évidence.

Cependant ce jugement est riche en enseignements tant sur les incidences de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 sur l’exigibilité des loyers durant la période protégée que sur les modalités de leur recouvrement.

Tout d’abord, rappelons qu’aux termes de l’article 1347-1 du code civil, la compensation n’a lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Or, selon l’article 4 de l’ordonnance précitée du 25 mars 2020, le créancier ne pouvait recourir à l’exécution forcée pour recouvrer les loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020.

Ce texte n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité des loyers dus par le preneur à bail commercial. Ce dernier peut donc, tout à fait, payer spontanément ou régler pas compensation.

Cette solution est parfaitement logique, puisque la suppression de l’exigibilité de loyer aurait eu pour effet de priver de tout fondement les paiements libératoires opérés spontanément par les preneurs diligents.

Plus important, il doit être relevée la référence appuyée du tribunal à l’exigence de bonne foi en présence de circonstances exceptionnelles.

En effet, la bonne foi dans l’exécution des contrats est une règle d’ordre public. En application de ce principe, le juge peut sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle sans porter atteinte aux droits et obligations des parties (Com. 10 juill. 2007, n° 06-14.768)

En l’espèce, il est à relever que les magistrats ont pris en compte le comportement du bailleur qui n’a pas exigé immédiatement le paiement des loyers échus durant la période d’urgence sanitaire. Ce faisant, il a adapté les modalités d’exécution des obligations dont il est créancier. Le tribunal en a déduit une exécution de bonne foi justifiant la compensation opérée à son profit.

En somme, cette décision est révélatrice de l’intention des juridictions d’inviter les contractants à aménager eux-mêmes les répercussions économiques de la période de fermeture administrative.

C’est d’ailleurs ce que l’on constate dans notre pratique professionnelle.

Mais dans un monde idéal, tous les bailleurs et preneurs s’entendraient, prenant conscience que ce drame sanitaire les a touchés tous les deux.

Cependant, cela nous ramène toujours à la notion de bonne foi, que l’on placera toujours au centre des débats autours de la demande de délais formée au juge.

La multiplication actuelle des procédures de paiements de loyers et d’acquisition de clause résolutoire va laisser au juge son rôle fondamentale d’arbitre.

On attend, par contre, avec intérêt, les prochaines décisions  sur la notion d’imprévision.

 

 

 

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