Le présent article est destiné à vous informer sur les enjeux pour le locataire de la réalisation de travaux non autorisés dans son local commercial, compte tenu de leur impact potentiel sur le devenir du bail et dans certains cas, sur le loyer.

 

Prenons l’hypothèse d’un locataire qui a réalisé des travaux dans le local pris à bail, sans autorisation du bailleur :

En présence de travaux non autorisés, le bailleur pourrait être amené à solliciter la résiliation judiciaire anticipée du bail ou donner congé au locataire pour le terme du bail en cours ; voire inversement, solliciter une augmentation du loyer (par l’effet de la clause d’accession en fin de bail).

Dans le premier cas, c’est une résiliation en cours de bail qui est recherchée, tandis que dans la seconde hypothèse, c’est la mise en échec du droit au renouvellement.

Droit au renouvellement dont va généralement bénéficier l’occupant d’un local si son bail est soumis au statut des baux commerciaux, également appelé « propriété commerciale », tant ce droit est fort au regard du droit à indemnité d’éviction qui protège le locataire commercial évincé par son bailleur.

Un motif grave et légitime peut donc venir justifier un refus de renouvellement du bail commercial à son terme, ou une résiliation anticipée de celui-ci, sans paiement d’une quelconque indemnité d’éviction, qui est sinon obligatoire.

 

Impact des clauses stipulées dans le bail :

 

Généralement, le bail contient une clause aux termes de laquelle :

- il est interdit au locataire d’effectuer des travaux de transformation, de changement de distribution sans accord préalable et écrit du bailleur ;

- les travaux affectant le gros œuvre et la toiture devront se dérouler sous la surveillance et le contrôle d’un maître d’œuvre désigné par le bailleur ou de l’architecte de l’immeuble, aux frais exclusifs du locataire ;

- enfin, si l’immeuble est soumis au régime de la copropriété, le preneur doit communiquer au bailleur les éléments nécessaires à l’obtention de l’autorisation du syndicat des copropriétaires préalablement à tous travaux lorsque celle-ci est nécessaire (risque d’atteinte aux parties communes, réunion de lots…). Propriétaire à qui incombera ensuite de présenter une demande de résolution(s) à inscrire à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble en bonne et due forme.

De plus, par le jeu de la clause d’accession généralement stipulée au bail, le bailleur deviendra propriétaire des aménagements réalisés par le preneur, soit en fin de bail, soit en "fin de jouissance" (c'est-à-dire à la fin de tous les baux qui se seront renouvelés avec le même locataire), le tout généralement sans indemnité due au preneur qui les aura cependant financés.

Il est généralement prévu dans la clause d’accession que le bailleur pourra, à son choix, exiger de son locataire sortant le paiement du coût des travaux de remise en l’état antérieur.

En présence d’une clause d’accession et si l’on est soumis au plafonnement du loyer lors du renouvellement du bail (cas des boutiques et non des bureaux), le bailleur devenu propriétaire en fin de bail des aménagements réalisés par son locataire, cela pourra avoir une incidence à la hausse sur le loyer du bail renouvelé dans la mesure évidemment où ces travaux seraient de nature à justifier un déplafonnement du loyer (comme par exemple, des aménagements permettant une augmentation de la surface de vente, …).

L'incidence potentielle sur l’augmentation du loyer du bail renouvelé sera différente suivant la nature des travaux réalisés (les travaux dits « d’amélioration » ou de « modification » des locaux s’appréciant au renouvellement à bail +1 ou bail + 2) et variable en fonction du fait que les travaux réalisés par le locataire appartiendront au bailleur en fin de bail ou de jouissance, justifiant ou non un déplafonnement de loyer.

Or, il est acquis que même des travaux non autorisés peuvent justifier une demande de déplafonnement du loyer qui pourrait être réclamée par le bailleur devant le Juge des Loyers Commerciaux, en l'occurrence à la hausse (dès lors que la nature et l’importance des travaux engagés le justifieraient) !

Ainsi, si le preneur a effectué des travaux apportant une modification contractuelle au bail expiré (par ex. transformation d’une dépendance à usage d’habitation en surface de vente), le bailleur pourra, en invoquant l’acceptation tacite, demander le déplafonnement au lieu de la résiliation du bail.

Il faut en avoir conscience, car entre l'incidence éventuelle sur le loyer (hausse), les coûts potentiels lors de la restitution des locaux et les enjeux liés aux travaux, il ne faut pas hésiter à consulter un avocat pour voir si juridiquement, il est opportun de se lancer ou non dans la réalisation des travaux envisagés !

 

Incidence des travaux sur une éventuelle résiliation du bail :

 

La jurisprudence retient généralement comme circonstances pouvant constituer des motifs graves et légitimes de refus de renouvellement du bail, l'exécution par le locataire de travaux non autorisés par le propriétaire.

Il convient donc, pour l’entrepreneur désireux d’exécuter des travaux dans le local qu’il loue, d’être vigilant quant au respect de ses obligations contractuelles, mais pas seulement.

En effet, même lorsque le bail ne comporte aucune clause relative aux travaux, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a considéré que « l'obligation générale d'user de la chose louée en bon père de famille impose au preneur de ne pas modifier, sans autorisation, le gros œuvre et la structure de l'immeuble, la cour d'appel, qui a constaté que les époux X… en ouvrant des communications avec l'immeuble voisin, en modifiant l'emplacement de la porte d'entrée et en démolissant les plafonds des locaux loués, avaient porté atteinte à la structure et aux parties essentielles de l'immeuble, a souverainement retenu que ces travaux constituaient un juste motif de refus de renouvellement du bail sans indemnité d'éviction ».

De manière générale, on considère que sont des obligations essentielles du bail dont la violation est susceptible de justifier sa résiliation :

-      un défaut de paiement des loyers (si chacun des retards invoqués a été précédé d’une mise en demeure et n'a pas été suivi d'un règlement dans le mois),

-      un changement de destination du bail (activité non autorisée),

-      la modification des lieux sans autorisation du bailleur,

-      la violation d’une interdiction de sous-louer ou de céder,

-      la non-exécution par le locataire de travaux lui incombant …

Le degré de gravité des fautes pouvant justifier une résiliation du bail commercial est apprécié souverainement par les juges.

Mais il faut savoir qu’un ensemble de fautes dont aucune, à elle seule, ne constituerait un motif grave et légitime, peut néanmoins être considéré comme ayant ce caractère en raison de leur accumulation (Cass. soc., 8 juill. 1954 : Ann. loyers, 1955, 136 ; CA Nîmes, 11 févr. 1957 : Ann. loyers 1959, 547 ; CA Lyon, 18 juin 1957 : Ann. loyers 1958, 417).

En pratique, la résiliation judiciaire est assez difficile à obtenir car les juges hésitent à prononcer une sanction dont les effets seront souvent graves pour le locataire et ses employés (perte du fonds de commerce, chômage des salariés…).

 

Que se passe t-il en cas de changement de propriétaire ou de locataire, après des travaux non autorisés ?

 

La question demeure plus complexe en cas de cession du droit au bail (changement de locataire) ou dans la propriété du local (changement de propriétaire)après que l’infraction au bail ait été commise.

En effet, par principe, le « motif grave et légitime » justifiant la résiliation ou le non-renouvellement ne peut être constitué que par une faute imputable au locataire en place et non à son prédécesseur dans l’exploitation du fonds de commerce.

Ainsi, le cessionnaire d'un bail commercial ne pourrait de prime abord se voir opposer les motifs graves qui étaient le fait de son cédant, ce qui est une précision importante et relativement logique au regard de la connaissance des lieux qu’est supposée avoir le bailleur au travers des états des lieux d’entrée et de sortie, devenus désormais obligatoires.

Mais il en sera autrement pour des infractions au bail qui se poursuivent après la cession et auxquelles le cessionnaire peut mettre fin (en réalisant par exemple des travaux pour mettre fin à un trouble de jouissance dont l’origine est antérieure à la cession ou pour des dégradations et réparations exigibles en fin de bail).

De même, l’acquéreur de l’immeuble ne peut agir contre le locataire pour des manquements au bail qui seraient antérieurs à la vente, à moins :

-      d’une cession de créance ou d’une subrogation expresse,

-      ou que les manquements se soient poursuivis après celle-ci.

Il a cependant été jugé que le congé donné au locataire comportant refus de renouvellement sans indemnité d'éviction pour motif grave et légitime peut être invoqué par l'acquéreur de l'immeuble en cas de vente de celui-ci après le congé.

Il sera néanmoins prudent de prévoir une subrogation expresse dans l’acte de vente.

 

Sur la procédure de refus de renouvellement du bail :

 

Suit ensuite une procédure stricte, qu’il est souhaitable de confier à un avocat spécialisé car le refus de renouvellement du bail pour motif grave et légitime ne peut être opposé au locataire que s'il a été exprimé dans un acte extrajudiciaire régulièrement signifié et parfaitement motivé.

Tout d’abord, un tel refus n'est opposable au locataire que s'il a été précédé d'une mise en demeure qui ouvre à ce dernier un délai d'un mois pour se mettre en règle.

L'infraction commise par le preneur ne pourra être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser.

La mise en demeure suit donc un formalisme particulier : elle doit être faite par acte extrajudiciaire, lequel doit préciser non seulement l'infraction reprochée mais faire injonction au preneur de faire cesser celle-ci dans le délai d'un mois et reproduire en outre les dispositions de l’art. L. 145-17, I, 1° du Code du commerce, à peine de nullité.

Si le propriétaire voit reconnaître judiciairement la légitimité du motif qu'il a invoqué, il peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité.

Le locataire est en ce cas frappé d'une véritable déchéance du droit au renouvellement.

N'ayant plus aucun titre à l'occupation des lieux, il doit les quitter et peut en être expulsé.

En revanche, l'absence ou l'insuffisance de motivation d'un congé avec refus de renouvellement pour motifs graves et légitimes laisse subsister le congé et le droit pour le preneur au paiement d'une indemnité d'éviction.

 

Quid de l’éventuelle poursuite d’activité similaire par le bailleur ou un autre exploitant, après un refus de renouvellement du bail :

 

Enfin contrairement à ce que prévoyait la législation antérieure, aucune disposition légale ne limite l'usage que peut faire des lieux le bailleur, qui a obtenu l'expulsion de son locataire sans indemnité pour motif grave et légitime !

Il peut donc les relouer ou les occuper personnellement, même pour l'exploitation d'un commerce identique à celui du locataire évincé, sans lui être redevable d'aucune indemnité.

Sous réserve bien entendu qu’il ne se rende pas alors coupable d’actes de concurrence déloyale (par exemple si le nouvel occupant se livrait à des manœuvres tendant à faire croire à la clientèle qu'il est le successeur du locataire évincé).

 

On comprend donc l'enjeu d'être parfaitement conscient de ces risques et de consulter en amont un avocat spécialiste, avant de se lancer dans des travaux d’amélioration ou de transformation quelconques dans son local commercial !