Dans un arrêt du 12 septembre 2019, la Cour de cassation (Cass civ 3e, 12 septembre 2019 n° 18-20.727) a rejeté le pourvoi formé par les locataires d’un appartement situé dans un quartier très prisé et touristique de la capitale, condamnés en appel à devoir restituer au propriétaire les sous-loyers qu’ils avaient perçus en sous-louant cet appartement sans autorisation du bailleur, à un tarif bien supérieur à celui dont ils étaient eux-mêmes redevables envers ce dernier au titre du bail principal (Cour d’appel de Paris pôle 4 ch. 4, 5 juin 2018 n°16/10684).
Ainsi, le principe est clairement posé : « ayant relevé que les locataires avaient sous-loué l’appartement pendant plusieurs années sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ».
La Cour suprême conforte donc la solution dégagée par les juges d’appel suivant laquelle les « sous-loyers » (ceux directement perçus par le locataire auprès du sous-locataire) constituent des « fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire » quand bien même celui-ci ne serait pas partie au contrat de sous-location.
En d’autres termes, le code civil prévoyant que la propriété d’un bien donne droit aux fruits qu’il produit, la sous-location reviendra donc au propriétaire, justifiant son indemnisation à hauteur de la totalité des sommes perçues par son locataire devenu sous-bailleur.
Les sous-loyers reviennent donc « de droit » au véritable propriétaire des lieux, à qui le locataire devra reverser ce qu’il a cru pouvoir encaisser à son profit exclusif, en menant sa propre affaire…
Peu importe le temps et l’énergie qu’il aura lui-même consacrés pour la mise en sous-location, sa mauvaise foi présumée - puisqu’il est ici question de sous-location clandestine et lucrative commise en dehors de toute obligation contractuelle, fiscale et administrative - est clairement sanctionnée par :
- le reversement intégral des sous-loyers perçus,
- sans déduction possible des loyers principaux (dont il doit également s’acquitter au titre du bail principal, peu important sa propre durée d’occupation du bien, forcément limitée par la mise en sous-location totale ou partielle),
- ni bien entendu, des éventuels loyers tiers qu’il aura pu exposer pour se loger ailleurs durant la sous-location,
- indemnité pouvant être majorée des intérêts de retard au taux légal avec capitalisation annuelle depuis l’assignation ou la décision de justice, des frais de justice et d’exécution (avocat, huissier),
- enfin, sans compter les fortes amendes encourues auprès des autorités publiques éventuellement saisies (cf ci-après).
La sanction devient coûteuse, sans rien lui rapporter. Croyant avoir fait un bon calcul de rentabilité, le locataire se retrouve dépouillé en cas de procédure !
Cette jurisprudence marque un tournant décisif dans l’appréciation des conséquences de la sous-location occulte, en allouant au propriétaire - spolié du profit intrinsèquement lié à la propriété de son bien - la totalité des sous-loyers encaissés par le locataire devenu sous-bailleur à son heure... ; là où précédemment, les juges ne lui reconnaissaient qu’un vague préjudice moral manquant singulièrement de consistance au regard des sous-loyers encaissés.
Pour aller plus loin :
La Cour d’appel (dont l’arrêt est ici confirmé par la Cour suprême) avait fondé sa décision sur le droit d’accession des « fruits civils » qui avait alors paru innovante dans cette nouvelle application pratique, battant en brèche quelques arguties juridiques alors opposées par les locataires (devenus sous-bailleurs à leur tour).
Ceux-ci invoquaient en effet le principe de l’inopposabilité des contrats (à ceux qui y sont tiers, à savoir les non-contractants ou en d’autres termes, ici, le bailleur principal) ; ces derniers (les locataires principaux) arguaient ainsi que « la sous-location irrégulièrement consentie est inopposable au propriétaire mais produit tous ses effets entre le locataire principal et le sous-locataire ; qu’en conséquence, seul le locataire est créancier des sous-loyers ».
Or, c’est précisément en ce sens que statuaient précédemment les juges du fond, considérant que le bailleur ne pouvait prétendre tout au plus qu’à l’allocation de dommages et intérêts au titre d’un préjudice « moral ». Et précisément dans le cas jugé en l’espèce, le propriétaire ne s’était vu allouer en première instance (*) qu’une somme de 5 000 € malgré les preuves apportées par le bailleur des recettes générées durant plusieurs années à ses locataires indélicats, à raison de 700 € / semaine…
(*) soit aux termes d’un jugement infirmé par la cour d’appel, dont l’arrêt a ensuite été confirmé par la cour de cassation
Saisie de ces moyens par le pourvoi en cassation des locataires, la Cour de cassation rejette désormais en bloc la position âprement défendue par les locataires, sans doute soucieuse de rétablir un peu d’ordre et de morale face au lucratif développement, via des plateformes de type Airbnb, de sous-locations meublées de courtes durées d’appartements généralement loués à la semaine pour autant qu’ils soient bien situés, en des zones attractives sur le plan touristique, le plus souvent à Paris ou dans les grandes villes, au grand dam de leurs véritables propriétaires et en dehors de toutes règles contractuelles, administratives, fiscales, d’assurance, etc…
L’on aura compris les véritables enjeux de l’affrontement de ces deux grands principes civilistes de notre droit positif, dont l’intérêt résidait davantage dans l’antagonisme manifesté entre des intérêts financiers assez opposés, qu’en la défense d’une théorie juridique intellectuelle plutôt qu’une autre, n’ayant d’éloges qu’auprès des seuls praticiens du droit, aptes à en percevoir les arcanes afin de mieux les utiliser… mais c’est un autre débat !
Cette solution étant désormais dégagée, nul doute qu’elle pourra être généralisée au-delà des seuls baux d’habitation (cas jugé ici) à d’autres types de baux (commercial, meublé, professionnel, mixte, soumis au droit commun, rural…) et qu’elle aura vocation à être étendue à d’autres locataires aventureux qui croiraient à dessein pouvoir s’affranchir de l’interdiction de sous-location résultant de leur bail, sauf dérogation statutaire ou conventionnelle.
Etant précisé que lorsque les baux intègrent une clause autorisant la sous-location (généralement rencontrée dans les baux commerciaux et professionnels) c’est à la condition que le loyer perçu dans le cadre du sous-bail ne puisse jamais dépasser le loyer principal – au prorata des m² sous-loués en cas de sous-location partielle – le bailleur disposant, en cas de dépassement, d’une action judiciaire en supplément de loyer qui lui permet de récupérer le surplus de loyer (et non la totalité du sous-loyer) ainsi dégagé indument par son locataire.
Paradoxalement, le bailleur ayant consenti une clause de sous-location dont les conditions n’étaient pas respectées se voyait mieux protégé (perception du différentiel de sous-loyer), qu’en cas de sous-location occulte dans un bail qui l’interdisait (ne lui ouvrant droit qu’à un préjudice moral).
Il existe par ailleurs un arsenal juridique d’amendes pénales et administratives plutôt élevées, adoptées lors de la loi de Lutte contre la fraude du 23 octobre 2018 (n° 2018-898) ou de la loi ELAN du 23 novembre 2018 (n° 2018-1021), certaines municipalités et le législateur ayant réagi face au constat de multiples violations de la réglementation relative à l’affectation des immeubles et la soustraction de nombreux logements à la location dite classique.
L’innovation de cet arrêt réside dans le fait que sont désormais intégrés les intérêts financiers du propriétaire, qui se voyait jusqu’alors écarté de cette manne, et ce tant par l’attitude de son locataire (le spoliant du profit réalisé par ce dernier) que par les autorités administratives (qui se servaient généreusement au passage, au moyen de pénalités et amendes infligées aux locataires contrevenants), le laissant démuni à devoir revendiquer un bien maigre préjudice « moral » notion sur lequel il est de notoriété que les juridictions sont bien peu généreuses, au terme d’une longue procédure qui n’en présentait généralement guère l’intérêt, si ce n’est de pouvoir enfin récupérer son bien prématurément au travers d’une action en résiliation du bail (motivée par la violation grave de ses obligations contractuelles par le locataire, précisément !).
On voit donc ici que la revendication des sous-loyers basée sur l’accession s’avère utile à bien des égards et que telles théories juridiques présentent une consistance certaine dans leurs applications pratiques…
Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.
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