En matière de protection juridique, une idée reçue persiste : une lourde dépendance physique justifierait à elle seule le maintien d'une mesure de curatelle ou de tutelle. Or, la loi et la jurisprudence nous rappellent un principe fondamental : la protection juridique ne doit être mise en place que si le handicap physique (corporel) place la personne dans l'impossibilité d'exprimer sa volonté.

La jurisprudence récente, à travers deux décisions éclairantes, illustre parfaitement que la dépendance physique, même totale, ne doit pas priver une personne de sa capacité juridique et de sa liberté.

1. L'analyse de la volonté par la Cour d'Appel

Une décision rendue par la Cour d'Appel de Toulouse en 2021 offre un exemple concret. L'affaire concernait une femme atteinte d'une sclérose en plaques à un stade très avancé, la rendant entièrement dépendante pour tous les gestes du quotidien. En raison de son état, elle était placée sous curatelle renforcée.

La Cour d'appel a été saisie de la question du maintien de cette mesure. Le débat portait sur un point simple : malgré un corps lourdement atteint, ses facultés intellectuelles et sa capacité à exprimer ses souhaits étaient-elles intactes ?

Pour en avoir le cœur net, la Cour a ordonné une expertise médicale menée par un médecin spécialiste.

Les conclusions de ce rapport ont été déterminantes :

  • Aucune altération des facultés mentales n'a été constatée.

  • Malgré le handicap physique majeur, la personne était tout à fait en mesure d'exprimer sa volonté, ce qu'elle a d'ailleurs fait avec une grande clarté lors de l'audience.

En conséquence, la Cour a jugé que les conditions légales pour une mesure de protection n'étaient plus réunies. La curatelle a été levée (mainlevée), restituant à cette personne l'intégralité de ses droits et de son autonomie.

2. Le principe réaffirmé par la plus haute juridiction

Ce principe a été puissamment confirmé par la Cour de cassation dans une récente affaire.

Une femme, également sous curatelle, demandait la levée de sa mesure. La Cour d'appel avait refusé, au motif que pour communiquer, elle devait être assistée par une tierce personne qui installait son matériel informatique (un casque avec une tige lui permettant de taper sur un clavier). Pour les juges, cette nécessité d'une aide extérieure justifiait le maintien de la protection.

La Cour de cassation a annulé cette décision, livrant un enseignement capital : le fait de nécessiter une assistance humaine ou technique pour pouvoir exprimer sa volonté ne signifie pas être incapable de l'exprimer.

Dès lors que la personne, une fois aidée matériellement, peut faire connaître ses choix et ses décisions, on ne peut pas considérer que ses facultés corporelles "empêchent l'expression de sa volonté". Le raisonnement inverse est une violation de la loi.

Ce qu'il faut retenir de ces décisions

Ces deux affaires nous rappellent des principes essentiels en droit des personnes vulnérables :

  • La distinction cruciale : Il faut absolument distinguer la dépendance pour les actes de la vie quotidienne (se laver, manger, se déplacer) de l'incapacité à prendre une décision et à l'exprimer.

  • La volonté avant tout : Le seul critère qui compte pour le maintien d'une mesure est l'altération des facultés mentales ou l'incapacité réelle d'exprimer sa volonté.

  • L'aide technique n'est pas une faiblesse : Avoir besoin d'un ordinateur, d'une tablette ou de l'aide d'un proche pour communiquer est un moyen de pallier un handicap, et non la preuve d'une incapacité juridique.

Ces décisions sont des avancées majeures pour le respect des libertés fondamentales des personnes en situation de handicap. Elles garantissent que la protection juridique reste ce qu'elle doit être : une aide pour ceux qui en ont un besoin avéré, et non une privation de liberté par défaut.

Si vous ou l'un de vos proches vous interrogez sur la pertinence ou la nécessité d'une mesure de protection, il est essentiel de faire évaluer la situation au regard de ces principes.


Claudia CANINI

Avocat - Droit des majeurs protégés

www.canini-avocat.com


Sources : Civ. 1ère 12 juin 2025, n° 24-12.767


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