Soutien scolaire et TVA : pas de soutien du Conseil d’État, mais un petit goût d’inachevé...

A propos de la décision CE, 10 décembre 2021, n° 457050, « SNC MCC Axes »

 

Les prestations d’enseignement sont, en règle générale, exonérées de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Le bulletin officiel des finances publiques – impôts BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50, à jour au 16 octobre 2019, commente cette exonération : il y est ainsi rappelé que sont exonérés de TVA « l'enseignement scolaire, universitaire, technique, professionnel, agricole ou à distance, (...) la formation professionnelle continue, (...) [et les] cours ou leçons particuliers dispensés par des personnes physiques rémunérées directement par les élèves. » Par ailleurs, le paragraphe 45 de ce bulletin précise que « l'exonération s'applique dans les mêmes conditions aux prestations de soutien scolaire lorsqu'elles sont dispensées dans des établissements d'enseignement publics et privés régis par les dispositions du code de l'éducation [et bénéficiant déjà de l’exonération de TVA à raison de leurs prestations d’enseignement] ou lorsqu'elles sont réalisées par des organismes privés sans but lucratif, [dès lors qu’ils sont exonérés de TVA à raison de leur non-lucrativité] ». A contrario, l’administration fiscale n’admet pas que l’exonération de TVA puisse bénéficier à des prestations de soutien scolaire fournies par des sociétés commerciales n’ayant pas, par ailleurs, une activité d’enseignement.

La société MCC Axes, déplorant de ne pouvoir bénéficier de cette exonération de TVA, avait demandé l’abrogation de ces commentaires administratifs, puis, soutenue par d’autres sociétés du secteur, avait porté devant le Conseil d’État le refus du ministre de les abroger. Par la décision ici commentée, le Conseil d’État vient de rejeter la requête de la société MCC Axes. Au vu des arguments résumés dans la décision, celle-ci apparaît prévisible et inéluctable ; mais elle laisse un petit goût d’inachevé…

Reprenons un à un les arguments examinés par le Conseil d’État.

Il était tout d’abord reproché que l’exonération de TVA applicable aux cours particuliers fût réservée aux « cours ou leçons (...) dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves » - disposition dont ne peuvent bénéficier les sociétés de soutien scolaire puisque les élèves rémunèrent ces sociétés, qui rémunèrent ensuite les professeurs, et non directement les professeurs. Toutefois, cette disposition n’est que la reprise, sinon à lettre, du moins à l’identique dans l’esprit, de l’article 132-1-j de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lequel exonère de TVA « les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire ». Or, la portée de cette disposition avait déjà été définie par la Cour de justice de l’Union européenne, dans une décision « Werner Haderer » du 14 juin 2007 (C-445/05), d’ailleurs visée par le Conseil d’État :

- d’une part, dans le dispositif de l’arrêt : « les activités d’un particulier ayant le statut de collaborateur indépendant, consistant à dispenser des leçons de soutien scolaire ainsi que des cours de céramique et de poterie dans des centres d’enseignement pour adultes, ne peuvent bénéficier de l’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (...) que si de telles activités constituent des leçons données par un enseignant, pour son propre compte et sous sa propre responsabilité, et portant sur l’enseignement scolaire ou universitaire. » ;

- d’autre part, en son trentième considérant : « [il convient] de distinguer les prestations fournies par les organismes mentionnés à l’article [132-1-i de la directive du 28 novembre 2006], de celles, visées [à l’article 132-1-j de cette même directive], qui sont effectuées par des enseignants pour leur propre compte et sous leur propre responsabilité ».

Dès lors, il ne faisait guère de doute que les sociétés commerciales de soutien scolaire ne pouvaient prétendre au bénéfice de l’exonération dont profitent les enseignants donnant des cours particuliers.

Il était ensuite contesté que l’exonération des prestations d’enseignement n’eût pas été étendue aux prestations de soutien scolaire, soit que cette exclusion fût contraire à la directive du 28 novembre 2006, soit qu’elle portât atteinte au principe de neutralité de la TVA. Là encore, l’argument était voué à l’échec – et a échoué. Dans son arrêt « Horizon College » (14 juin 2007, C-434/05), la Cour de justice de l’Union européenne avait en effet indiqué que « l’activité d’enseignement visée à l’article [132-1-i de la directive du 28 novembre 2006] est constituée par un ensemble d’éléments qui incluent concomitamment ceux relatifs aux relations s’établissant entre enseignants et étudiants ainsi que ceux formant le cadre organisationnel de l’établissement en question » ; définition confirmée au vingt-sixième considérant de l’arrêt « A & G Fahrschul-Akademie GmbH » (CJUE, 14 mars 2019, C-449/17) ou, plus récemment encore, au vingt-huitième considérant de l’arrêt « Dubrovin & Tröger GbR – Aquatics » (CJUE, 21 octobre 2021, C-373/19) : « partant, la notion d’« enseignement scolaire ou universitaire », aux fins du régime de la TVA, renvoie, en général, à un système intégré de transmission de connaissances et de compétences portant sur un ensemble large et diversifié de matières, ainsi qu’à l’approfondissement et au développement de ces connaissances et de ces compétences par les élèves et les étudiants au fur et à mesure de leur progression et de leur spécialisation au sein des différents degrés constitutifs de ce système ».

De toute évidence, le soutien scolaire ne relève pas de cette définition.

Dès lors, l’invocation du principe de neutralité de la TVA ne pouvait être couronnée de succès. Rappelons à cet égard que « le principe de neutralité fiscale, s’agissant d’une expression particulière du principe d’égalité au niveau du droit dérivé de l’Union et dans le secteur particulier de la fiscalité (…) n’est pas une règle de droit primaire pouvant déterminer la validité d’une exonération (...). Il ne permet pas non plus d’étendre le champ d’application d’une telle exonération en l’absence d’une disposition non équivoque » (CJUE, 15 novembre 2012, C-174/11, « Ines Zimmermann », considérant n° 50).

Le dernier argument avancé par la requérante, tenant à une possible atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, à faire reconnaître par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, ne pouvait davantage prospérer, pour deux raisons au moins : d’une part, comme pour le précédent argument, parce que faute pour le soutien scolaire de relever de l’enseignement scolaire, rien ne saurait s’opposer à ce que des contribuables placés dans des situations différentes fussent traités différemment ; d’autre part, parce qu’à supposer même l’argument intellectuellement pertinent, « la transposition d’une directive ou l’adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. En l’absence de mise en cause d’une telle règle ou d’un tel principe, le Conseil constitutionnel n’est pas compétent pour contrôler la conformité à la Constitution de dispositions législatives qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ou des dispositions d’un règlement de l’Union européenne. Dans cette hypothèse, il n’appartient qu’au juge de l’Union européenne, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par cette directive ou ce règlement des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du traité sur l’Union européenne. » (CC, 15 octobre 2021, n° 2021-940 QPC, « Société Air France »). Difficile tout de même de prétendre que l’exonération ou la taxation du soutien scolaire remette en cause l’identité constitutionnelle de la France !

Ceux qui nous ont lu dans le passé pourront s’étonner que nous prenions la plume pour approuver une décision du Conseil d’État – approbations auxquelles nous réservons d’ordinaire un silence respectueux. Mais si nous ne trouvons rien à redire aux réponses du Conseil d’État, nous restons plus circonspect devant les questions qui lui étaient posées – ou, pour être parfaitement honnête puisque nous n’avons jamais eu accès aux pièces de procédure, devant la présentation qu’en fait le Conseil d’État dans sa décision.

L’article 132-1-i de la directive déjà citée dispose ainsi que « les États membres exonèrent (…) l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse, l'enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d'autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l'État membre concerné ».

Il est indéniable que les termes « éducation de l’enfance ou de la jeunesse » ne se retrouvent pas dans la réglementation française, qui se contente de décliner les différentes formes d’enseignement scolaire et universitaire (« l'enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés (…), l'enseignement universitaire dispensé dans les établissements publics et dans les établissements privés (…), l'enseignement primaire, secondaire, supérieur ou technique à distance, dispensé par les organismes publics ou les organismes privés » - article 261-4-4°-a du code général des impôts). Il est donc certain qu’il manque « quelque chose » dans le code général des impôts. Même s’il serait audacieux d’affirmer que le soutien scolaire pourrait tirer profit de ce manque, il est dommage que le Conseil d’État n’ait pas eu à se prononcer.

Si la version française de la directive emploie deux termes  (« éducation » d’une part, « enseignement » d’autre part – et le contour de l’ « éducation » est malheureusement toujours un peu flou), la version anglaise de la directive, en revanche, se contente d’un seul terme : « Member States shall exempt the provision of children's or young people's education, school or university education » ; à titre d’exemple, les commentaires publiés par le fisc irlandais en octobre 2020 indiquent que « While the education may be delivered outside the school environment or outside of school hours there are a number of conditions to be met to show that the education is equivalent to the curriculum. These conditions are as follows: the aim of the education must be to supplement the education programme that the pupil is currently undertaking at pre-school, primary or post primary school; the provider must be able to demonstrate that they are delivering the education to school-going children while they are contemporaneously following that education programme in school; the education must be of a standard and nature akin to that prescribed on either the early childhood curriculum or the curriculum provided by primary and post primary schools. » Il y a donc place au débat sur la portée de la première partie de cet alinéa ; et le lieu de ce débat n’est probablement pas le Conseil d’État, mais la Cour de justice de l’Union européenne, qui a tant de fois rappelé que « les exonérations visées à l’article [132 de la directive du 28 novembre 2006] constituent des notions autonomes du droit communautaire ayant pour objet d’éviter des divergences dans l’application du régime de la TVA d’un État membre à l’autre » (arrêt « Horizon College » déjà cité, considérant n° 15). L’application ne semble pourtant pas uniforme dans toute l’Europe !

Etonnamment, s’il existe plusieurs arrêts de la Cour de justice sur la notion d’enseignement scolaire ou universitaire, il ne semble pas qu’une décision ait déjà expressément porté sur la notion d’éducation de l’enfance ou de la jeunesse. Plus précisément toutefois, dans son arrêt « Akademia Biznesu » (CJUE, 28 novembre 2013, C-319/12), la Cour devait se prononcer sur la conformité à la directive TVA de la réglementation polonaise, qui exonérait de TVA les « services éducatifs », sans autre précision (l’on pourra d’ailleurs noter que le litige était porté par une société exonérée souhaitant être taxée – une situation exactement contraire à l’affaire jugée par le Conseil d’État !). La Cour a apporté quelques précisions intéressantes dans cette décision :

- « en ce qui concerne l'objectif poursuivi par l'exonération prévue à l'article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA, il ressort de cette disposition que ladite exonération, en assurant un traitement plus favorable, en matière de TVA, des prestations de services éducatifs, vise à faciliter l'accès à ces prestations en évitant les surcoûts qui découleraient de leur assujettissement à la TVA » (considérant n° 26). Il convient de noter, même si c’est au détour d’un simple considérant, que la Cour reprend à son compte la formulation générique : « services éducatifs » ;

- le caractère lucratif de l’organisme assurant le service éducatif est sans incidence sur le bénéfice éventuel de l’exonération de TVA (considérants n° 27, n° 28 et n° 33) ;

- « les prestations de services éducatifs visées ne sont toutefois exonérées que si elles sont fournies par des organismes de droit public à vocation éducative ou par d'autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l'Etat membre concerné. Il s'ensuit que les autres organismes, c'est-à-dire les organismes privés, doivent répondre à la condition de poursuivre des fins comparables à celles desdits organismes de droit public. » (considérant n° 35) ;

- « Dans la mesure où l'article 132, paragraphe 1, sous i), de la directive TVA ne précise pas les conditions ou les modalités auxquelles ces fins comparables peuvent être reconnues, il appartient, en principe, au droit national de chaque Etat membre d'édicter les règles selon lesquelles une telle reconnaissance peut être accordée à de tels organismes. Les Etats membres disposent d'un pouvoir d'appréciation à cet égard (...). En outre, il incombe aux juridictions nationales d'examiner si les Etats membres, en imposant de telles conditions, n'ont pas méconnu les limites de leur pouvoir d'appréciation en respectant les principes du droit de l'Union, en particulier le principe d'égalité de traitement, lequel se traduit, en matière de TVA, par le principe de neutralité fiscale » (considérants n° 37 et 38).

Le raisonnement de la Cour de justice de l’Union européenne dans cette affaire de novembre 2013 aurait donc dû conduire à ce que dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat en décembre 2021, le débat porte non sur la comparabilité du soutien scolaire et de l’enseignement, mais d’une part sur l’inclusion du soutien scolaire dans l’éducation de l’enfance et de la jeunesse, d’autre part sur la comparabilité du soutien scolaire privé et du soutien scolaire public, que ce dernier soit assuré dans des écoles, des collèges, des lycées ou des groupements d’intérêt public créés à cet effet.

Il ne s’agit là que d’une ébauche de raisonnement, dont la perfection dépasse le cadre de cet article, s’agissant notamment du contournement indispensable, mais très délicat, des dispositions de l’article 133 de la directive du 28 novembre 2006, qui permettent aux « États membres [de] subordonner, au cas par cas, l'octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de [l’exonération] prévue[] à l'article 132-1-i, au respect » de conditions équivalant à la non-lucrativité de l’organisme. Le sort de l’affaire n’aurait peut-être pas été différent… mais le Conseil d’État ne s’en serait pas tiré à si bon compte !

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