A leur corps défendant, les établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes auront, à deux reprises au moins, contribué à la clarification des règles de TVA : une première fois en 2014, lorsqu’un Ehpad privé fit juger, à son détriment, que « le « forfait soins » (…) constitue la contrepartie des prestations de soins effectuées à titre onéreux par un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes au profit de ses résidents et relève, à ce titre, du champ d’application de la taxe sur la valeur ajoutée » (CJUE, 27 mars 2014, aff. C‑151/13, « SARL Rayon d’or »), une seconde fois en 2022, lorsque le centre hospitalier de Vire échoua à faire admettre par la cour administrative d’appel de Nantes que les recettes qu’il percevait au titre de l’exploitation de son Ehpad auraient dû être partiellement soumises à la TVA, comme c’est le cas pour les Ehpad privés (CAA Nantes, 15 février 2022, n° 19NT04979 et n° 19NT04996). Pour les lecteurs peu habitués aux subtilités de la TVA qui se seraient égarés sur ce post et n’auraient pas immédiatement capitulé, rappelons simplement que soumettre ses recettes à la TVA peut parfois être financièrement plus intéressant que les en exonérer, en particulier lorsque le taux de TVA à appliquer est faible : le montant de TVA à acquitter est alors inférieur aux déductions que l’opérateur peut effectuer sur ses achats et aux économies de taxe sur les salaires qu’il réalise – nous n’entrerons pas dans les détails, il suffira de garder à l’esprit que le centre hospitalier de Vire avait effectivement intérêt à demander à être soumis à la TVA.

Soyons honnête, autant l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne avait pu donner lieu à quelques spéculations avant qu’il ne soit rendu, voire à quelques interrogations ultérieures, autant l’affaire soumise à l’appréciation de la cour administrative d’appel de Nantes semblait « pliée » avant même d’être jugée : les arrêts « Commune de Sarlat-la-Canéda » et « Commune de Castelnaudary », qui avaient été rendus le 28 mai 2021 par le Conseil d’État et que nous avions longuement commentés dans un article toujours disponible (https://consultation.avocat.fr/blog/cyril-sniadower/article-42236-tva-et-organismes-de-droit-public--et-surtout-n-y-revenez-plus.html), avaient offert sur un plateau aux juges nantais le raisonnement qu’il convenait de dérouler – sans surprise, ceux-ci ont placé leurs pas dans ceux de la juridiction suprême. Nous ne savons pas si l’arrêt « Centre hospitalier de Vire » a donné lieu à pourvoi, mais si tel est le cas, nous pressentons, hors particularités de la procédure même, qu’il n’aurait d’autres perspectives que de faire vivre l’espoir… jusqu’à la désillusion finale.

L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, éclairé par les conclusions limpides de son rapporteur public, semble en effet inéluctable :

- le centre hospitalier de Vire agit en tant qu’autorité publique lorsqu’il exploite son Ehpad – par détermination de la loi. Rappelons qu’il existe deux cas où une personne morale de droit public peut être vue comme agissant en tant qu’autorité publique : d’une part, « lorsque l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique » ; d’autre part, pour faire simple au prix de quelques imprécisions assumées, lorsque l’activité est de celles qui auraient pu être exonérées de TVA et que la loi l’a assimilée à une activité d’autorité publique ;

- le centre hospitalier de Vire, du fait des tarifs réglementés plus faibles qui s’imposaient à lui, n’était pas en concurrence, ni réelle ni potentielle, avec les Ehpad privés et l’absence de TVA sur les recettes perçues par le centre hospitalier de Vire ne créait aucun désavantage à ces derniers. Il s’agit là d’une appréciation de fait, dont la contestation en cassation ne serait pas nécessairement admise.

Tout juste pourrions-nous regretter que ni la cour ni, surtout, son rapporteur public ne se soient interrogés sur la portée de l’arrêt « Salix » (CJUE, 4 juin 2009, aff. C-102/08) : dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne avait en effet considéré que les distorsions de concurrence devaient être appréciées non seulement au détriment des concurrents privés, mais également au propre détriment des opérateurs publics. Mais au-delà de la satisfaction intellectuelle qu’il pourrait y avoir à faire expressément purger cette question, les chances de succès de l’argument semblent très faibles : d’une part, dans son arrêt « Commune de Sarlat-la-Canéda » déjà cité, le Conseil d’État avait, à tort ou à raison, pris le soin de préciser incidemment que son raisonnement s’appliquait « sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que [la commune] s’en trouverait elle-même désavantagée » ; d’autre part et surtout, une fois qu’il est affirmé que l’Ehpad public n’est pas en concurrence avec les Ehpad privés, l’Ehpad public ne peut pâtir d’aucune distorsion de concurrence !

A l’origine, le centre hospitalier de Vire avait spontanément exonéré de TVA ses recettes ; ce n’est qu’à l’issue d’un « audit », pour reprendre les termes tenus à l’audience (si l’on en croit en tout cas le compte rendu paru dans la presse locale… car nous n’étions pas à l’audience !) que le centre hospitalier s’était engagé dans cette longue démarche contentieuse (l’arrêt est de 2022, mais porte sur la TVA et la taxe sur les salaires de 2010 et 2011…) : comme beaucoup d’autres centres hospitaliers embarqués dans des démarches similaires, le centre hospitalier n’aura finalement acheté que du rêve…

Pire, il aura donné corps au proverbe : « qui trop embrasse mal étreint », sur deux points au moins :

- d’une part, s’agissant de la non-prise en compte des rémunérations versées aux personnels de cantine dans l’assiette de taxe sur les salaires, il s’agit là d’une exonération d’origine doctrinale : elle peut être appliquée en première intention mais ne peut pas justifier un contentieux a posteriori devant le juge ; toutefois, bien qu’elle n’y soit pas juridiquement tenue, l’administration fiscale admet en règle générale de rembourser un contribuable qui invoque a posteriori la doctrine fiscale. Mais au cas présent, face à un contribuable qui réclamait tout, y compris ce à quoi il n’avait pas droit, l’administration a manifestement fait le choix de tout rejeter ;

- d’autre part, il semblerait que le centre hospitalier de Vire aurait légalement pu prétendre à un remboursement partiel de taxe sur les salaires (et vraisemblablement aussi de taxe sur la valeur ajoutée si les demandes de remboursement avaient été faites de manière correcte d’un point de vue formel) : dès lors que le centre hospitalier de Vire a cherché à tout obtenir sans même prendre le soin de chiffrer ce qu’il aurait légalement pu obtenir, la cour a tout rejeté sans autre forme de procès, prenant simplement le soin de préciser que « le centre hospitalier (...) n'ayant pas déterminé de rapport d'assujettissement global (...) sa demande tendant à la restitution de taxe sur les salaires (…) n'est pas fondée et ne peut qu'être rejetée. »

Il ne reste plus au centre hospitalier de Vire qu’à rendre les quelque 250000 euros qui lui avaient été restitués par le fisc à l’issue de la décision de première instance et à regretter d’avoir été poussé à céder au péché de gourmandise…

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