Il est certains problèmes qui n’existent que parce qu’on en parle, et qu’on ne croit devoir résoudre que parce qu’on en a parlé. Ainsi en va-t-il de la conformité au droit communautaire des règles de taxe sur la valeur ajoutée applicables à la formation professionnelle continue (« FPC ») - une question remise sur le devant de la scène par les récentes réformes de l’organisation et du financement de la FPC. Rappelons que ces prestations sont exonérées de TVA lorsqu’elles sont assurées « soit par des personnes morales de droit public, soit par des personnes de droit privé titulaires d'une attestation délivrée par l'autorité administrative compétente reconnaissant qu'elles remplissent les conditions fixées pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue » (code général des impôts, article 261-4-4°-a) ; dans les autres cas, c’est-à-dire lorsqu’elles sont assurées par des personnes de droit privé qui ne sont pas titulaires de cette attestation, soit qu’elle leur ait été refusée, soit, surtout, qu’elle n’ait pas été demandée, ces prestations sont soumises à la TVA dans les conditions de droit commun. Il est ainsi évident qu’en règle générale, une entreprise de formation ayant majoritairement des clients récupérateurs de TVA aura un intérêt bien compris à ne pas demander cette attestation, tandis qu’une entreprise de formation ayant majoritairement des clients non récupérateurs de TVA cherchera à obtenir cette attestation, même si elle doit ensuite s’acquitter de la taxe sur les salaires et supporter de manière définitive la TVA afférente à ses propres dépenses.
Ce régime suscite depuis bientôt trente ans des interrogations récurrentes sur sa conformité au droit communautaire, qui, en application de dispositions figurant désormais à l’article 132, paragraphe 1, sous-paragraphe i, de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, prévoit que « les États membres exonèrent [de TVA] l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse, l'enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d'autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l'État membre concerné (...) ».
Dans un jugement du 6 novembre 2001 (n° 00-3834, « SARL Air Bor »), le tribunal administratif de Dijon avait ainsi considéré que le droit communautaire permettait de subordonner « l'octroi de l'exonération de TVA à la condition que les personnes de droit privé qui souhaitent en bénéficier satisfassent aux exigences fixées par le Code du travail pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue, et que le (…) respect de ces exigences soit matérialisé par la délivrance d'une attestation », mais que l’obtention de cette attestation à des fins fiscales était excessive dans le cadre de la réglementation française, dès lors qu’en vertu des dispositions du code du travail, « toute personne privée qui entend diriger un organisme de formation ou prendre part à la direction d'un tel organisme doit adresser une déclaration préalable au début de son activité et fournir chaque année des documents et un bilan justificatifs de son action[, si bien que] l'administration, avant même toute demande d'attestation, est en mesure de vérifier que la personne de droit privé dispensatrice de formation professionnelle exerce son activité dans des conditions comparables à celles dans lesquelles les organismes de droit public accomplissent la même mission ».
Dans un arrêt du 12 juin 2007 (n° 04-1438, Association Opcareg Languedoc-Roussillon), la cour administrative d’appel de Marseille avait considéré que « [l]es dispositions [du code général des impôts] en tant qu'elles prévoient que l'attestation n'est délivrée que sur demande du contribuable ont pour effet de créer un droit d'option en dehors des cas limitativement prévus par les dispositions de [la directive TVA] ; qu'elles ne sont dans cette mesure pas compatibles avec ladite directive ».
Le raisonnement de la cour administrative d’appel de Marseille inspira ensuite un jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 décembre 2010 (n° 09-2348, « SARL Institut Havrais de Formation Alternance »), un arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 5 janvier 2012 (n° 10LY00987, « Elias ») ou encore un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai du 4 juin 2020 (n° 17DA01777, « EURL PL Consultant »).
La question de la conformité du régime de la formation professionnelle continue au droit communautaire n’est pas neuve ; elle lui semble même consubstantielle. Lors de la transposition de la sixième directive TVA au 1er janvier 1979, l’exonération s’appliquait à toutes les prestations de formation professionnelle continue, qu’elles fussent assurées par des entités publiques ou par des entreprises privées. Trop large par rapport aux exigences du droit communautaire, qui, s’agissant des organismes de droit privé, limite le bénéfice de l’exonération à ceux reconnus comme ayant des fins comparables à celles des organismes publics, cette exonération fut restreinte par la loi du 24 décembre 1982 aux seuls organismes de droit public et organismes sans but lucratif. Si la conformité d’un tel cadre juridique au droit communautaire ne fait pas débat, sans préjudice toutefois d’un examen plus approfondi de sa compatibilité avec les exigences constitutionnelles, sa durée de vie fut brève : pour des raisons qu’il est désormais difficile de reconstituer mais auxquelles les demandes des opérateurs privés, confrontés à des distorsions de concurrence pour leurs clients publics, n’étaient peut-être pas étrangères, un nouveau périmètre, similaire à celui actuellement en vigueur, fut introduit par une instruction fiscale du 5 mars 1985, puis, après l’annulation de cette dernière par le Conseil d’État, légalisé par la loi n° 93-1353 du 30 décembre 1993 – un nouveau cadre à propos duquel la commissaire du Gouvernement pouvait écrire, dans ses conclusions sous l’arrêt « SARL Institut supérieur d'informatique et de management de l'informatique (IMI) » (CE, 10 avril 2002, n° 219715) : « Les autorités françaises se sont enfin décidées à transposer correctement la directive sur ce point. » Les épisodes ultérieurs, matérialisés par les divers arrêts précédemment cités, prouvent que tout le monde ne partageait pas ce point de vue !
Il faut dire que ce texte était mal né, le législateur ayant dû s’y reprendre à trois ou à quatre reprises ; et les rapports parlementaires, en indiquant imprudemment que le mécanisme envisagé était constitutif « d'une option puisque le bénéfice de l'exonération impose une démarche préalable volontaire pour demander l'attestation », apportaient sur un plateau les arguments que ne manqueraient pas d’invoquer quelques années plus tard des contribuables bien conseillés.
L’idée s’est finalement si bien ancrée que l’administration fiscale a intériorisé l’éventuelle non-conformité des règles françaises et a cessé de réellement défendre ses propres règles. L’on trouve ainsi à ce sujet des jugements de tribunaux administratifs, des arrêts de cours administratives d’appel, mais en bientôt trente ans, nulle décision du Conseil d’État. Dans ses conclusions sous le jugement « SARL Institut havrais de formation alternance » précédemment cité, le rapporteur public écrivait déjà : « Il serait heureux que le Conseil d'Etat soit mis à même de se prononcer » ; nous n’aurions su mieux dire !
En dépit de la convergence de vue des quelques décisions rendues en la matière, de l’obstination faussement prudente mais toujours troublante de l’administration fiscale à ne pas poursuivre les contentieux, et de l’impression générale semblant flotter autour de ces sujets, la question nous paraît, en fait, largement ouverte. Nous n’irons pas jusqu’à affirmer que les règles de TVA applicables en France à la formation professionnelle continue sont conformes au droit communautaire, mais limiter la réflexion au constat que celles-ci créeraient une option de facto nous semble une erreur : l’arrêt « Happy Education », rendu le 28 avril 2022 par la Cour de justice de l’Union européenne (aff. C-612/20) nous en convainc. Dans cette affaire, il était demandé à la Cour de dire si la société de droit roumain Happy Education, qui exerçait non une activité de formation professionnelle continue mais une activité de soutien scolaire (les textes applicables étant communs à ces deux activités dans le droit communautaire), pouvait être éligible à l’exonération de TVA alors qu’elle n’avait conclu aucun partenariat avec un établissement d’enseignement – condition posée par le droit roumain pour qu’une entreprise de droit privé puisse être éligible à l’exonération de TVA ; la Cour a dit pour droit « que ne relève pas de la notion d’« organisme reconnu comme ayant des fins comparables » à celles d’un organisme de droit public d’éducation, au sens de cette disposition, une entité privée qui exerce des activités d’enseignement d’intérêt général consistant, notamment, en l’organisation d’activités complémentaires au programme scolaire, telles que des cours d’appui pour les devoirs, des programmes éducatifs, des cours de langues étrangères et qui a obtenu une autorisation par l’Office national du registre du commerce, sous la forme de l’attribution du code CAEN 8559 – « Autres enseignements », au sens de la classification des activités économiques nationales, lorsque cette entreprise ne satisfait pas, en tout état de cause, aux conditions prévues par le droit national pour pouvoir bénéficier de cette reconnaissance. » Il est patent que la Cour ne soulève aucune objection à ce que le bénéfice de l’exonération puisse dépendre de l’action ou de l’inaction du contribuable (en l’occurrence, signer ou ne pas signer une convention avec un établissement d’enseignement) : la problématique de l’option de fait, qui a empreint la plupart des rares décisions rendues par les juridictions françaises, nous paraît ainsi hors sujet.
Comme souvent cependant, l’arrêt de la Cour n’est pas si clair ; il contient en tout cas ses propres contradictions. Car si le dispositif affirme que la position de la Cour s’applique « en tout état de cause », les considérants sont plus nuancés. Les trente-deuxième et trente-cinquième considérants précisent en effet que le juge national se devra de vérifier si les conditions posées par l’État pour l’application de l’exonération aux opérations réalisées par un organisme de droit privé satisfont aux principes d’égalité de traitement et de neutralité fiscale – ce qui semble incompatible avec une application « en tout état de cause »...
Mais après tout, qu’importe ! nous n’aurons pas la prétention de décider si le régime français est conforme ou non au droit communautaire. Nous voulons simplement insister sur le fait que la question est loin d’être jugée et que les élucubrations sur l’option de fait à la suite de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille déjà cité ont sûrement nui à sa correcte analyse jusqu’à présent. L’approche initiale du tribunal administratif de Dijon, qui constatait, à tort ou à raison, que l’attestation requise par la réglementation fiscale faisait double emploi avec les démarches imposées par le code du travail, posait vraisemblablement la bonne question (à défaut d’y apporter nécessairement la bonne réponse) et, tout compte fait, annonçait la réserve relative à la neutralité fiscale formulée par la CJUE dans les considérants de sa décision « Happy Education » - réserve somme toute classique. Mais à ce jour, la conformité des règles prévues en matière de TVA pour la formation professionnelle continue n’est pas remise en cause : rien n’interdit donc qu’elles demeurent en l’état, jusqu’à ce que des juges de niveau adéquat soient amenés à se prononcer… ou tant qu’on évitera de se poser trop de questions !
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