Il y a bientôt dix-huit mois, nous publiions notre premier article sur ce blog : « CSPE : faut-il transiger ? » et répondions à cette question par l’affirmative. Le temps est désormais venu d’un premier bilan.
Pour le lecteur qui ne serait pas au fait du sujet, rappelons, d’une part, que la contribution au service public de l’électricité (CSPE) est une taxe le plus souvent perçue en sus du prix de l’électricité et proportionnelle à la consommation d’électricité et, d’autre part, qu’un contentieux de masse a été mené par des entreprises et même des particuliers souhaitant obtenir le remboursement des sommes dont ils s’étaient acquittés entre 2009 et 2015 ; après moult péripéties judiciaires, sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici mais dont le lecteur intéressé pourra trouver un résumé dans notre précédent article, le Conseil d’État jugea, le 3 décembre 2018, que les contribuables étaient effectivement en droit d’obtenir le remboursement de cette taxe, mais d’une fraction seulement.
Cela fait donc bientôt quatre ans que le sujet est juridiquement clos et que l’État, par l’intermédiaire de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sait qu’il devra rembourser : soixante mille contribuables, qui avaient réclamé dans les délais prévus par la réglementation, et parmi ceux-ci quinze mille contribuables avisés qui avaient porté le rejet implicite de leur demande devant le tribunal administratif de Paris, sont ainsi dans l’attente des montants qui leur sont dus. Soucieux de désengorger ce tribunal administratif, le gouvernement avait alors inventé une procédure de « transaction » permettant aux contribuables d’obtenir plus rapidement ce qu’ils finiraient par obtenir du tribunal ; cette voie transactionnelle était cependant fermée aux quarante-cinq mille contribuables qui s’étaient contentés de réclamer sans aller ensuite devant le tribunal administratif, au motif, selon la CRE, que leur créance serait désormais prescrite – pour une analyse de cette question, nous renvoyons là encore le lecteur à notre précédent article.
Certes, cette procédure transactionnelle était étrange : rien n’était négociable, il ne subsistait plus aucun aléa juridique et rien n'empêchait l’administration de rembourser d’elle-même les sommes qui lui avaient été réclamées, sans obliger les contribuables à confirmer, par le dépôt d’une demande transactionnelle, qu’ils voulaient effectivement se faire rembourser les sommes dont ils avaient déjà demandé le remboursement huit ans auparavant. Certes, cette procédure transactionnelle était quelque peu mal née : outre son inutilité juridique, elle avait nécessité une gestation éléphantine, puisque le site internet permettant le dépôt des demandes de transaction n’avait ouvert que fin février 2021, soit plus de deux ans après la décision du Conseil d’État déjà évoquée – deux années entièrement perdues pendant lesquelles rien ne s’était passé –, et encore pour presque immédiatement tomber en panne pendant près de trois mois : dans les faits, la voie transactionnelle n’est donc réellement possible que depuis fin mai 2021. Nous étions néanmoins arrivé à la conclusion que tout contribuable ayant une procédure pendante devant le tribunal administratif avait intérêt à transiger, non pas parce que la voie transactionnelle était miraculeuse, mais parce qu’elle ne pouvait pas être pire que la voie juridictionnelle.
L’heure est venue d’un premier bilan et, disons-le d’emblée, il n’est pas glorieux…
Premier constat, les pièces requises pour constituer le dossier de demande de transaction ont évolué au cours du temps. Pourquoi pas… Mais les délais de traitement des demandes sont tels que celles déposées selon les exigences anciennes sont instruites au moment où de nouvelles exigences ont été introduites. Les services instructeurs, qui, en l’occurrence, ne sont pas ceux de la CRE mais ceux de l’Agence de services et de paiement et dont on ne sait s’ils appliquent les consignes qui leur ont été données par la CRE ou s’ils donnent libre cours à leur penchant naturel, se révèlent incapables de gérer ces subtilités, relèvent simplement que le dossier n’est pas conforme aux nouvelles exigences, demandent qu’il soit complété en conséquence… et l’on n’a plus qu’à reprendre son ticket dans la file…
Deuxième constat, les exigences ne sont, pour la plupart, que paperassières, sans aucune utilité sur le fond, mais elles sont chronophages. Nous pensons encore à ce dossier de demande de transaction déclaré non conforme au motif que l’expert-comptable ayant attesté du paiement des factures d’électricité où figuraient les montants de CSPE avait mentionné sur ses attestations son numéro SIREN, et non son numéro SIRET. Autant l’admettre, nous n’avons toujours pas trouvé en quoi le numéro SIRET permettait de mieux instruire la demande… Et l’on n’a plus qu’à reprendre son ticket dans la file… Nous pensons également aux bâtons dans les roues en cas de fusion intervenue depuis le dépôt de la demande, afin de prouver que la créance dont le remboursement est réclamé a bien été transmise à la société absorbante (où aurait-elle pu aller ?) et ne perdrons pas trop de temps à noter que les documents exigés existent peut-être en cas de fusion, mais pas en cas de dissolution sans liquidation ; c’était de toute façon trop subtil et, après tout, sans réel intérêt, puisque la CRE prévoit immédiatement que les exigences documentaires en cas de fusion peuvent être validement remplacées par une auto-attestation certifiant que la créance a bien été transmise à la société absorbante – une nouvelle preuve que tout cela n’a pas d’autre but que de brasser du papier.
Troisième constat, l’exigence d’accompagner les demandes de transaction d’attestations du paiement des factures – attestations établies soit par l’expert-comptable, soit par le commissaire aux comptes, soit par la banque, soit par le fournisseur ou le distributeur d’électricité –, répartit les contribuables en deux catégories : ceux qui obtiendront ces attestations très vite et ceux qui ne sont pas près de les avoir ! Tant mieux pour ceux qui peuvent faire appel à leur expert-comptable. Mais les commissaires aux comptes, en tout cas les mieux établis, refusent, au nom de leurs exigences déontologiques, d’attester ces paiements et assortissent les documents qu’ils émettent de mille et une réserves à l’issue desquelles l’attestation n’atteste plus grand-chose ; vu l’ancienneté des factures, toutes les banques ne sont plus en mesure de retrouver les opérations dans leurs systèmes informatiques ; quant aux fournisseurs ou distributeurs d’électricité, nous n’avons pas encore réussi à déterminer si l’absence de réponse est un refus de répondre ou l’une des formes de leur inertie. Mais en réalité, nous ne saurions rien reprocher ni à ces commissaires aux comptes, ni à ces banques, ni à ces fournisseurs ou distributeurs d’électricité, puisqu’ils ne sont nullement tenus de délivrer ces documents : c’est là tout le problème, la CRE faisant dépendre la validité du dossier de demande de transaction de la présence d’un document émis par un tiers qui n’est pas tenu de l’émettre… Ce qui appelle deux remarques. D’une part, qui doute que les factures d’électricité d’il y a bientôt dix ans aient effectivement été payées ? D’ailleurs, dans la plupart des cas, si elles ne l’avaient pas été, le reliquat apparaîtrait sur les factures suivantes : là encore, il ne s’agit donc que d’une exigence paperassière, sans portée sur le fond. D’autre part, l’on pourrait se dire, en première réaction, que c’est « bien joué » de la part de l’administration ; mais comme les demandes sont également pendantes devant le tribunal administratif de Paris, et que l’on imagine mal que l’issue d’une procédure juridictionnelle puisse dépendre de la détention d’un document émis par un tiers qui n’y est pas tenu, l’on se dit plutôt que cette exigence n’a d’autre but que de faire payer aux demandeurs le fait qu’ils aient osé demander… Et l’on ne prend même pas son ticket dans la file tant qu’on n’a pas obtenu ces attestations…
Quatrième constat, nous demeurons très perplexe sur la nature du contrôle opéré. Nous pensons ainsi à ce dossier déposé en mai 2021, qui, en octobre 2022, a fait l’objet d’une cinquième demande de compléments dont l’enjeu sur le remboursement doit être de l’ordre d’une trentaine d’euros… Combien de temps d’agent public a-t-il fallu pour cet exploit ? Et nous en revenons à l’une de nos premières questions : sont-ce là les consignes ou s'agit-il d'une dérive incontrôlée ?
Bien évidemment, tous ces raffinements administratifs ont des conséquences directes sur le temps de récupération des fonds, qu’il s’agisse du temps de constitution des dossiers d’abord, de leur temps d’instruction ensuite : sur la base de notre modeste échantillon, six à sept mois une fois la demande déposée pour les dossiers comprenant douze factures par an, ce qui en soi est déjà hallucinant ; rien à l’horizon après dix-huit mois pour les dossiers comprenant un volume significatif de factures… Qui se souvient encore que la voie transactionnelle était censée être rapide ? A l’ouverture de son site, la CRE publiait : « Quel est le délai de traitement des demandes ? Le traitement des dossiers nécessite la réalisation de plusieurs étapes par la CRE et le demandeur. La CRE vise néanmoins l’objectif de procéder aux premiers remboursements dès le printemps 2021. » Ce fut peut-être le cas, nous ne pouvons pas le savoir, mais l’objectif d’un traitement dans les trois mois a bien vite terminé aux oubliettes.
Face à cette voie transactionnelle où l’administration nous offre parfois la caricature d’elle-même, reste bien entendu la voie juridictionnelle, puisque les demandes sont parallèlement pendantes devant le tribunal administratif de Paris, le plus souvent depuis 2014. Soyons clair, personne ne les a ouvertes, pas la CRE en tout cas ! Et le tribunal administratif de Paris est trop heureux d’avoir le prétexte de la voie transactionnelle pour ne pas traiter des affaires enregistrées depuis huit ans. Le contribuable se retrouve ainsi sans recours, entre un tribunal administratif qui n’instruit pas ses demandes et une administration qui donne l’impression de faire tout son possible pour les encalminer.
Le Conseil d’État répète régulièrement que le temps qui passe n’est pas un préjudice indemnisable en soi, puisqu’il est déjà indemnisé par les intérêts moratoires. Au moment où l’inflation atteint des sommets sans que le taux des intérêts moratoires n’ait été relevé, espérons simplement que l’inertie administrative naturelle ne soit pas devenue une stratégie...
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