En réalité, ce petit article aurait dû s’intituler : « Régime de groupe TVA : conforme ou pas ? » ; mais nous craignions qu’un mot de plus ne le rendît moins attirant. C’est donc bien au régime de groupe TVA que nous nous intéresserons ici – cette arlésienne enfin arrivée, qui produira ses premiers effets au 1er janvier 2023 pour qui aura opté pour ce régime avant le 31 octobre 2022.

L’article 11 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée prévoit ainsi qu’ « après consultation du comité consultatif de la taxe sur la valeur ajoutée (...), chaque État membre peut considérer comme un seul assujetti les personnes établies sur le territoire de ce même État membre qui sont indépendantes du point de vue juridique mais qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation. Un État membre qui fait usage de [cette] faculté (…) peut prendre toutes mesures utiles pour éviter que l'application de cette disposition rende la fraude ou l'évasion fiscales possibles. » Ces dispositions ont été transposées à l’article 256 C du code général des impôts : « Les personnes assujetties qui ont en France le siège de leur activité économique ou un établissement stable ou, à défaut, leur domicile ou leur résidence habituelle, à l'exception des établissements stables de ces assujettis qui ne sont pas situés en France, et qui sont étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation peuvent demander, pour l'application des dispositions du présent chapitre, à constituer un seul assujetti. »

Premier constat, auquel nous n’accorderons pas plus d’importance : le texte communautaire prévoit une option d’État là où le texte national prévoit une option d’entreprise. La rédaction du texte communautaire est en effet différente de celle qui peut, par exemple, se trouver à l’article 173, paragraphe 2, sous-paragraphe a) de cette même directive, lorsqu’il est dit que « les États membres peuvent (…) autoriser l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité » - une rédaction qui pose clairement le principe d’une double option, d’État d’abord, d’entreprise ensuite. Mais qu’importe, personne ne s’en plaindra en France et ce serait malheureux que le problème, si problème il y a, se pose en France quand il pourrait vraisemblablement se poser dans tous les autres pays européens ayant introduit un régime de groupe. La force du nombre est assurément un facteur de conformité !

Deuxième constat, les textes d’application de ce régime de groupe contribuent eux aussi à nourrir les interrogations. Le décret n° 2022-1033 du 20 juillet 2022 relatif aux modalités de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et aux obligations de facturation des assujettis uniques a ainsi complété l’article 209 de l’annexe II au code général des impôts pour prévoir que « sont constitués en secteurs d'activité (…) chaque membre d'un assujetti unique (...), sans préjudice des secteurs constitués par ce membre ». Ainsi, un réseau bancaire qui, par exemple, aurait créé des sociétés distinctes par région et les aurait regroupées au sein d’un groupe TVA aurait l’obligation de constituer des secteurs d’activité pour chacune de ces sociétés, tandis qu’un réseau bancaire intégré se verrait par principe interdire de déclarer des secteurs d’activité selon un critère géographique – et l’on peut imaginer des différences selon d’autres critères que géographiques. Or, ces règles distinctes sont incohérentes, pour ne pas dire incompatibles, avec la notion d’assujetti unique. Si l’assujetti unique formé de plusieurs entités juridiques est véritablement un assujetti unique, il n’y aucune raison pour que la réglementation qui lui est applicable soit différente de celle prévue pour les assujettis classiques. C’est peut-être le moment de rationaliser et de définir (enfin !) la notion de secteur d’activité…

Troisième constat, le régime de groupe TVA est... payant ! Pas en tant que tel, bien sûr, mais du fait du surcroît de taxe sur les salaires qu’entraîne la création du groupe. Tout part en effet des dispositions du 7 du III de l’article 256 C du code général des impôts : « L'existence de l'assujetti unique aux fins d'application des règles de la taxe sur la valeur ajoutée est sans incidence sur les autres impôts, taxes, droits et prélèvements de toute nature dont sont redevables ses membres. » L’on en déduit, fort logiquement, que l'existence de l'assujetti unique aux fins d'application des règles de la taxe sur la valeur ajoutée est sans incidence sur la taxe sur les salaires dont sont redevables ses membres. Cette formulation est pourtant si peu claire que certains des premiers commentateurs de ce nouveau régime avaient pu écrire qu’il en résultait que la taxe sur les salaires des membres devait être calculée en réputant que leurs recettes s’étaient vu appliquer le régime qui aurait été le leur en l’absence de groupe TVA ; cette interprétation n’est toutefois nullement corroborée par les rapports parlementaires, celui de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2021 indiquant au contraire : « Le rapport d’assujettissement servant au calcul de la taxe sur les salaires correspond à un contre-prorata de déduction de la TVA, mais il intègre dans son calcul les opérations réalisées hors-champ TVA. De fait, cette modalité de calcul est aggravée en présence d’un groupe TVA car les opérations imposables entre entités du groupe seraient ainsi exclues du champ d’application de la TVA, mais resteraient incluses dans le calcul du rapport d’assujettissement à la taxe sur les salaires. » De fait, deux sociétés ayant chacune un droit à déduction intégral et en rapport d’affaires l’une avec l’autre n’auront aucun intérêt à constituer un groupe TVA puisque la TVA neutre pour elles se transmuterait en charge définitive de taxe sur les salaires ; quant aux groupes de sociétés qui constitueront un groupe TVA à la suite d’un choix rationnel, ils perdront une partie de leurs gains de TVA par un surcroît de taxe sur les salaires. Même avec l’arrêt « SASP Football Club de Metz » dans le paysage (CE, 21 décembre 2007, n° 295646), s’interroger sur la conformité de ce nouveau régime semble très légitime ; et vu la kyrielle d’affaires, toutes infructueuses, ayant déjà porté sur la taxe sur les salaires, nul doute que ces interrogations finiront un jour devant le juge.

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