Le mois de janvier 2023 aura été pauvre en actualités jurisprudentielles : tout juste relevons-nous un arrêt du Conseil d’État sur la validité formelle des avis de mise en recouvrement, sur lequel nous reviendrons peut-être un jour de désœuvrement (CE, 27 janvier 2023, n° 462599, « Le Saphir »).
En cette période de vacances, c’est sur un aspect de la fiscalité des meublés de tourisme que nous avons décidé de nous pencher ; une fois n’est pas coutume, c’est à un jugement de tribunal administratif que nous nous intéresserons aujourd’hui. S’il n’est pas dans nos habitudes de nous arrêter sur des décisions qui, en trop grand nombre, seront annulées quelques années plus tard, celle rendue par le tribunal de Grenoble dans une affaire « SARL Tetras » (14 octobre 2022, n° 1908305) a attiré notre attention, non seulement en tant que telle (même si elle méritera d’être confirmée et affinée), mais aussi en raison de sa similitude avec des débats tenus quelques semaines plus tard au Parlement.
En dépit de nos deux derniers articles consacrés aux délais de procédure, nous n’insisterons pas sur le fait que cette décision du 14 octobre 2022 répondait à un requête introductive déposée le 18 décembre 2019 ou faisait suite à une « clôture immédiate de l’instruction » en date du 16 septembre 2021, après quoi le dossier avait sûrement pris à la fois son tour et la poussière. C’est au fond du sujet que nos réflexions seront consacrées.
Dans le tumulte et le tohu-bohu des débats agités sur le projet de loi de finances pour 2023 et des multiples recours au « 49-3 », le Sénat avait adopté, contre l’avis du gouvernement et de sa commission des finances, un article 5 octies, prévoyant que l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée bénéficiant, en vertu des dispositions du 4° de l’article 261 D du code général des impôts, aux locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation cesserait d’être applicable « aux locations de meublés de tourisme au sens du I de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme », c'est-à-dire aux locations de « villas, appartements ou studios meublés, à l'usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ».
Rappelons que dans le droit positif, cette exonération n’est pas applicable lorsque la location est accompagnée d’au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle. Dans un souci de neutralité fiscale, la loi fiscale essaie ainsi de caractériser les prestations sans lesquelles un hôtel ne serait pas un hôtel : une location meublée qui est accompagnée de ces mêmes prestations est traitée comme le serait une location hôtelière et devient soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
Les sénateurs signataires de l’amendement dont était issu cet article justifiaient leur proposition par le fait que les locations de meublés de tourisme se sont considérablement développées dans toutes les zones touristiques avec l’apparition des plateformes de location et qu’en pratique, ces activités sont aujourd’hui en concurrence directe avec les activités traditionnelles d’hébergement (hôtels, campings), soulignant ainsi, pour reprendre leurs propres termes, le caractère obsolète des quatre prestations précédemment rappelées et prétendument caractéristiques d’une prestation hôtelière.
Nous nous permettrons une petite digression, pour montrer à quel point ce banal amendement illustre la piètre qualité des débats parlementaires et, d’une manière plus large, la méconnaissance du fonctionnement de la taxe sur la valeur ajoutée. Face à un amendement visant à faire en sorte que les meublés de tourisme ne puissent plus bénéficier d’une exonération de taxe sur la valeur ajoutée, le rapporteur général de la commission des finances, censé éclairer ses collègues sénateurs dans leur vote, répondit : « L’adoption de cet amendement reviendrait, me semble-t-il, à étendre l’exonération de TVA aux meublés de tourisme. » ; en fait, non, c’était le contraire. Quant au ministre délégué au budget, sa repartie fut audacieuse : « Même avis ! ». Entre un rapporteur général ignorant du sens de l’amendement sur lequel il se prononce et un ministre pressé d’en finir, le processus législatif sur les sujets que nous pensons connaître nous fait craindre le pire s’agissant de ceux que nous ne maîtrisons pas !
L’Assemblée nationale a finalement supprimé l’article adopté par le Sénat. On lit ainsi dans le rapport de l’Assemblée nationale : « Le rapporteur général propose de supprimer cet article. En effet, s’il partage la préoccupation d’assurer une équité fiscale entre les prestations hôtelières et les locations de meublés touristiques qui se rapprochent de ces dernières en raison des prestations fournies – objectif poursuivi par la législation en vigueur –, il estime que soumettre à la TVA l’ensemble de ces locations serait manifestement excessif. » Il s’agit là encore d’une incompréhension : pour tous les loueurs en meublé de tourisme dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 85 800 euros, la mesure adoptée par le Sénat était au pire neutre, au mieux favorable, puisque ces loueurs auraient pu bénéficier de la franchise en base, équivalente dans ses effets à l’exonération actuelle, ou y renoncer lorsqu’ils y auraient eu intérêt : rappelons en effet que l’activité hôtelière est soumise au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée et que dans un tel cas, il peut survenir, occasionnellement ou de manière plus pérenne, que le montant de taxe collectée soit finalement inférieur à celui que l’opérateur gagne le droit de déduire. Quant aux loueurs en meublé de tourisme dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 85 800 euros, c’est avant tout un choix politique de déterminer s’ils méritent ou non d’être traités fiscalement comme de réels exploitants hôteliers – chacun se fera son opinion.
Les brillants débats que nous venons de narrer se sont tenus le 21 novembre 2022. Cinq semaines auparavant, le tribunal administratif de Grenoble s’était prononcé dans l’affaire « Tetras ».
Rappelons tout d’abord que l’article 135, paragraphe 1, point l) de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (« directive TVA ») exonère de taxe sur la valeur ajoutée « l'affermage et la location de biens immeubles ». Dans le même temps, l’article 135, paragraphe 2, point a) exclut du bénéfice de cette exonération « les opérations d'hébergement telles qu'elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper ». Nous ne détaillerons pas ici l’étendue des marges de manœuvre et des contraintes que cette rédaction est susceptible d’offrir ou imposer aux législateurs nationaux.
Dans ce dossier, le juge administratif a considéré :
- que le droit national, en prévoyant qu’une location meublée n’est soumise à la taxe sur la valeur ajoutée que dans le cas où elle est accompagnée d’au moins trois des quatre prestations annexes précédemment rappelées, n’est pas en soi incompatible avec les dispositions du droit de l'Union européenne ;
- que l'évolution contemporaine du secteur hôtelier se caractérise par un rapprochement entre les prestations d'hébergement hôtelier et la mise à disposition de locaux meublés. Dès lors, en exigeant, pour fixer le champ de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée, que les prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle comportent nécessairement un nombre prédéterminé de prestations de services accessoires, le droit national limite excessivement le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée des opérations d'hébergement temporaire qui remplissent les fonctions essentielles d'une entreprise hôtelière et sont en concurrence potentielle avec ces dernières ;
- que, pour déterminer si les prestations qu'elle fournit sont exonérées ou non de la taxe sur la valeur ajoutée, il n'y a pas lieu d'examiner si elles comportent en sus de l'hébergement trois des quatre prestations accessoires, mais de procéder à une appréciation globale des circonstances de l'espèce, pour vérifier si ses prestations d'hébergement sont en concurrence potentielle avec les prestations hôtelières.
Le raisonnement méritera d’être confirmé, mais nous le trouvons assez convaincant : en effet, la marge de manœuvre laissée aux Etats membres par la directive TVA porte sur la définition des opérations d’hébergement, et non sur la similitude avec le secteur hôtelier. Et il n’est pas faux que nombre de touristes peuvent réserver leur séjour aussi bien dans un hôtel que dans un meublé de tourisme...
La suite du raisonnement tenu par le juge est quelque peu contradictoire avec l’énoncé de ces grands principes, puisque pour déterminer si les prestations rendues par la société Tetras étaient similaires à celles qu’on est en droit d’attendre d’un hôtel, le juge se réfère… aux quatre prestations accessoires déjà décrites.
Le juge relève ainsi que sur une première période, la société Tetras fournissait le linge de maison, mais ne fournissait aucune des trois autres prestations prévues, de sorte que la société requérante n'était pas fondée à soutenir qu'elle réalisait, au cours de cette période, des opérations devant être soumises à la taxe sur la valeur ajoutée. En revanche, sur une seconde période, la société Tetras fournissait le linge de maison ainsi qu’une prestation de nettoyage en continu des locaux, permettant d'estimer que les opérations d'hébergement qu'elle réalisait entraient en concurrence avec les prestations du secteur hôtelier et, par suite, étaient soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.
Si l’on essaie de résumer le raisonnement du juge, il ressort de ce jugement que trois prestations accessoires sont inutiles, deux suffisent et une seule est insuffisante. En dépit que le jugement soit quelque peu bancal et n’aille assurément pas au bout du raisonnement, il soulève et tranche une vraie question : les locations en meublé de tourisme ne devraient-elles pas être, dès à présent et par application du droit communautaire, soumises à la taxe sur la valeur ajoutée ?
Si les loueurs n’ont à rien à redouter de l’administration fiscale tant que le droit national demeure inchangé, ils doivent en revanche se livrer à l’exercice inverse : vérifier s’ils n’auraient pas eu intérêt, sur la période non prescrite, à être soumis à la taxe sur la valeur ajoutée et, dans ce cas, déposer les réclamations idoines auprès de leurs services fiscaux de façon à protéger leurs droits pour le cas où la décision du jugement du tribunal administratif de Grenoble viendrait à être confirmée.
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