Le 14 mai 2022 entrera en vigueur le nouveau statut juridique des indépendants. En vertu de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante, le futur article L. 526-22 du code de commerce prévoira en effet que « l'entrepreneur individuel est une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. Les biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes constituent le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel. (…) Les éléments du patrimoine de l'entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel constituent son patrimoine personnel. (…) L'entrepreneur individuel n'est tenu de remplir son engagement à l'égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l'occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation. »

La loi crée ainsi deux patrimoines au sein d’une personne juridique unique : d’une part, un patrimoine professionnel et, d’autre part, un patrimoine personnel inaccessible aux créanciers professionnels. Présentée comme entraînant la suppression de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), qui poursuivait le même objectif mais n’avait guère été utilisée en un peu plus de dix années d’existence, elle en constitue en réalité la généralisation ; c’est en effet le statut d’entrepreneur individuel qui disparaît, tous les entrepreneurs individuels devenant de fait des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée. L’entrepreneur individuel bénéficiera ainsi d’une protection de son patrimoine personnel, qui ne garantira plus ses dettes professionnelles, comme s’il avait créé une société, par exemple une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL). Les actuelles EIRL demeureront, mais il n’est plus possible d’en créer.

Il faudrait naturellement jouer au jeu des sept différences pour voir en quoi l’entreprise individuelle nouvelle mouture différera de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée actuelle. Mais nous nous intéresserons ici seulement aux aspects fiscaux et sociaux de la réforme.

Fiscalement, l’article 1655 sexies du code général des impôts prévoit que « pour l'application [de ce] code et de ses annexes, (...), l'entrepreneur individuel qui exerce son activité dans le cadre d'une entreprise individuelle à responsabilité limitée (...) peut opter pour l'assimilation à une [EURL] (...) dont [il] tient lieu d'associé unique. (…) L'option (...) est irrévocable et vaut option pour l'impôt sur les sociétés. » A compter du 14 mai 2022, ces dispositions demeureront mais l’article 1655 sexies du code général des impôts sera complété par l’alinéa suivant : « Pour l'application [de ce] code et de ses annexes, (...), l'entrepreneur individuel (...) peut opter pour l'assimilation à une [EURL] dont [il] tient lieu d'associé unique. L'option (...) est irrévocable et vaut option pour l'impôt sur les sociétés. » Fiscalement, l’entrepreneur individuel (pour autant qu’il ne relève pas des régimes micro-BIC ou micro-BNC), aura ainsi la possibilité d’être imposé comme s’il était le gérant d’une EURL soumise à l’impôt sur les sociétés.

Socialement, le 3° du III de l’article L. 131-6 du code de la sécurité sociale prévoit que sont soumis à cotisations sociales, pour les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée soumis à l’impôt sur les sociétés, les « [revenus distribués] qui excède[nt] 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d'exercice ou (…) 10 % du montant du bénéfice net (…) si ce dernier montant est supérieur ». A compter du 14 mai 2022, cet alinéa est modifié de façon à prévoir que sont soumis à cotisations sociales, « pour les travailleurs indépendants non agricoles (...) qui sont assujettis à l'impôt sur les sociétés, [les revenus distribués] qui excède[nt] 10 % du montant du bénéfice net (...) ou, lorsque ces travailleurs indépendants [exercent en EIRL] et si ce montant est supérieur, [les] revenus qui excède[nt] 10 % du montant de la valeur des biens du patrimoine affecté constaté en fin d'exercice. » Le régime social de l’entrepreneur individuel ayant opté pour l’impôt sur les sociétés sera ainsi aligné sur celui du gérant d’une EURL soumise à l’impôt sur les sociétés – les actuels entrepreneurs individuels exerçant en EIRL bénéficiant d’une clause « grand-père » pour le calcul de leurs cotisations sociales.

Bien évidemment, en visant les revenus distribués en cas d’option pour l’impôt sur les sociétés, les textes précédemment cités tirent les conséquences de la création fictive d’une EURL. Juridiquement, il n’y aura pas de revenus distribués, puisqu’il n’y aura pas de société en mesure de distribuer des dividendes, mais fiscalement et socialement, tout se passera « comme si » l’EURL fictivement créée distribuait ses revenus.

Tout indépendant sera ainsi confronté au même choix fiscal et social qu’un créateur d’EURL : opter ou non pour l’impôt sur les sociétés ? Etre imposé et cotiser sur l’ensemble de ses revenus, ou uniquement sur ses « prélèvements », sous forme d’un « salaire », déductible de l’assiette imposable l’impôt sur les sociétés mais cotisable, ou de « dividendes », non déductibles mais non cotisables dans une certaine mesure ?

Impossible de répondre de manière générale à cette question, la réponse dépendant de la situation financière et familiale de chacun : activité bénéficiaire ou déficitaire, autres sources de revenus, taux marginal d’imposition, besoins de trésorerie pour la sphère personnelle ou possibilité de capitalisation au sein de la structure professionnelle… sont autant de paramètres, parmi d’autres, qui influent sur la réponse.

Certes, l’indépendant aurait pu se poser les mêmes questions auparavant sous réserve d’une étape intermédiaire : créer ou non une EURL (pour autant qu’il en ait eu la possibilité : je pense ici à tous les avocats collaborateurs qui ne peuvent pas créer une EURL mais qui pourront désormais se demander s’ils optent à l’impôt sur les sociétés !). Mais la lourdeur inhérente à la création d’une société avait pu l’arrêter avant même de s’intéresser aux questions fiscales et sociales ; il pourra désormais faire les meilleurs choix fiscaux et sociaux sans contrainte juridique.

Il y a environ 800 000 contribuables imposés en BIC et 600 000 contribuables imposés en BNC. Même si ces données incluent des sociétés translucides non concernées par la réforme, c’est néanmoins un nombre considérable d’indépendants qui devraient désormais se demander s’ils optent ou non pour l’impôt sur les sociétés. Le délai d’option n’est pas encore défini, mais si l’article 350 bis de l’annexe III au code général des impôts était mis à jour dans le sens d’un alignement sur ce qui était prévu jusqu’à présent pour les EIRL, l’option devrait être exercée avant le 14 août pour l’année 2022, ou avant le 31 mars pour l’année 2023. A suivre...

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