Pour la CJUE, les Etats membres n’ont pas par principe à garantir aux personnes physiques dont les données personnelles sont inscrites dans le registre des sociétés le droit d’obtenir l’effacement de ces données après un certain délai.

Toutefois, ils peuvent déterminer s’il convient de limiter, après l’expiration d’un délai suffisamment long après la dissolution de la société concernée, l’accès aux données à caractère personnel des personnes physiques inscrites dans le registre par les tiers (CJUE 9 mars 2017, Aff. C-398/15, Camera Di Commercio, Industria, Artigianato e Agricoltura di Lecce c/ Salvatore Manni).

Les faits

En l’espèce, un ressortissant italien était administrateur unique d’une société qui s’était vu attribuer un marché pour la construction d’un complexe touristique. Selon lui, les immeubles de ce complexe ne se vendaient pas parce qu’il était mentionné dans le registre des sociétés qu’il avait été l’administrateur unique et liquidateur d’une précédente société de promotion immobilière qui avait fait faillite. Il assigna par conséquent la chambre de commerce de Lecce pour obtenir la radiation du registre des sociétés de toute mention le reliant à la déconfiture de la société précédemment administrée.

Le Tribunale de Lecce lui donna raison considérant qu’en l’absence d’une durée maximale d’inscription prévue par le Code civil, et « une fois passée une durée adéquate » depuis la conclusion de la faillite et la radiation de la société du registre des sociétés, la nécessité et l’utilité de l’indication du nom de l’ancien administrateur unique de celle-ci disparaît.

La question préjudicielle

Saisie sur pourvoi, la Corte suprema di cassazione soumit à  la CJUE la question principale suivante :

Le principe de conservation des données à caractère personnel sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une période n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées[1] doit il prévaloir et donc s’oppose-t-il au système de publicité mis en place avec le registre des sociétés[2] en ce qu’il exige que quiconque sans aucune limite de temps, puisse connaître les données relatives aux personnes physiques y figurant ?

L’absence de principe d’un droit à l’oubli …

Pour la CJUE, la réponse est négative. Les Etats membres n’ont pas, au regard des textes applicables[3], à garantir un effacement ou des restrictions d’accès aux données personnelles inscrites sur les registres des sociétés.

La Cour tient compte à cet égard :

  • de la finalité de l’inscription au registre des données personnelles, à savoir la protection des intérêts des tiers ;
  • et de l’impossibilité d’identifier un délai unique à compter de la dissolution à  l’issue duquel l’inscription de ces données dans le registre et leur publicité ne serait plus nécessaire.

Ce second point laisse perplexe. Il revient à nier l’existence d’un droit compte tenu de ses difficultés de mise en application. Pourquoi ne pas retenir de manière uniforme le délai le plus long parmi ceux prévus par les droits nationaux ?

La Cour considère qu’il n’y a pas une ingérence disproportionnée dans les droits fondamentaux des personnes concernées, dont le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel en raison :

  • du caractère limité du nombre de données personnelles diffusées ;
  • du fait qu’il est justifié que les personnes souhaitant participer aux échanges économiques via des sociétés qui n’offrent comme garantie aux tiers que leur patrimoine social soient obligés de rendre publiques leur identité et leurs fonctions au sein de celle-ci.

De prime abord, ce dernier point peut paraître surprenant : les tiers ont a priori beaucoup plus d’intérêt à connaître l’identité des associés qui sont responsables solidairement et indéfiniment des dettes sociales plutôt que de celle des associés dont la responsabilité est limitée aux apports. Il se comprend néanmoins au regard de la confiance qui est indispensable au développement des échanges économiques.

Sans doute consciente de la rigueur de sa position, la Cour ouvre une exception et renvoie aux législateurs nationaux le soin de reconnaître et d’aménager ce droit à l’oubli.

...Compensée par un renvoi à la législation des Etats membres

Au final, pour la CJUE, il appartient aux Etats membres de déterminer « si les personnes physiques peuvent demander à l’autorité chargée de la tenue du registre de vérifier, sur la base d’une appréciation au cas par cas, s’il est exceptionnellement justifié, pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à leur situation particulière, de limiter, à l’expiration d’un délai suffisamment long après la dissolution de la société concernée, l’accès aux données à caractère personnel les concernant inscrites dans ce registre, aux tiers justifiant d’un intérêt spécifique à la consultation des données ».

 

Me David Truche

 


[1] Article 6 §1 sous e) de la directive 95/46, transposée en droit national

[2] Directive 68/151 et droit national

[3] A noter que la directive 68/151 a depuis été abrogée et remplacée par la directive 2009/101/CE, elle-même modifiée par la directive 2012/17/UE