L'avocat spécialisé dans les erreurs médicales doit prouver un lien de causalité direct et certain entre le fait dommageable et le préjudice subi avant de pouvoir obtenir l'indemnisation de la victime.

Lorsque la certitude du lien de causalité fait défaut, le juge se sert souvent du préjudice spécifique de la perte de chance.

Cependant cette utilisation de la perte de chance devient contestable quand elle sert de réponse à une allégation de l'avocat du médecin responsable notamment quant aux facteurs de risque de la santé de la victime.

Un arrêt du 27 novembre 2020 du Conseil d'Etat sanctionne une telle utilisation (CE, 5ème ch., 27 novembre 2020, n° 426936).

I. Le Conseil d'Etat sanctionne les excès de l'utilisation de la perte de chance

Dans l'affaire rapportée, lors d'une anesthésie avant une intervention chirurgicale pour une occlusion intestinale, la victime a subi un arrêt cardio-circulatoire à l'origine d'importantes séquelles.

Sur appel du centre hospitalier universitaire, le second juge a condamné celui-ci à indemniser la victime de la perte de chance d'éviter les séquelles à hauteur de 60%.

Le Conseil d'Etat énonce le principe de droit relatif à la perte de chance et ensuite celui en vertu duquel toutes les conséquences dommageables doivent être indemnisées :

« Dans le cas où une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé a seulement compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, en raison de ce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. En revanche, lorsque le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé. »

Le Conseil d'Etat fait ainsi application de ce principe aux faits de l'espèce :

« Il ressort des termes mêmes de son arrêt que, pour juger que les manquements fautifs aux règles de l'art commis par l'anesthésiste lors de l'opération du 18 octobre 2008 n'avaient fait perdre à Mme I... qu'une chance de 60 % de se soustraire aux séquelles dont elle est atteinte, la cour s'est fondée sur la circonstance que les dommages causés par cette erreur d'anesthésie s'expliquaient en partie par l'existence, chez la patiente, de facteurs de risque cardiaque. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que, sans la faute commise par l'anesthésiste, Mme I... n'aurait pas été victime de l'arrêt cardiaque à l'origine de ses séquelles, la cour a commis une erreur de droit. Son arrêt doit, par suite, être annulé. »

On voit bien le caractère excessif de l'utilisation de la perte de chance par le second juge puisque selon ses énonciations sans la faute du médecin la victime n'aurait pas subi un arrêt circulatoire peu important la présence de facteurs de risque cardiaque.

En réalité, les facteurs de risque cardiaque évoqués par le second juge traduisent une prédisposition pathologique de la victime.

Or, la solution de la Haute juridiction administrative est parfaitement compatible avec sa jurisprudence constante sur la prédisposition pathologique suivant laquelle le droit à réparation de la victime ne peut être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection dont elle est atteinte n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable (CE, 5ème ch., 11 déc. 2018, n° 400877 ; CE, 5ème ch., 15 févr. 2019, n° 415988).

II. D'autres stratégies pour combattre une perte de chance contestable

Outre la jurisprudence rapportée, il existe d'autres stratégies juridiques pouvant être soulevées par la victime d'une erreur médicale lorsque la perte de chance est inappropriée ou sous-évaluée.

a) Rapport critique d'un médecin conseil

Des arguments tirés du rapport d'expertise peuvent être utilisés mais souvent un rapport critique d'un médecin conseil de la victime permet au juge d'augmenter le quantum de la perte de chance voire d'indemniser l'ensemble des conséquences dommageables.

Le médecin conseil doit être de la même spécialité que celle de l'expert. Par exemple, dans le cas d'un expert en gynécologue obstétrique, le médecin conseil doit être un spécialiste dans ce domaine.

Par exemple, chez l'enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale par anoxie après une faute commise dans une maternité, on peut rétrospectivement calculer le déficit de base selon des algorithmes disponibles (et en conséquence le risque de séquelles) à l'heure à laquelle la naissance aurait dû intervenir selon l'expert (Am J Obstet Gynecol 2002;187:1-9).

Un outil qui calcule la perte de chance selon cet algorithme applicable aux erreurs médicales pendant l'accouchement et la naissance est disponsible à la page d'accueil du site de notre cabinet d'avocat.

b) Défaut de consentement

La perte de chance du défaut de consentement s'ajoute à celle d'une faute technique.

Ceci permet d'augmenter l'importance du taux global de la perte de chance selon la méthode exposée par le Conseil d'Etat (CE, 5-6 CR, 8 juillet 2020, n° 425229) :

« Or il incombait à la cour, pour fixer le taux de la perte de chance subie par M. B..., d’additionner, d’une part, le taux de sa perte de chance de se soustraire à l’opération, c’est-à-dire la probabilité qu’il ait refusé l’opération s’il avait été informé du risque d’algodystrophie qu’elle comportait et, d’autre part, le taux de sa perte de chance résultant de la faute médicale commise lors de l’opération, ce taux étant multiplié par la probabilité qu’il ait accepté l’opération s’il avait été informé du risque d’algodystrophie qu’elle comportait. Compte tenu des taux de perte de chance, rappelés ci-dessus, que la cour avait souverainement appréciés, il devait en résulter un taux global de 25 % + (25 % x 75 %) = 43,75 %. Par suite, en statuant ainsi qu’il a été dit au point précédent, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit. M. B... est dès lors fondé à en demander l’annulation sur ce point. »

En se servant des chiffres de cette espèce, ces modalités de calcul du taux global de la perte de chance respectent la condition suivante : si la perte de chance du défaut de consentement est de 25 % ( la probabilité que la victime ait refusé l’opération est de 25 % ), la contrepartie nécessaire est une probabilité de 75 % que la victime ait subi l’intervention. Il en résulte que la perte de chance consécutive à la faute technique doit être multipliée par 75 %.

La solution du Conseil d’État est ainsi logique et d’utilisation facile pour l'avocat en droit de la santé.

Compte tenu de l'harmonisation de la jurisprudence des deux ordres de juridictions en matière de responsabilité médicale, on peut légitimement attendre à un arrêt de la Cour de cassation dans le même sens.

c) Accident médical sans faute

Dans le cadre d'une perte de chance consécutive à une faute médicale, l'accident médical sans faute qui remplit les conditions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique permet d'obtenir une indemnisation de toutes les autres conséquences dommageables subis par la victime.

Il en est ainsi suivant une jurisprudence importante du Conseil d'Etat (CE, 5-4 SSR, 12 déc. 2014, n° 355052) :

« Considérant que, si les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l’ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d’un dommage en vertu du I du même article, elles n’excluent toute indemnisation par l’office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d’un fait engageant leur responsabilité ; que, dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne

mentionnée au I de l’article L. 1142-1 a fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice directement lié à cette faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident non fautif ; que, par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l’ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l’indemnité due par l’ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l’ampleur de la chance perdue ; »

La Cour de cassation a adopté la même solution permettant à la victime d'un accident médical survenu dans un établissement privé de santé d'en bénéficier (Cass. Civ 1e, 22 nov. 2017, pourvoi n° 16-24769).

Il en résulte que la victime peut également combler l'indemnisation réduite par une perte de chance avec celle d'un accident médical sans faute indemnisable par l'ONIAM.

La perte de chance de la victime peut être également consécutive à un défaut de consentement (Cour d'Appel de Riom, 2 déc. 2020, RG n° 19/01842).

En effet, comme l'énonce le Conseil d'Etat, le préjudice directement lié à la faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident médical non fautif.

III. Conclusion

L'indemnisation réduite au titre d'une perte de chance peut être augmentée par l'avocat avec les stratégies juridiques exposées dans cet article afin que la victime d'un accident médical puisse obtenir la meilleure indemnisation de son préjudice.

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

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