La victime d'une erreur médicale peut saisir, sans l'assistance d'un avocat, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI devenue CCI mais les deux sigles seront utilisés dans cet article).

Souvent cela arrive puisque les acteurs en cause (par exemple, un chirurgien, un anesthésiste, un gynécologue obstétricien, une sage-femme...) encouragent la victime d'agir en ce sens car ils préfèrent naturellement la voie amiable à une procédure judiciaire.

Il en résulte que la victime peut prendre contact avec un avocat en droit de la santé des années après sa demande d'indemnisation devant la CRCI.

Or, une décision rendue le 3 décembre 2020 par la cour administrative d'appel de Paris rappelle des conséquences fâcheuses pouvant survenir à la suite de la saisine de la CCI (CAA Paris, 8ème ch., 3 déc. 2020, n° 17PA03134).

I. Dangers de saisine de la CCI lorsque la victime subi un accident médical dans un hôpital public

Dans cette affaire, la victime a subi un préjudice à la suite de la prise d'un médicament pour une forme d'arthrite du rachis (spondylarthrite). 

Voilà pourquoi elle a saisi la CRCI d'une demande d'indemnisation de son préjudice. 

Le 6 octobre 2005, la commission a rendu un avis selon lequel le dommage corporel subi par la victime était consécutif à un accident médical dont l'indemnisation incombait à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à hauteur de 75 % au titre de la solidarité nationale. La commission a aussi décidé que l'indemnisation incombait à l'hôpital à hauteur de 25 % en raison d'une faute médicale engageant sa responsabilité.

Le 8 janvier 2007, la victime a refusé la proposition d'indemnisation de l'ONIAM du 29 décembre 2006. 

La victime a également refusé la proposition d'indemnisation de l'assureur de l'hôpital en date du 6 décembre 2011 et reçu le 8 décembre 2011.

Aussi a-t-elle saisi le tribunal administratif de Paris par une requête enregistrée au greffe le 24 mai 2016.

Le premier juge a rejeté sa demande d'indemnisation par un jugement du 21 juillet 2017.

Après les offres d'indemnisation, ce jugement ne devait pas manquer de surprendre la victime ! Elle a donc aussitôt relevé appel du jugement.

1) Cependant la cour administrative d'appel rejette la demande d'indemnisation de la victime dirigée contre l'hôpital

S'il en était besoin, les motifs rappellent que la demande d'indemnisation devant la CCI comporte des conséquences juridiques :

« La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé une procédure de règlement amiable des litiges relatifs notamment aux accidents médicaux, confiée aux commissions régionales de conciliation et d'indemnisation (CRCI, devenues ultérieurement des commissions de conciliation et d'indemnisation (CCI)) et à l'ONIAM. La CRCI territorialement compétente peut être saisie par toute personne s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins. Lorsque les dommages subis présentent un certain caractère de gravité, prévu au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et fixé à l'article D. 1142-1 du même code, la commission émet, en application du premier alinéa de l'article L. 1142-8 de ce code, un avis portant notamment sur les causes et l'étendue des dommages ainsi que sur le régime d'indemnisation applicable. Si la commission estime que le dommage, provenant d'une faute, engage la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé au sens du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, il résulte des dispositions de l'article L. 1142-14 du même code que l'assureur de la personne considérée comme responsable adresse à la victime, dans un délai de quatre mois, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis et que la victime peut, soit accepter l'offre de l'assureur, qui vaut alors transaction au sens de l'article 2044 du code civil, soit, si elle l'estime insuffisante, saisir le juge. Il résulte de ce qui précède que la saisine de la CRCI ou de la CCI vaut, pour la victime qui souhaite obtenir une indemnisation de la part d'un établissement hospitalier, saisine de ce dernier d'une demande préalable en ce sens. »

Pour ce qui concerne le délai dans lequel la victime peut saisir le juge à la suite de la CRCI, l'arrêt note la combinaison des textes relatifs à l'effet suspensif de la saisine de la commission avec celles du délai d'exercice des recours contentieux :

« Le dernier alinéa de l'article L. 1142-7 du code de la santé publique, selon lequel la saisine de la commission " suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu'au terme de la procédure ", implique nécessairement que les dispositions de ce code relatives à la procédure de règlement amiable en cas d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales doivent être combinées avec celles du code de justice administrative relatives à l'exercice des recours contentieux. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". En vertu de l'article R. 421-3 du même code dans sa rédaction alors applicable, en matière de plein contentieux, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet. Enfin, aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " ».

Ainsi, à la suite de la procédure devant la CCI, le délai de deux mois permettant de contester la décision préalable ne court à l'encontre de la victime qu'à la condition d'avoir été mentionné dans la décision explicite de rejet y compris avec une indication précise des voies de recours.

Il s'agit d'une solution déjà adoptée par le Conseil d'Etat dans un avis du 17 septembre 2012 (CE, Avis, 17 septembre 2012, ONIAM, n°360280) ainsi que dans un arrêt du 17 juin 2019 (CE, 5-6 CR, 17 juin 2019, n° 413097, Publié au recueil Lebon.).

Le second juge applique ces principes de droit positif aux faits de l'espèce.

L'hôpital a adressé à la victime une proposition d'indemnisation en date du 6 décembre 2011, reçue le 8 décembre 2011, avec des protocoles d'indemnisation amiable. Faute d'acceptation de l'offre par la victime, cette décision explicite doit être considérée comme rejetant la demande d'indemnisation de la victime formulée devant la CRCI. 

Le second juge observe que le protocole d'indemnisation de l'assureur portait la mention explicite suivant laquelle à défaut d'acceptation de l'offre, la victime dispose d'un délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif de Paris à compter de la réception de l'offre du 8 décembre 2011.

Le second juge rejette aussi le moyen de la victime suivant lequel ses difficultés familiales et ses problèmes de santé l'ont empêchée de saisir le tribunal puisque pour le tribunal ces circonstances ne sont pas de nature à suspendre ou prolonger le délai de deux mois. 

La cour administrative d'appel approuve ainsi le tribunal qui a décidé que la demande de la victime dirigée contre l'hôpital était irrecevable et ne pouvait pas permettre une indemnisation pour la faute médicale.

Il convient de rappeler que la cour administrative d'appel de Paris a déjà débouté d'autres victimes de leurs demandes dans les mêmes circonstances donc après avoir demandé une indemnisation devant la CRCI (CAA Paris, 3ème ch., 31 déc. 2012, n° 12PA02019.)

2) Qu'en est-il de la demande d'indemnisation à l'encontre de l'ONIAM ?

Pour ce qui est de celle-ci, il convient de noter que l'offre de l'ONIAM précisait qu'en cas de désaccord, la victime devait saisir la juridiction compétente sans préciser laquelle ni le délai de saisine.

En conséquence, le délai de deux mois visé par l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne lui était pas opposable.

Pour cette raison, le second juge rappelle les termes de la décision du Conseil d'Etat déjà citée (CE, 5-6 CR, 17 juin 2019, n° 413097, Publié au recueil Lebon) suivant lesquels lorsque le délai de recours n'est pas opposable à la victime (à défaut de mention dans la décision explicite), la saisine du juge dans un délai raisonnable (l'arrêt cité du Conseil d'Etat ajoute que le délai raisonnable ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an) ne s'applique pas aux demandes d'indemnisation de la victime d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale qui sont régies par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique à savoir la prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage.

Fort heureusement pour cette victime, la cour administrative d'appel a réformé la décision du premier juge qui a considéré à tort que la demande d'indemnisation de la victime dirigée contre l'ONIAM était tardive et irrecevable.

Au titre d'un avertissement, si la proposition de l'ONIAM avait indiqué le délai et le nom du tribunal à saisir, la cour aurait confirmé la décision du premier juge qui a rejeté la demande d'indemnisation de la victime dirigée contre l'ONIAM.

II. Il y a aussi d'autres dangers 

L'affaire rapportée montre que lorsque la victime est soignée dans un hôpital public, le refus de la proposition d'indemnisation suivant l'avis de la CCI déclenche des délais de recours lourds de conséquences.

Encore faut-il citer d'autres risques qui menacent l'indemnisation de la victime d'une erreur médicale même lorsque la victime est soignée dans une clinique privée. 

Il s'agit par exemple du danger d'une nouvelle expertise médicale : après une proposition d'indemnisation dans le cadre d'une procédure devant la CRCI, la victime s'adresse au juge qui ordonne une nouvelle expertise médicale qui se révèle défavorable aux intérêts de celle-ci.

Une recherche rapide de jurisprudence trouve plusieurs décisions y compris des exemples récents comme un arrêt de la Cour d'Appel de Paris (CA Paris, 2-2, 19 nov. 2020, n° 19/02548)

On ne parlera même pas dans cet article de la perte de temps de plusieurs mois à la suite de l'abandon de la procédure devant la CCI.

III. La victime d'une erreur médicale doit choisir la voie appropriée dès le départ

Le choix de s'adresser à la CRCI, devenue la CCI, comporte des conséquences juridiques sérieuses.

La victime d'un accident médical ne devrait pas choisir cette voie sans réflexion.

D'emblée il faudra choisir avec l'aide d'un professionnel du droit la voie de recours la plus adaptée à chaque cas afin d'éviter les pièges et obtenir l'indemnisation intégrale du préjudice.

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

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