L'avocat en droit de la santé qui intervient dans la défense et l'indemnisation de la victime d'une erreur médicale pendant l'accouchement et la naissance doit prouver 3 éléments :

  1. un manquement comme une faute ou une négligence du gynécologue obstétricien et/ou de la sage-femme (souvent salariée de la maternité) ;
  2. un préjudice ;
  3. un lien de causalité direct et certain entre les deux.

Dans le contexte d'un enfant atteint d'une infirmité motrice d'origine cérébrale (IMOC), appelée aussi paralysie cérébrale (PC), la certitude du lien de causalité peut faire défaut. 

Dans ces conditions, le juge aura recours du préjudice spécifique de la perte de chance pour l'enfant d'éviter l'encéphalopathie par anoxo-ischémie et par suite le handicap par l'infirmité motrice cérébrale.

I. Préjudice spécifique de la perte de chance

La perte de chance est une construction de la jurisprudence de Cour de cassation datant de 1932.

En matière de responsabilité médicale, le dommage consécutif à une perte de chance correspond à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l'acte médical (Cass. civ. 1e , 8 févr. 2017, 15-21528, Publié au bulletin).

Cependant seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (Cass. civ. 1e , 21 nov. 2006, 05-15674, Publié au bulletin).

Il faut donc que la perte de chance soit certaine bien que le lien causal ne le soit pas.

Il en va sensiblement de même pour le Conseil d'Etat qui décide que dans le cas où la faute commise lors des soins d'un patient a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu si bien que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue (CE, 21 déc. 2007, n° 289328, Publié au recueil Lebon).

II. Les pertes de chance utilisées par nos juridictions pour les enfants IMOC sont sous-estimées

Les juridictions ont trop souvent recours à la perte de chance pour trancher la question du lien de causalité entre le handicap de l'enfant (en l'occurrence l'IMOC) et une erreur médicale commise dans une maternité par un gynécologue obstétricien ou une sage-femme. 

En réalité, les données acquises de la science médicale montrent que le risque absolu de l'encéphalopathie par hypoxo-ischémie (et par suite de l'infirmité motrice cérébrale) est faible (Yeh et coll. BJOG 2012;119:824-831).

Dès lors qu'il y a un retard dans l'extraction de l'enfant à naître, ce risque faible devient encore plus faible (Kelly et coll. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2017;0:F1-F6 ; Low et coll. Am J Obstet Gynecol 1997; 177(6):1391-4).

Il résulte de ces risques faibles des pertes de chance nettement plus élevées que celles utilisées par nos juridictions. 

A partir du moment où les experts connaissent l'importance de l'acidose métabolique (par le pH ou le déficit de base) à la naissance et celle des anomalies du rythme cardiaque fœtal, il leur est possible d'estimer ladite acidose au moment où l'extraction aurait dû intervenir par forceps, ventouse ou césarienne.

Si cette estimation ne franchit pas le seuil à partir duquel le risque d'IMOC augmente de manière importante (un pH de 7 ou un déficit de base de 12 mmol/L), l'expert devrait constater l'imputabilité directe et certaine et le juge devrait indemniser l'ensemble des conséquences dommageables subis par l'enfant.

III. Le Conseil d'Etat sanctionne les excès de l'utilisation de la perte de chance

L'utilisation de la perte de chance devient contestable quand elle sert de solution juridique à un argument de l'avocat du gynécologue-obstétricien relatif aux éventuels facteurs de risque de la santé de l'enfant à naître.

En effet, un arrêt du 27 novembre 2020 du Conseil d'Etat sanctionne une telle utilisation chez l'adulte (CE, 5ème ch., 27 novembre 2020, n° 426936).

Dans cette affaire, la victime a subi un arrêt cardio-circulatoire à l'origine d'importantes séquelles.

Sur appel de l'hôpital, le second juge a condamné celui-ci à indemniser la victime de la perte de chance d'éviter les séquelles à hauteur de 60%.

Le Conseil d'Etat énonce le principe de droit relatif à la perte de chance et ensuite celui en vertu duquel toutes les conséquences dommageables doivent être indemnisées :

« Dans le cas où une faute commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement de santé a seulement compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, en raison de ce que le dommage corporel avait une certaine probabilité de survenir en l'absence de faute commise par l'établissement, le préjudice résultant de cette faute n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. En revanche, lorsque le dommage corporel ne serait pas survenu en l'absence de la faute commise par l'établissement, le préjudice qui en résulte doit être intégralement réparé. »

Cette solution de la Haute juridiction administrative est parfaitement compatible avec sa jurisprudence constante sur la prédisposition pathologique suivant laquelle le droit à réparation de la victime ne peut être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection dont elle est atteinte n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable (CE, 5ème ch., 11 déc. 2018, n° 400877 ; CE, 5ème ch., 15 févr. 2019, n° 415988).

Ainsi chez l'enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale, on ne saurait se servir de son état antérieur pour justifier une perte de chance dès lors que sans la faute du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme l'enfant n'aurait pas été victime d'un handicap.

IV. D'autres stratégies pour combattre une perte de chance contestable chez l'enfant atteint d'une IMOC

Il existe d'autres stratégies juridiques pouvant être soulevées par la victime d'une infirmité motrice cérébrale lorsque la perte de chance est inappropriée ou sous-évaluée.

a) Rapport critique du gynécologue-obstétricien habituel de l'avocat

Le rapport critique d'un médecin conseil de la victime fournit au juge la preuve des arguments techniques permettant d'augmenter le quantum de la perte de chance ou d'indemniser l'ensemble des conséquences dommageables.

Pour ce faire, l'avocat de la famille de l'enfant atteint d'IMOC doit faire intervenir son gynécologue-obstétricien habituel.

b) Défaut de consentement

La femme enceinte doit bénéficier d'une information sur les risques de l'accouchement par les voies naturelles en vertu de l'article L1111-2 du code de la santé publique.

En effet, la Cour de cassation a décidé dans un arrêt important publié au Bulletin (Cass. Civ. 1e, 23 janv. 2019, 18-10706) : 

« Attendu que, selon ce texte, toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé et l'information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ; que seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent dispenser le professionnel de santé de son obligation d'information ; que la circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu'en particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.  »

Le même article L1111-2 du code de la santé publique précise qu'en cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article.

La faute médicale consécutive au défaut de consentement s'analyse aussi comme une perte de chance.

Or, la perte de chance du défaut de consentement s'ajoute à celle d'une faute technique du gynécologue-obstétricien ou d'une sage-femme.

Ceci permet d'augmenter l'importance du taux global de la perte de chance selon la méthode exposée par le Conseil d'Etat (CE, 5-6 CR, 8 juillet 2020, n° 425229) :

« Or il incombait à la cour, pour fixer le taux de la perte de chance subie par M. B..., d’additionner, d’une part, le taux de sa perte de chance de se soustraire à l’opération, c’est-à-dire la probabilité qu’il ait refusé l’opération s’il avait été informé du risque qu’elle comportait et, d’autre part, le taux de sa perte de chance résultant de la faute médicale commise lors de l’opération, ce taux étant multiplié par la probabilité qu’il ait accepté l’opération s’il avait été informé du risque qu’elle comportait. Compte tenu des taux de perte de chance, rappelés ci-dessus, que la cour avait souverainement appréciés, il devait en résulter un taux global de 25 % + (25 % x 75 %) = 43,75 %. Par suite, en statuant ainsi qu’il a été dit au point précédent, la cour a entaché son arrêt d’une erreur de droit. M. B... est dès lors fondé à en demander l’annulation sur ce point. »

En se servant des chiffres de cette espèce, ces modalités de calcul du taux global de la perte de chance respectent la condition suivante : si la perte de chance du défaut de consentement est de 25 % (la probabilité que la victime ait refusé l’opération est de 25 %), la contrepartie nécessaire est une probabilité de 75 % que la victime ait subi l’intervention. Il en résulte que la perte de chance consécutive à la faute technique doit être multipliée par 75 %.

La solution du Conseil d’État est ainsi logique et d’utilisation pratique par l'avocat pour la victime d'une IMOC.

c) Accident d'accouchement sans faute

La Cour de cassation a décidé en 2019 que les manoeuvres obstétricales sont des actes soins permettant ainsi l'indemnisation d'un accident d'accouchement sans faute à la condition que celui-ci remplisse les conditions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique (Cass. civ. 1e, 19 juin 2019, 18-20883, Publié au bulletin) :

« Mais attendu que, si l'accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manoeuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1du code de la santé publique. »

Les juridictions de l'ordre administratif ont suivi cette jurisprudence importante de l'ordre judiciaire.

Dans le cadre d'une perte de chance consécutive à une faute du gynécologue-obstétricien, l'accident d'accouchement sans faute qui est survenu lors de l'utilisation de manoeuvres obstétricales et qui remplit les conditions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique permet d'obtenir une indemnisation de toutes conséquences dommageables subis par l'enfant victime d'une IMOC. 

Il en est ainsi suivant une jurisprudence importante du Conseil d'Etat (CE, 5-4 SSR, 12 déc. 2014, n° 355052) :

« Considérant que, si les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l’ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d’un dommage en vertu du I du même article, elles n’excluent toute indemnisation par l’office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d’un fait engageant leur responsabilité ; que, dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l’article L. 1142-1 a fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice directement lié à cette faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident non fautif ; que, par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l’ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l’indemnité due par l’ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l’ampleur de la chance perdue ; »

La Cour de cassation a adopté la même solution permettant à la victime d'un accident médical survenu dans un établissement privé de santé d'en bénéficier (Cass. Civ 1e, 22 nov. 2017, pourvoi n° 16-24769).

Il en résulte que l'avocat de la famille d'un enfant atteint d'une IMOC peut combler l'indemnisation réduite par une perte de chance avec celle d'un accident médical sans faute dont la réparaton incombe à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

La perte de chance à combler peut également être consécutive à un défaut de consentement (Cour d'Appel de Riom, 2 déc. 2020, RG n° 19/01842).

En effet, le préjudice directement lié à la faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident médical non fautif.

V. Conclusion

L'indemnisation au titre d'une perte de chance peut être augmentée par l'avocat avec les stratégies exposées dans cet article afin que la victime d'une erreur médicale pendant l'accouchement et la naissance puisse obtenir la meilleure indemnisation de son préjudice.

Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine 

22 av. de l'Observatoire - 75014 PARIS

Tél : 01.46.72.37.80

Site internet du cabinet à https://dimitriphilopoulos.com/