Les avocats et les associations de victimes d'erreurs médicales pendant l'accouchement et la naissance ne manqueront pas de remarquer une nouvelle étude relative aux fautes commises dans des maternités à l'origine du handicap ou du décès d'un enfant (Acta Obstet Gynecol Scand. 2021;100:139-146).
Cette étude est un audit administratif dans douze maternités européennes et a examiné 17.323 accouchements et 553 accidents d'accouchement.
Or cette grande enquête a mis en évidence des manquements aux règles de la bonne pratique obstétricale (fautes, négligences, imprudences, etc.) dans plus de la moitié de ces accidents d'accouchement.
I. Résultats de l'étude concernant l'anoxo-ischémie per-natale
En cas de mauvaise oxygénation de l'enfant pendant l'accouchement et la naissance, on parle d'asphyxie per-natale.
Il peut en résulter des troubles neurologiques du nouveau-né donc une encéphalopathie hypoxo-ischémique (depuis 2010 traitée par hypothermie contrôlée dans premières six heures de vie).
Plus tard, l'enfant peut être atteint d'une infirmité motrice d'origine cérébrale (IMOC), appelée aussi paralysie cérébrale.
Dans l'audit rapporté, parmi les enfants nés dans un contexte de mauvaise oxygénation, 55% sont nés par césarienne, forceps ou ventouse.
Dans 54% des cas, les auteurs ont mis en évidence un manquement à la bonne pratique obstétricale à l'origine du dommage subi par l'enfant. Il peut s'agir par exemple d'une faute, une négligence ou une imprudence de la part du gynécologue obstétricien ou de la sage-femme.
Plus concrètement, les erreurs médicales mises en évidence sont les suivantes :
- Dans 20% des accidents d'accouchement, la faute médicale est consécutive à un retard dans l'extraction du bébé victime d'une mauvaise oxygénation. Ce retard a été consécutif à un retard dans la décision de hâter l'accouchement par césarienne, forceps ou ventouse. Il a aussi été la conséquence du dépassement du laps de temps admis entre la décision d'intervenir et l'extraction de l'enfant.
- Dans 13% des accidents d'accouchement, il s'agissait d'une faute du monitoring du rythme cardiaque fœtal. L'audit a mis en évidence des absences d'enregistrement du cœur du bébé alors que le monitoring était indiqué. Il a également mis en évidence des erreurs d'interprétation du tracé du rythme cardiaque fœtal.
- Dans 8% des accidents d'accouchement, il s'agissait d'une faute de communication entre la sage-femme et le gynécologue obstétricien de la maternité. Par exemple, l'absence d'appel de la sage-femme à l’obstétricien malgré les anomalies du rythme cardiaque fœtal.
- Dans 6% des cas, la faute concerne la mauvaise utilisation d'un forceps ou la durée excessive pour la pratique d'une ventouse alors qu'il y avait des anomalies majeures du rythme cardiaque du fœtus.
- Dans 4% des cas, il s'agit d'une erreur de l'administration de Syntocinon à l'origine de contractions utérines excessives conduisant à l'anoxie de l'enfant à naître.
- Dans 3% des cas, la faute concerne l'absence d'examen clinique malgré cette indication.
Les résultats de cette étude sont conformes à d'autres publications d'enquêtes de maternités (J Obstet Gynecol Res. 2010;36:717-25 ; Acta Obstet Gynecol Scand. 1997;76:839-42 ; Br J Obstet Gynaecol. 2008;115:316-23).
La figure montre la fréquence des fautes médicales pendant l'accouchement selon l'enquête :
II. Ces données trouvent leur traduction dans la jurisprudence
La jurisprudence des deux ordres de juridictions traduit les résultats de cette enquête.
A titre d'exemple, la Cour de cassation a rappelé l'importance de la communication entre la sage-femme et le gynécologue obstétricien par un arrêt important publié au Bulletin (Cass. Civ. 1, 14 octobre 2010, pourvois n° 09-16.085 et 09-17.035) :
« Attendu que la cour d'appel a retenu que la sage-femme est habilitée à pratiquer les actes nécessaires quant à la surveillance et la pratique de l'accouchement, qu'elle doit faire appel à un médecin en cas d'accouchement dystocique. »
Autrement dit, dès lors que l'accouchement n'est plus physiologique, la sage-femme doit appeler le gynécologue obstétricien ce qui traduit le défaut de communication soulevé dans l'audit.
D'autre part, la Cour de cassation reconnaît également l'importance du monitoring car elle décide qu'en l'absence du tracé, la maternité doit prouver l'absence de tout événement qui exige l'intervention du gynécologue-obstétricien (Cass. Civ. 1, 13 décembre 2012, pourvoi n° 11-27347) :
« Qu'en statuant ainsi, alors que, faute d'enregistrement du rythme foetal pendant plusieurs minutes, il incombait à la clinique d'apporter la preuve qu'au cours de cette période, n'était survenu aucun événement nécessitant l'intervention du médecin obstétricien, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés ; »
Par ailleurs, la Cour de cassation rappelle l'importance du retard, fût-il de courte durée, dans la pratique de l'intervention obstétricale car elle décide que tout retard dans l'extraction de l'enfant est susceptible de contribuer à l'apparition ou à l'aggravation de séquelles cérébrales (Cass. Civ. 1, 24 octobre 2019, pourvoi n° 18-19459) :
Ce faisant la Haute juridiction est fidèle à sa jurisprudence sur la perte de chance qui présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable en l'occurrence celle d'éviter les séquelles de l'infirmité motrice d'origine cérébrale.
Naturellement les juridictions du fond tranchent des litiges relatifs à l'utilisation de Syntocinon® mais il y a également des décisions relatives à l'administration de différents médicaments pouvant stimuler les contractions utérines.
Par exemple, une cour administrative d'appel décide que les utilisations successives de Cytotec® et de Syntocinon® (outre le surdosage du premier) est une faute médicale du gynécologue-obstétricien et de la sage-femme ce qui engage la responsabilité de l'hôpital (CAA Versailles, 4e chambre, 3 novembre 2020, n° 17VE00843) :
« Il résulte de l'instruction que le centre hospitalier a administré, en plus du Cytotec dans la forme et au dosage sus-rappelés, à la patiente, par voie de perfusion, à 14h30, du Syntocinon alors que, selon les experts, le recours à un second ocytocique n'était pas justifié car il n'existait pas de stagnation de la dilatation du col et a pu contribuer à la survenue de la rupture utérine. Si le rapport du médecin conseil d'assurance contredit ce constat en relevant que le délai entre l'administration de Cytotec et de Syntocinon a été respecté par le centre hospitalier et qu'il est raisonnable de penser que l'organisme de la mère avait éliminé le Cytotec compte tenu de ce délai, il résulte de l'instruction que le délai d'élimination du produit administré par voie vaginale peut être très long et que le comprimé administré par cette voie peut ne pas être complètement dissous plusieurs heures après son administration. Dès lors, en administrant successivement et donc cumulativement Cytotec, à une dose de 50 microgrammes, puis ultérieurement du Syntocinon soit un second ocytocique sous forme de perfusion, l'hôpital a commis une faute médicale de nature à engager sa responsabilité. »
Plus d'informations pour les avocats et associations de victimes d'accouchements traumatiques sont disponibles sur le site de notre cabinet (rubrique « erreur - accouchement »).
Cependant l'audit n'a pas évoqué le consentement de la femme enceinte, ni l'accident médical non fautif.
Or, en vertu de l'article L1111-2 du code de la santé publique, l'importance du consentement éclairé de la maman sur les modes d'accouchement a été rappelée avec fermeté par la Haute juridiction française dans un arrêt publié au Bulletin (Cass. Civ. 1e, 23 janv. 2019, 18-10706) :
« Attendu que, selon ce texte, toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé et l'information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ; que seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent dispenser le professionnel de santé de son obligation d'information ; que la circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas le professionnel de santé de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ; qu'en particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention. »
L'audit soulève également que certains accidents d'accouchement surviennent sans faute commise par le gynécologue obstétricien ou la sage-femme. Dans ces cas la jurisprudence du Conseil d'Etat permet l'indemnisation de la victime d'un accident d'accouchement sans faute dès lors que les conditions du II de l'article L1142-1 du code de la santé publique sont remplies (CE, 5-4 SSR, 12 déc. 2014, n° 355052) :
« Considérant que, si les dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l’ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d’un dommage en vertu du I du même article, elles n’excluent toute indemnisation par l’office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d’un fait engageant leur responsabilité ; que, dans l’hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l’article L. 1142-1 a fait perdre au patient une chance d’échapper à l’accident médical ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice directement lié à cette faute est la perte de chance d’éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l’accident non fautif ; que, par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l’ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l’article L. 1142-1 et présentent notamment le caractère de gravité requis, l’indemnité due par l’ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l’ampleur de la chance perdue ; »
La Cour de cassation a adopté la même solution permettant à la victime d'un accident médical survenu dans un établissement privé de santé d'en bénéficier (Cass. Civ 1e, 22 nov. 2017, pourvoi n° 16-24769).
A ce titre, il convient de préciser que les manoeuves obstétricales sont des actes de soins au sens du même article du code de la santé publique (Civ. 1e, 19 juin 2019, pourvoi n° 18-20883) :
« Mais attendu que, si l'accouchement par voie basse constitue un processus naturel, les manoeuvres obstétricales pratiquées par un professionnel de santé lors de cet accouchement caractérisent un acte de soins au sens de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; »
Le juge administratif a suivi cette solution (CAA Nancy, 3e chambre, 3 mars 2020, n° 18NC00386).
III. Conclusion
Cet audit des pratiques obstétricales montre que les fautes médicales commises par le gynécologue-obstétricien ou la sage-femme se répètent d'une année à l'autre : retards dans la réalisation d'une césarienne ou d'un forceps, mauvaise interprétation du rythme cardiaque fœtal, absence d'appel de la sage-femme au gynécologue obstétricien et abus d'utilisation de Syntocinon pour stimuler les contractions utérines.
Outre ces manquements à la pratique obstétricale, le défaut de consentement et l'accident d'accouchement sans faute permet la meilleure indemnisation de la victime et sa famille.
Dimitri PHILOPOULOS - Avocat et Docteur en médecine
22 av. de l'Observatoire - 75014 PARIS
Tél : 01.46.72.37.80
Site internet du cabinet à https://dimitriphilopoulos.com/
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