La faute d'un gynécologue-obstétricien ou d'une sage-femme dans une maternité peut avoir des conséquences dramatiques en cas d'une anoxie (manque d'oxygène) subie pendant l'accouchement.

De fait, l'anoxie à la naissance peut conduire à une encéphalopathie anoxo-ischémique et, ensuite, à une infirmité motrice d'origine cérébrale ( IMOC ) aujourd'hui appelée paralysie cérébrale ( PC ).

Heureusement, le traitement du nouveau-né par hypothermie contrôlée a amélioré le pronostic de l'enfant victime d'une anoxie cérébrale à la naissance mais trop d'enfants restent encore atteints de handicaps lourds.

En cas de faute constatée lors d'une mesure d'expertise médicale, le juge doit fixer l'indemnisation du préjudice.

Or, cette indemnisation présente des particularités lorsque la négligence du gynécologue-obstétricien et/ou de la sage-femme a été commise dans la maternité au sein d'un établissement public de santé.

Il en est ainsi notamment pour ce qui est de l'indemnisation du poste de préjudice relatif à l'assistance par tierce personne pour que l'enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale ( paralysie cérébrale ) puisse accomplir les actes de la vie quotidienne.

Un avis du Conseil d'Etat rendu le 30 septembre 2022 montre que ces particularités posent toujours des difficultés ( CE, 5-6 CR, 30 septembre 2022, n° 460620, publié au recueil Lebon ).

Dans cette affaire, un enfant a subi une anoxie cérébrale en raison des fautes de nature à engager la responsabilité d'un hôpital public.

Cependant, lors de l'appréciation de l'indemnité due au titre de l'assistance par une tierce personne, le juge du fond était confronté à la difficulté de savoir s'il devrait déduire de cette indemnisation le crédit d'impôt prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts, lequel permet à tout contribuable de réduire, à hauteur de 50 % des sommes versées en rémunération des services à la personne mentionnés à l'article D. 7231-1 du code du travail, dans la limite des plafonds fixés, les frais qu'il expose lorsqu'il recourt à de telles prestations.

Autrement dit, le juge du fond se posait la question de savoir si ce crédit d'impôt légal devrait venir en déduction de l'indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne pour cet enfant atteint d'une infirmité motrice cérébrale.

Dans son avis, le Conseil d'Etat a rappelé d'abord les principes de l'évaluation de l'indemnisation de la tierce personne devant le juge administratif ( I ) avant de répondre à la question relative au crédit d'impôt ( II ).

I. Appréciation de l'indemnisation de la tierce personne devant le juge administratif

Par rapport au juge civil compétent lorsque la négligence d'un gynécologue-obstétricien et/ou d'une sage-femme est commise dans une maternité qui dépend d'un établissement de santé privé, le juge administratif apprécie l'indemnisation de la tierce personne de manière spécifique notamment quant aux tarifs horaires retenus et aux sommes à déduire de celle-ci.

Suivant un arrêt du 27 mai 2021, le Conseil d'Etat a décidé que l'indemnisation de la tierce personne doit respecter certains principes qui tendent à la réparation intégrale du préjudice ( CE, 5-6 CR, 27 mai 2021, n° 433863 )

« Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime. »

Sur l'estimation du besoin en tierce personne, le Conseil d'Etat adopte une position réaliste car il apparaît défavorable à la déduction de l'assistance parentale habituelle ( nécessaire pour tout enfant même sans handicap) dès lors que l'importance de l'infirmité motrice cérébrale modifie radicalement la nature de cette présence parentale ( CE, 5-6 CR, 2 avril 2021, n° 427283 et aussi CE, 5-6 CR, 16 février 2021, n° 428513). Encore faut-il préciser que ces arrêts de la Haute juridiction administrative se fondent uniquement sur l'appréciation souveraine des juges du fond dans la limite de la dénaturation ce qui montre une fois de plus l'importance de l'expertise médicale sur ce point.

Contrairement à son homologue civil, le Conseil d'Etat a décidé dans un arrêt du 26 juillet 2018 que certaines prestations bien définies peuvent être déduites de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ( CE, 5-6 CR, 26 juillet 2018, n° 408806 ) :

« Considérant qu'en vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais ; qu'il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage ; que la déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune ; »

Dans le cadre d'un enfant atteint d'une infirmité motrice d'origine cérébrale ( paralysie cérébrale ) après une anoxie subie pendant l'accouchement et la naissance, l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ( AEEH ) peut ainsi être déduite de l'indemnité tierce personne devant le juge administratif car aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la récupération de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé en cas de retour de son bénéficiaire à meilleure fortune.

En revanche, lorsque la faute du gynécologue-obstétricien et/ou de la sage-femme est commise dans une maternité au sein d'un établissement privé de santé, la Cour de cassation ne permet pas la déduction de l'AEEH de l’indemnité allouée au titre de la tierce personne ce même si la condamnation est prononcée contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux donc l'ONIAM ( Civ. 1e, 2 juin 2021, pourvoi n° 20-10995 ).

Néanmoins, dans l'arrêt du 26 juillet 2018, le Conseil d'Etat a rappelé une limite importante à la déduction de l'AEEH qui est celle d'éviter une double indemnisation notamment dans le cadre du préjudice spécifique de la perte de chance :

« Considérant qu'il suit de là que le montant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de son complément éventuel peut être déduit d'une rente ou indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 7 ci-dessus, lorsque l'auteur de la faute n'est tenu de réparer qu'une fraction du dommage corporel, cette déduction n'a lieu d'être que lorsque le montant cumulé de l'indemnisation incombant normalement au responsable et de l'allocation et de son complément excéderait le montant total des frais d'assistance par une tierce personne ; que l'indemnisation doit alors être diminuée du montant de cet excédent ; »

II. Réponse du Conseil d'Etat sur l'incidence du crédit d'impôt de l'article 199 sexdecies du code général des impôts

La Cour de cassation ne tient pas compte des incidences fiscales dans la réparation du préjudice corporel.

De son côté, le Conseil d'Etat a rendu son avis sur la question de savoir si l'indemnisation du crédit d'impôt de l'article 199 sexdecies CGI doit être déduite de l'indemnisation de l'assistance par tierce personne ( CE, 5-6 CR, 30 septembre 2022, n° 460620, publié au recueil Lebon ).

La Haute juridiction administrative répond en principe par la négative mais avec une exception : 

« Il résulte des dispositions citées au point 1 que le crédit d'impôt prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts permet à tout contribuable de réduire, à hauteur de 50 % des sommes versées en rémunération des services à la personne mentionnés à l'article D. 7231-1 du code du travail, dans la limite des plafonds fixés, les frais qu'il expose lorsqu'il recourt à de telles prestations. Le 3 de cet article 199 sexdecies précise que l'assiette des dépenses qui ouvrent droit à cet avantage fiscal ne comprend que les dépenses effectivement supportées par le contribuable, ce qui en exclut les dépenses faisant l'objet d'une indemnisation par l'auteur d'un dommage corporel au titre du besoin d'assistance par tierce personne qui y est lié.

Il s'ensuit qu'il appartient au juge, lorsqu'il arrête le montant dû en réparation des frais d'assistance à tierce personne qui seront exposés postérieurement à sa décision, d'allouer une indemnité permettant de prendre en charge le besoin d'assistance de la victime, sans qu'il y ait lieu d'opérer de déduction au titre du crédit d'impôt, que celle-ci ait recours à une assistance salariée ou à un membre de sa famille ou un proche. La réparation intégrale ainsi accordée fera obstacle à ce que le contribuable puisse bénéficier du crédit d'impôt au titre des prestations de service assurées par un salarié ou une association, une entreprise ou un organisme déclaré et dont cette indemnité aura permis la prise en charge. »

En revanche, pour le Conseil d'Etat, la déduction intervient dès lors que les frais de tierce personne ont été exposés avant la décision du juge administratif :

« Il en va en revanche différemment lorsque le juge arrête le montant dû en réparation des frais d'assistance à tierce personne qui ont été exposés antérieurement à sa décision, que l'état de santé de la victime a nécessité le recours à une assistance qui a été assurée par un salarié ou par une association, une entreprise ou un organisme déclaré, et que celle-ci a effectivement bénéficié à ce titre de l'avantage fiscal prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts. Dans un tel cas, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 ci-dessus qu'il appartient au juge de déduire, au besoin d'office, au même titre que les prestations mentionnées au point 2, le montant de l'avantage fiscal perçu, dans la mesure où il correspond à une telle assistance, de l'indemnité mise à la charge de la personne publique en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour déterminer le montant à déduire. »

En principe, pour ces frais antérieurs au jugement, la déduction intervient même si la famille de la victime ne paie pas d'impôt. En effet, s'agissant d'un crédit d'impôt, la totalité du crédit d'impôt donne lieu à remboursement par la Direction Générale des Finances Publiques dans le cas où les parents d'un enfant handicapé ne seraient pas imposables. Naturellement, la famille de la victime devrait vérifier le remboursement effectif...

Néanmoins, par exemple dans le cas d'une erreur médicale commise pendant l'accouchement et la naissance, le Conseil d'Etat a rappelé que l'article 199 sexdecies du code général des impôts prévoit une limite au crédit d'impôt en cas de perception du complément de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé ( AEEH ) et cette limite doit être soulevée par l'avocat.

Dimitri PHILOPOULOS

Avocat à la Cour de Paris et Docteur en médecine 

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