La faute chirurgicale par maladresse se retrouve périodiquement devant la Cour de cassation sans doute en raison des difficultés de preuve relatives au geste chirurgical.

Dans un arrêt rendu le 25 mai 2023, publié au Bulletin, le patient a été victime d'une lésion du nerf supra-scapulaire lors d'une réparation de la coiffe et une acromioplastie sous arthroscopie.

La victime a été indemnisée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux ( Oniam ) dans le cadre d'une procédure amiable de la Commission de conciliation et d'indemnisation ( CCI ).

Par la suite, l'Oniam a assigné le chirurgien et son assureur en remboursement des sommes versées.

En appel, la cour a fait droit à la demande de l'Oniam mais le chirurgien et son assureur ont formé un pourvoi en cassation.

I. Rappel de la jurisprudence en matière de maladresse chirurgicale

Suivant les dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, la responsabilité du professionnel de santé ne peut être engagée qu'en cas de faute.

Or, la preuve de cette faute est à la charge de la victime.

Cependant la victime endormie lors d'une intervention chirurgicale aura du mal à apporter cette preuve...

En raison de ces difficultés de preuve, la Cour de cassation a trouvé une solution habile car elle a créé une véritable présomption de faute en matière de maladresse chirurgicale à savoir : 

« l'atteinte portée par un chirurgien à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique. »

La Haute juridiction a appliqué ce principe dans deux arrêts rendus le 23 mai 2000 dans le contexte d'une atteinte du nerf sublingual et celui de l'artère poplitée.

Cependant dans un arrêt du 4 octobre 2017 la Cour de cassation a rappelé que cette présomption de faute peut être écartée par la preuve du chirurgien d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou d'un risque non maîtrisable ( donc un aléa thérapeutique ). Dans cette espèce, la Cour régulatrice casse l'arrêt d'une cour d'appel qui a retenu la maladresse chirurgicale fautive et énonce : 

« une faute du chirurgien peut être écartée par la preuve de la survenance d'un risque inhérent à l'intervention ne pouvant être maîtrisé et relevant de l'aléa thérapeutique. »

Encore faut-il rappeler que par un arrêt du 27 novembre 2019 la Cour de cassation a exercé un contrôle sur la qualification de l'aléa thérapeutique en l'espèce dans le cas d'une lésion vasculaire consécutive à l'introduction d'un trocart lors d'une chirurgie cœlioscopique : 

« alors qu'il résultait de ses constatations fondées sur le rapport d'expertise que la prise de précautions ne pouvait permettre d'écarter l'éventualité de la survenue d'une lésion inhérente à la technique utilisée. »

Plus tard, par un arrêt rendu le 26 février 2020 dans une affaire où la victime a subi une contusion médullaire lors d'une intervention chirurgicale pour le traitement une hernie discale cervicale, la Première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence sur la maladresse chirurgicale mais elle a ajouté une condition dont la preuve incombe à la victime :

« mais l'application de cette présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien lui-même en accomplissant son geste chirurgical. »

Donc, la mise en œuvre de la présomption de faute implique qu'il soit tenu pour certain que l'atteinte a été causée par le chirurgien en accomplissant son geste chirurgical.

II. Solution de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 mai 2023

Cet arrêt trace les contours du contrôle normatif de la motivation du juge du fond en matière de maladresse chirurgicale.

Après avoir rappelé le principe de la responsabilité médicale pour faute ( prouvée par la victime ), l'arrêt du 25 mai 2023 de la Haute juridiction a rappelé la règle de droit prétorien selon laquelle :

« Cependant l'atteinte portée par un chirurgien, en accomplissant son geste chirurgical, à un organe ou un tissu que son intervention n'impliquait pas, est fautive, en l'absence de preuve par celui-ci d'une anomalie rendant l'atteinte inévitable ou de la survenance d'un risque inhérent à cette intervention qui, ne pouvant être maîtrisé, relève de l'aléa thérapeutique. »

En l'espèce, sur le moyen du pourvoi pour défaut de base légal, la Haute juridiction décide : 

« Dès lors qu'elle a retenu que les experts n'avaient envisagé que deux mécanismes susceptibles d'expliquer l'atteinte du nerf, l'un imputable à l'anesthésie, qui avait été exclu en raison des aiguilles utilisées et de l'étendue de l'atteinte, et l'autre imputable à une lésion directe du nerf sus-épineux lors de l'arthrolyse des adhérences entre la coiffe et la face profonde du deltoïde, que, s'ils n'expliquaient pas une telle lésion et estimaient peu plausible un tel mécanisme, l'alternative présentée conduisait nécessairement à retenir la seconde éventualité, qu'aucun risque n'avait été identifié par les experts pour expliquer la survenance d'une telle lésion et que l'étude de la littérature médicale ne rapportait pas de complication de ce type de sorte que l'atteinte était due à une maladresse technique, la cour d'appel a caractérisé la cause de l'atteinte et l'exclusion d'un aléa thérapeutique, justifiant ainsi légalement sa décision. » 

Ainsi, en réponse au moyen du pourvoi, la Cour de cassation a vérifié que la cour d'appel a correctement motivé sa décision tant sur le plan de la certitude de la cause ( c'est la solution de l'arrêt déjà cité du 26 février 2020 ) et celui de l'exclusion de l'aléa thérapeutique ( c'est la solution de l'arrêt déjà cité du 27 novembre 2019 ).

Or, en l'espèce, sans dénaturation du rapport d'expertise, la cour d'appel a bel et bien relevé que les experts ont écarté la possibilité d'une atteinte nerveuse imputable à l'anesthésiste en raison des aiguilles utilisées et l'étendue de l'atteinte. D'autre part, la cour d'appel a soulevé l'absence de risque médical non maîtrisable expliquant la lésion ainsi que l'absence d'une complication de ce type rapportée dans la littérature médicale. 

Cette motivation était suffisante aux yeux de la Haute juridiction de sorte que la cour d'appel a légalement justifié sa décision sur la maladresse fautive du chirurgien.

III. Côté pratique

Avant d'engager une procédure, l'avocat de la victime devrait analyser le compte rendu opératoire afin de vérifier que le geste du chirurgien soit la cause de la lésion à l'origine du préjudice. A ce titre, il faut vérifier que l'on ne retrouve pas dans le dossier médical la mention d'autres causes. Le médecin conseil de la victime pourra aider dans cette analyse. Il s'agit d'un élément dont la victime a la charge de la preuve.

Dans l'affirmative, l'avocat devra ensuite examiner le dossier médical pour vérifier l'absence des conditions dont le chirurgien a la charge de la preuve à savoir une anomalie rendant l'atteinte inévitable ( telle qu'une anomalie anatomique notée dans le compte rendu opératoire ) et un risque inhérent à cette intervention qui ne peut être maîtrisé ( tel que des données publiées dans la littérature médicale d'un risque incompressible de lésions malgré toutes les précautions ). 

Dimitri PHILOPOULOS

Avocat à la Cour de Paris et Docteur en Médecine

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