A/ Le salaire différé du descendant de l'exploitant.

Le descendant (enfant, petit-enfant… ) du chef d’exploitation agricole qui a participé à la mise en valeur de l’exploitation familiale sans aucune contrepartie (sinon les avantages inhérents à la communauté de vie) a droit, au décès de l’exploitant, à une rémunération dite « salaire différé ».

Conditions exigées du bénéficiaire.

a) Age. Le bénéficiaire, à l’époque de sa collaboration, doit être âgé de plus de 18 ans. Les périodes de participation antérieures au 18ème anniversaire ne sont pas prises en considération.

b) Participation à l’exploitation. Le bénéficiaire doit avoir participé directement et effectivement aux travaux de l’exploitation. Il doit s’agir d’une activité agricole au sens de l’article L 311-1 du Code Rural. Les tâches administratives de gestion de l’exploitation ne peuvent être retenues. La participation aux travaux ne doit pas avoir été simplement occasionnelle.

c) Absence de rémunération. Le bénéficiaire du Salaire Différé ne doit pas avoir été associé aux résultats de l’exploitation et il ne doit pas avoir reçu de salaire en argent, ni d’avantages en nature. Toutefois, a simple remise d’argent de poche et les avantages inhérents à la communauté de vie (logement, nourriture, …) ne sont pas pris en considération.

Le débiteur est l’ascendant ayant eu la qualité d’exploitant agricole.

Cette qualité d’exploitant agricole est une question de fait et dépend de la nature de l’activité exercée (qui doit être une activité de nature agricole) et non de l’importance ou de la rentabilité de l’exploitation. L’abandon de l’activité par l’ascendant n’éteint pas la dette de salaire différé.

Calcul de la créance.

Si le décès de l’exploitant est intervenu après le 6 juillet 1980, le bénéficiaire a droit, pour chacune des années de participation à partir de l’âge de 18 ans et dans la limite de 10 années, a une somme égale à : 2.080 X 2/3 x SMIC horaire par année de participation aux travaux. Il convient de prendre le montant du SMIC horaire au jour du règlement.

En cas de participation partielle, le descendant ne peut prétendre qu’à une créance proportionnelle au temps de travail effectif sur l’exploitation (jurisprudence établie).

Exigibilité.

Selon une jurisprudence, la créance naît du vivant du parent exploitant, mais son exigibilité est reportée au décès de l’exploitant.

Elle doit être revendiquée tant qu’un partage définitif n’est pas intervenu. Au-delà, la demande est irrecevable.

Prescription.

Le délai de prescription de l’action en reconnaissance d’une créance de salaire différé a été ramené de 30 ans à 5 ans (article 2224 du Code Civil issu de la loi du 17 juin 2008).

Charge de la preuve.

C’est à celui qui se prétend bénéficiaire d’un contrat de salaire différé d’apporter la preuve qu’il remplit les conditions légales. La preuve peut être apportée par tous moyens.

La réalité de la participation directe et effective aux travaux de l’exploitation familiale est suffisamment démontrée par les nombreuses attestations versées au débat. Les éléments énoncés dans les attestations étaient confortés par l’inscription de la demanderesse en qualité d’aide-familial auprès de la Mutualité Sociale Agricole. Ainsi, la demande de créance de salaire différé a pu être accueillie par la cour d’appel,  les juges du fonds disposant d’un pouvoir souverain pour apprécier les faits (Cass. 3° civ., 15 janv. 2020, n° 19-14063).

Fiscalité.

Le règlement du salaire différé est exempté de tout droit de mutation à titre gratuit, que le règlement intervienne du vivant de l'exploitant ou à la suite du décès de ce dernier.

Toutefois, depuis la loi de finances pour 2014, les sommes versées à l'héritier bénéficiaire du salaire différé sont imposées à l'impôt sur le revenu. Sur demande du contribuable, le système du quotient est applicable. Sont cependant exonérés d'impôt sur le revenu les héritiers ayant travaillé gratuitement sur l'exploitation familiale jusqu'au 30 juin 2014. Selon l'instruction fiscale, cette exonération ne concerne que le bénéficiaire qui a cessé de participer aux travaux au plus tard le 30 juin 2014 et uniquement si le montant de la créance est définitivement arrêté.

Une autre lecture du texte permettrait d'exonérer d'impôt sur le revenu la fraction de la somme correspondant au travail réalisé par le descendant avant le 30 juin 2014, quand bien même il aurait poursuivi sa participation après cette date.

Exemple : le descendant a participé au travaux du 1er juillet 2008 au 30 juin 2018, soit pendant dix ans. En prenant en considération un SMIC horaire de 11,52 €, le montant de sa créance de salaire différé de : 2.080 x 2/3 x 10 ans x 11,52 € = 159.744 €.

La somme correspondant à la période du 1er juillet 2008 au 30 juin 2014 (6 ans, soit 95.846,40 €) serait exonérée et la somme correspondant à la période suivante serait imposée.

B/ Le droit dérivé du conjoint du descendant, conjoint qui a également participé aux travaux de l'exploitation (de ses beaux-parents) sans contrepartie.

L'article L 321-15 dispose que "Si le descendant est marié et si son conjoint participe également à l'exploitation dans les conditions de l'article L 321-13 (participation directe et effective aux travaux de l'exploitation sans contrepartie), il est réputé légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé".

Dans un premier temps, il apparaît que cette disposition ne s'applique que sous réserve que le descendant ait lui-même travaillé (de façon directe et effective et sans contrepartie) sur l'exploitation de ses parents. Si ce n'est pas le cas, le conjoint est exclu de ce dispositif.

En second lieu, la question se pose de savoir si la participation aux travaux des deux époux doit avoir eu lieu concomitamment ou si elle a pu être réalisée au cours de périodes distinctes.

La Cour de Cassation a opté pour la première approche, et ce à deux reprises : Cass. 1ère civ., 14 mars 1995 et tout récemment Cass. 1ère civ, 29 mai 2019.

Cette approche, restrictive, réduit ainsi la possibilité pour le conjoint ayant travaillé d'être indemnisé à ce titre.

Aussi, dans une telle situation (participation des deux époux à des périodes différentes) le conjoint se tourne-t-il logiquement vers l'action fondée sur l'enrichissement sans cause (devenue, depuis la réforme du droit des contrats, l'action fondée sur l'enrichissement injustifié visée à l'article 1303 du code civil).

De façon surprenante, l'arrêt du 14 mars 1995 l'a accepté, et ce alors même qu'une telle action ne peut prospérer lorsque le demandeur dispose d'une autre action prévue par la loi, en l'espèce l'article L 321-15, quand bien même ledit conjoint ne peut en bénéficier faute de remplir les conditions légales, en particulier parce que les périodes de travail des deux époux ne sont pas concomitantes.

L'arrêt du 29 mai 2019 a, lui, débouté le conjoint de son action au titre de l'enrichissement sans cause, mais au simple motif que l'action était prescrite. La Haute juridiction n'a donc pas eu à trancher la question de la subsidiarité (visée aujourd'hui à l'article 1303-2 du code civil).

C/ Le salaire différé du conjoint survivant ayant participé aux travaux sans contrepartie (institué par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999).

Bénéficiaire : la créance est attribuée au conjoint collaborateur survivant du chef d’exploitation ou de l’associé-exploitant d’une société dont l’objet est agricole. Le conjoint divorcé paraît exclu du bénéfice de la créance mais non le conjoint séparé de corps.

Le conjoint doit remplir plusieurs conditions :

  • avoir participé directement et effectivement à l’exploitation. Cette participation aux travaux de l’exploitation doit être personnelle et non occasionnelle, sans être nécessairement exclusive,
  • pendant au moins dix ans. Rien ne s’oppose au décompte du délai de dix ans en plusieurs périodes,
  • sans recevoir de salaire, ni être associé aux bénéfices et aux pertes.

Montant de la créance : fixé forfaitairement à trois fois le SMIC annuel en vigueur au jour du décès, dans la limite de 25 % de l’actif successoral (actif brut ou actif net ?). En outre, cette créance ne s’ajoute pas aux droits que le conjoint survivant recueille éventuellement dans la succession de son époux (ou épouse) prédécédé(e), tel que l’usufruit légal ou le bénéfice d’une donation entre époux ou de dispositions testamentaires. Le montant de ces droits propres est diminué de celui de la créance de salaire différé, ce qui réduit sensiblement l'intérêt de cette disposition.

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