Une société (en l'espèce une EARL) est titulaire d'un bail, soumis au statut du fermage, portant sur un fonds rural.

A la suite du décès du bailleur, ses héritiers délivrent à la société preneuse un congé aux fins de reprise au profit d'un descendant, sur le fondement de l'article L 411-58 du Code rural et de la pêche maritime.

L'EARL saisit le tribunal paritaire des baux ruraux pour faire prononcer la nullité du congé et, partant, le renouvellement du bail.

A ce stade, il convient de rappeler que le bénéficiaire de la reprise doit remplir, de façon cumulative, les cinq conditions suivantes :

1/ Condition de compétence professionnelle, à savoir :

* possession de l’un des diplômes ou certificats au moins équivalent au baccalauréat professionnel, option « conduite et gestion de l’exploitation agricole » ou au Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA), ou diplôme équivalent.

                ou

* expérience professionnelle : 5 ans de pratique agricole acquise en qualité d’exploitant, d’aide-familial, d’associé-exploitant, de salarié d’exploitation agricole ou de collaborateur d’exploitant, et ce, durant les 15 dernières années et sur une surface égale au moins au 1/3 de la surface agricole régionale.

2/ Démontrer sa volonté d’exploiter (surtout lorsqu’il exerce déjà une autre activité professionnelle).

La validité de la reprise est subordonnée à la volonté d’exploiter (de façon effective et permanente). Il ne peut se limiter à la surveillance de l’exploitation. C’est au reprenant qu’il appartient d’établir sa volonté d’exploiter personnellement le fonds.

Ainsi, la reprise pour exploiter peut être refusée au motif que l’activité professionnelle non agricole du reprenant n’est manifestement pas compatible avec l’activité agricole envisagée.

Toutefois, l’exercice d’une activité salariée à temps plein n’a pas été jugé incompatible dès lors que la superficie des terres (20 ha) et le fait qu’elle soient à usage de labour n’exigent pas une présence quotidienne.

3/ Disposer de capitaux nécessaires pour acquérir le cheptel et/ou le matériel d’exploitation ou détenir ce cheptel et ce matériel.

C’est au bénéficiaire du congé qu’il appartient de justifier qu’il possède le cheptel et le matériel nécessaires à l’exploitation, ou les moyens de les acquérir .

4/ Remplir la condition d’habitation sur place ou à proximité.

La réalisation de la condition d’habitation à proximité est appréciée souverainement par les juges du fond.

5/ Etre en conformité avec le contrôle des structures des exploitations agricoles.

Selon sa situation, le bénéficiaire de la reprise doit démontrer que, en ce qui le concerne, l'opération est libre ou, si elle est subordonnée à une autorisation administrative d'exploiter, il devra produire ladite autorisation. S'il reprend un bien de famille, il pourra se "limiter" à une déclaration préalable.

En l'espèce, la Cour d'appel constate que la bénéficiaire de la reprise a obtenu le Brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole et qu'elle s'engage à vivre dans le bâtiment d'habitation situé sur le fonds objet de la reprise. Par ailleurs, elle a mis un terme à son activité d'esthéticienne, démontrant ainsi sa réelle volonté de mettre en valeur le fonds de façon effective et permanente.

Les deux points discutés par le preneur étaient la possession du matériel (ou des moyens financiers pour l'acquérir) et le respect du contrôle des structures des exploitations agricoles.

Sur le premier point, la Cour constate que sont produits des justificatifs probants, à savoir don de matériel du père à sa fille, acceptation par une banque d'une demande de prêt pour un montant conséquent (permettant l'acquisition de matériels complémentaires et l'achat des intrants pour l'implantation et l'entretien des cultures).

Sur le second point, la Cour  constate que les conditions exigées par l'article L 331-2 II du Code rural et de la pêche maritime pour que puisse s'appliquer le régime de la déclaration préalable, à savoir :

a) Le déclarant satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle agricole ;

b) Les biens sont libres de location (l'arrêt confirme que, par l'effet du congé délivré, le bien est libre de la location ... au jour de la reprise);

c) Les biens sont détenus par un parent ou allié, jusqu'au troisième degré inclus , depuis neuf ans au moins ;

d) Les biens sont destinés à l'installation d'un nouvel agriculteur ou à la consolidation de l'exploitation du déclarant, dès lors que la surface totale de celle-ci après consolidation n'excède pas le seuil de surface fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

sont toutes réunies et que, dès lors, une autorisation préalable d'exploiter n'est pas nécessaire.

Toutefois, l'EARL reprochait à l'arrêt de ne pas avoir pris en considération le fait que la reprise avait pour effet le démembrement de son exploitation (ce qui est une situation nécessitant, en soi, l'obtention d'une autorisation d'exploiter), dès lors que la surface était ramenée en-deça du seuil fixé en la matière par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. 

Mais, comme le repreneur réalisait une première installation, qui entrait dans le cadre du dispositif de déclaration préalable, la Cour n'avait pas à procéder à une recherche sur les seuils de surface, lesquels ne concernent que les cas de consolidation d'exploitations préexistantes. On peut, en outre, penser que, même en cas de consolidation d'une exploitation, le régime de la déclaration préalable s'appliquerait pour une reprise ne se traduisant pas par un agrandissement au-delà du seuil de contrôle (quand bien même elle induirait le démembrement de l'exploitation du preneur).

Enfin,  le preneur soulevait un dernier moyen en faisant valoir que le gérant de la société se trouvait en pleine carrière, qu'il était chargé de famille, père de deux enfants mineurs scolarisés et que l'exploitation agricole était la seule source de revenus du foyer, son épouse étant invalide et que la validation du congé entraînerait des conséquences gravissimes pour l'EARL et la famille du gérant.

Sur ce dernier point, la Cour de cassation approuve la Cour d'appel de de ne pas s'être expliquée sur les conséquences matérielles de l'opération sur les membres  de la famile du gérant (Cass. 3° civ. 23 mars 2022, n° 19-26.119). L'impact économique de la reprise à l'égard du preneur n'a pas à être prise en considération par le juge.