Dépôts successifs de marques et mauvaise foi : une stratégie sanctionnée par le droit de l’Union européenne

En droit des marques de l’Union européenne, la protection conférée par l’enregistrement n’est pas illimitée.

Le titulaire d’une marque est tenu d’en faire un usage sérieux dans un délai de cinq ans, à défaut de quoi il s’expose à une déchéance de ses droits.

Certaines stratégies de dépôts successifs ont toutefois cherché à contourner cette exigence.

La jurisprudence européenne y oppose aujourd’hui une réponse claire : le redépôt abusif d’une marque peut constituer un dépôt de mauvaise foi entraînant la nullité de l’enregistrement.

Le cadre juridique : la mauvaise foi comme motif de nullité

L’article 59, paragraphe 1, point b), du règlement (UE) n° 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne prévoit qu’une marque est déclarée nulle lorsque la demande d’enregistrement a été déposée de mauvaise foi.

La notion de mauvaise foi permet de sanctionner les comportements consistant à détourner le système des marques de sa finalité, notamment lorsque le dépôt vise à contourner les règles relatives à l’usage sérieux et à la déchéance pour non-usage.

Les dépôts successifs : une tentative de contournement de la déchéance

Le droit des marques accorde au titulaire un délai de grâce de cinq ans à compter de l’enregistrement pour commencer à exploiter sa marque. À l’issue de ce délai, l’absence d’usage sérieux expose la marque à la déchéance.

Certaines entreprises ont tenté de neutraliser ce mécanisme en procédant à des dépôts successifs de marques identiques ou quasi identiques, portant sur des produits et services similaires, afin de bénéficier indéfiniment d’un nouveau délai de grâce.

Une telle pratique est désormais clairement identifiée comme contraire à l’esprit du droit des marques.

La jurisprudence Hasbro : une position de principe

Dans son arrêt du 21 avril 2021 (Hasbro, Inc. c. EUIPO, aff. T-663/19), le Tribunal de l’Union européenne a jugé que le dépôt répété d’une marque, sans intention réelle de l’utiliser, dans le seul but de prolonger artificiellement la protection conférée par des marques antérieures, constitue un abus de droit caractérisant la mauvaise foi.

Le Tribunal a rappelé que la mauvaise foi doit être appréciée au regard de l’ensemble des circonstances existant au moment du dépôt, et notamment :

  • L’intention du déposant,
  • La stratégie commerciale poursuivie,
  • L’existence ou non d’un usage sérieux des marques antérieures,
  • Ainsi que la similitude des produits et services concernés.

Cette décision marque un tournant en ce qu’elle affirme clairement que le droit des marques ne peut servir à instaurer un monopole perpétuel par le biais de redépôts successifs.

La confirmation par l’EUIPO : une pratique désormais sanctionnée

La position du Tribunal a été confirmée par l’EUIPO dans une décision du 15 février 2024 (aff. n° C 57 071). La division d’annulation a reconnu la mauvaise foi d’un déposant ayant procédé au dépôt d’une marque de l’Union européenne similaire à des marques antérieures menacées de déchéance.

L’Office a considéré que cette stratégie visait à prolonger indûment le délai de cinq ans attaché à chaque nouveau dépôt, en contournant les règles relatives à l’usage sérieux des marques.

Cette décision a été validée par la chambre de recours le 6 mars 2025, qui a estimé qu’il peut être déduit des circonstances que le dépôt de la marque de l’Union Européenne contestée équivaut à un comportement s’écartant des principes reconnus d’un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

Quelles conséquences pour les titulaires de marques ?

Les décisions récentes rappellent avec force que le titulaire d’une marque ne peut se prévaloir d’un droit exclusif perpétuel fondé sur des dépôts successifs dépourvus de justification commerciale réelle.

Une telle stratégie expose non seulement la marque redéposée à la nullité, mais peut également fragiliser l’ensemble du portefeuille de marques concerné.

Il est dès lors essentiel, pour les entreprises, d’adopter une stratégie de dépôt cohérente et conforme aux exigences d’usage sérieux, en veillant à anticiper les risques de déchéance plutôt qu’à chercher à les contourner.

Etienne Bucher
https://www.erisavocat.com/

 

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017R1001

https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=240162&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=6649398

https://euipo.europa.eu/eSearchCLW/#key/trademark/APL_20250306_R0774_2024-5_018589305