Dans les directions juridiques des annonceurs, une question se pose avec une fréquence croissante : les droits d’auteur que certains prestataires prétendent céder sur des contenus générés par intelligence artificielle disposent-ils d’une existence juridique réelle ?
La réponse, au regard du droit applicable, est le plus souvent négative.
Cette réalité, longtemps perçue comme théorique, commence désormais à produire des effets concrets.
Le développement rapide de l’IA générative a créé un décalage avec le cadre juridique existant. La technologie a évolué rapidement, tandis que le droit d’auteur demeure fondé sur des principes constants.
Ce décalage expose aujourd’hui les entreprises à des risques financiers, juridiques et réputationnels significatifs, liés à une compréhension insuffisante des conditions d’existence du droit d’auteur.
L’exigence de la contribution humaine créative
Le droit d’auteur français, comme la plupart des droits occidentaux, repose sur un principe constant : seule une création issue de l’expression d’une personnalité humaine peut bénéficier de la protection. Cette exigence constitue le fondement même du régime du droit d’auteur.
Lorsqu’un contenu est généré par un processus algorithmique autonome, sans intervention humaine créative identifiable et significative, la qualification d’œuvre de l’esprit ne peut être retenue. En l’absence d’auteur au sens juridique, aucun droit d’auteur ne peut naître. Le contenu relève alors du domaine public.
L’utilisation d’un prompt, même élaboré, ne suffit pas à caractériser un contrôle créatif.
L’utilisateur exprime une intention, mais le résultat est produit par l’algorithme selon des mécanismes largement autonomes.
La monétisation de droits qui n'existent pas
Le problème se pose dès lors qu’une agence génère des contenus par IA et facture une cession de droits d’auteurs à son client annonceur.
Dans ce cas, l’agence vend des droits qu’elle ne détient pas, puisque les œuvres créées par un processus algorithmique autonome ne peuvent pas accéder à une protection au titre du droit d’auteur.
La difficulté est accentuée lorsque les contenus générés reposent sur des éléments préexistants appartenant au client, tels que des logos, chartes graphiques ou visuels préexistants.
En effet, lorsqu’un prestataire utilise ces éléments pour générer des déclinaisons par IA, puis facture une cession de droits sur ces contenus, il prétend céder des droits qu’il ne détient pas, sur des créations dérivées d’actifs appartenant déjà au client.
Le renforcement du contrôle par les directions juridiques des annonceurs
Les directions juridiques ont engagé des audits plus fréquents des contrats intégrant des prestations d’IA générative.
Les clauses de cession de droits font l’objet d’analyses approfondies, notamment quant à leur validité et à leur portée réelle.
Les premiers contentieux médiatisés ont contribué à cette prise de conscience : restitution de sommes importantes pour des cessions fictives, condamnations pour la vente de droits exclusifs inexistants, enquêtes pour pratiques commerciales trompeuses.
Les risques encourus
Les entreprises qui persistent à commercialiser des droits inexistants s’exposent à plusieurs catégories de risques.
Sur le plan financier, les demandes de remboursement, les dommages-intérêts et les pénalités contractuelles peuvent atteindre des montants significatifs, notamment lorsque le client a fondé une stratégie d’exploitation sur une exclusivité supposée.
Sur le plan juridique, les actions en nullité des contrats, les demandes fondées sur le manquement à la bonne foi contractuelle et, dans certains cas, les qualifications pénales ne peuvent être exclues.
Sur le plan réputationnel, la médiatisation d’un litige peut durablement affecter la crédibilité du prestataire, dans un secteur où la confiance constitue un élément déterminant.
Recommandations : Documenter le cheminement créatif et sécuriser les pratiques contractuelles
L’utilisation de l’IA générative ne doit pas être remise en cause, mais encadrée juridiquement.
La première évolution consiste à repositionner l’offre sur la prestation de services : expertise technique, conseil et accompagnement stratégique etc. Ce modèle repose sur la valorisation d’un savoir-faire, et non sur une cession de droits.
Lorsque l’intervention humaine est réelle et substantielle, elle doit être documentée de manière précise. La traçabilité du processus créatif constitue alors un élément essentiel de sécurisation.
Enfin, la rédaction contractuelle doit refléter avec exactitude la nature des prestations. Il convient de distinguer clairement les prestations de services, les licences portant sur des créations effectivement protégeables, et les modèles hybrides, en segmentant rigoureusement les différents éléments.
Les difficultés actuelles ne résultent pas de l’usage de ces technologies, mais de leur intégration dans des modèles contractuels inadaptés.
Les acteurs qui intégreront l’IA comme un outil au service de la création humaine, et non comme un substitut juridique à celle-ci, construiront des pratiques plus sûres et plus durables.
Etienne Bucher https://www.erisavocat.com/

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