Lors de la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, Monsieur Edouard Philippe, Premier Ministre, estimant que l’Etat ne saurait se substituer aux acteurs sociaux, et devait faire un usage circonspect de sa puissance lorsque la survie de la nation, la justice et l’ordre n’étaient pas en cause, soulignait que le projet de loi se fondait notamment sur la confiance dans les parties prenantes et une présomption de conformité des comportements.

Ainsi, le législateur étant rempli de foi à l’égard de la nature humaine, la loi du 10 août 2018 dispense désormais toutes les sociétés commerciales, quelque soit la forme, de l’obligation d’établir un rapport de gestion, pour autant qu’elles répondent à la définition des petites entreprises, cette mesure entrant en vigueur pour les exercices clos à compter du 11 août 2018.

L’exemption d’établissement du rapport de gestion n’existait jusqu’alors que pour les EURL et les SASU, en fonction de seuils spécifiques, dont l’associé unique, personne physique, était le seul gérant ou président.

Constituent des petites entreprises exemptées de rapport de gestion, les sociétés qui ne dépassent pas à la clôture d’un exercice, deux des trois seuils suivants :

-              Total du bilan : 4 millions d’euros,

-              Montant net du chiffre d’affaires : 8 millions d’euros,

-              Nombre moyen de salariés au cours de l’exercice : 50 salariés.

Toutefois, ne peuvent notamment pas bénéficier de cette exemption les sociétés cotées, les établissements financiers, les entreprises de banque et de réassurance et les sociétés dont l’activité consiste à gérer des titres de participation.

Cette mesure d’allègement des obligations résultant du droit des sociétés soulève en premier lieu une question sur son applicabilité lorsque les statuts prévoient l’obligation d’établir un rapport de gestion par le gérant ou le président.

En effet, si l’on considère sur le plan doctrinal que la société est davantage un contrat qu’une institution, la question se pose de savoir si la loi, fondée notamment sur une présomption de conformité des comportements, peut permettre de s’affranchir d’une obligation contractuelle à la charge du dirigeant, qui lui impose de rappeler, dans son rapport annuel, les éléments marquants de l’exercice, et qui permet, à l’occasion, aux associés non dirigeants de se demander si, au travers du compte rendu de l’activité de la société, l’action du dirigeant (et son comportement…) a été conforme à ce que ses associés sont en droit d’attendre.

Sans équivoque, si les statuts prévoient l’établissement d’un rapport de gestion par le dirigeant, on ne saurait que conseiller au dirigeant de l’établir, sous peine de s’exposer à une action contentieuse de ses associés fondée sur les dispositions statutaires.

Le rapport de gestion, présenté à l’occasion de chaque assemblée générale ordinaire annuelle, constitue le moyen récurrent pour les associés d’obtenir des informations sur la vie de la société.

En outre, ce rapport de gestion, par les informations qu’il doit comporter, se révèle plus évocateur que la simple communication, à tout moment, des comptes annuels ou des procès-verbaux des assemblées, dont bénéficient les associés.

Il est en effet indéniable que l’assemblée générale ordinaire annuelle d’une société est l’occasion d’obtenir des précisions de la part du dirigeant, de nature à ce que les associés disposent d’une information fiable et suffisamment alimentée.

Dans son rapport de gestion, le dirigeant doit notamment décrire la situation financière de la société et l’activité de l’exercice écoulé, expliquer les évènements importants survenus au cours de l’exercice, présenter les activités en matière de recherche et développement…

De la présentation de ce rapport de gestion s’engagera alors, le cas échéant, une discussion, vive ou non, entre le dirigeant et les associés, sur les choix qui ont pu être faits au cours de l’exercice.

En tout état de cause, le rapport de gestion est l’assurance pour les associés d’obtenir à tout le moins des explications sur les éléments comptables dont ils ont pu prendre connaissance en consultant les comptes annuels, qui constituent un élément essentiel mais insuffisant de l’information.

Dès lors, en se faisant le chantre de la confiance dans les parties prenantes et de la présomption de conformité des comportements, le législateur a ôté aux associés non dirigeants et / ou minoritaires un moyen d’information.

Ainsi, là où la réforme récente du droit des contrats (cf article 1112-1 du Code civil, par exemple), a mis l’accent sur le devoir d’information entre les parties contractantes, le droit des sociétés se trouve allégé de façon significative d’une obligation de communication bien établie…

Autant il pouvait être compréhensible d’exempter de rapport de gestion les EURL et les SASU dont l’associé unique, personne physique, est le seul gérant ou président.

En revanche, cette exemption résultant de la loi objet des présentes est parfaitement incompréhensible dans le cadre de sociétés pluripersonnelles où la multiplicité des personnes et des intérêts requièrent une information dont le contenu obligatoire devrait être protégé.

Au surplus, une telle suppression apparaît source de contentieux dans des sociétés où les relations entre le dirigeant et les associés sont difficiles.

Ce serait d’ailleurs méconnaître la réalité du tissu économique français que de considérer que dans les petites entreprises, le risque de conflit entre associés et dirigeants est moindre.

Il existe en effet un risque significatif d’accroissement de mises en cause de responsabilité de dirigeants par des associés mécontents de la gestion et des choix opérés par le dirigeant, fondées sur un défaut d’informations de la part de leur mandataire social.

Un risque accru, car sous l’empire de la loi antérieure à la loi du 10 août 2018, des dirigeants étaient déjà régulièrement mis en cause par leurs associés, alors même qu’une communication minimale avait été assuré par le rapport de gestion…

Et l’existence d’un rapport de gestion présentait sans équivoque un intérêt probatoire.

Ainsi, dans un arrêt du 28 avril 2004 (00-12827) où la société, le gérant et les associés majoritaires étaient notamment poursuivis par les associés minoritaires pour abus de majorité, la Chambre commerciale de la Cour de cassation valida la décision de la Cour d’appel qui s’était notamment fondée sur les rapports de gestion établis par le dirigeant sur trois exercices sociaux.

De la même façon, dans un arrêt du 1er juin 2010 (09-15322), la Chambre commerciale de la Cour de cassation confirma la décision de la Cour d’appel qui avait considéré l’action prescrite, compte tenu de la date de convocation de l’assemblée générale ordinaire annuelle qui mentionnait l’ordre du jour habituel et évoquait l’existence du rapport de gestion. Le fait générateur du litige ayant été mentionné dans le rapport de gestion, la Cour d’appel avait alors pu en déduire que l’information litigieuse avait été donnée et que l’action était prescrite.

Deux décisions parmi d’autres, dans lesquelles l’existence du rapport de gestion a permis d’écarter une action en responsabilité contre des dirigeants.

Faire confiance aux parties prenantes est louable.

Présumer la conformité des comportements est un formidable exemple de la foi dans la nature humaine.

Mais selon un proverbe célèbre, l’enfer est pavé de bonnes intentions…

Alors que dans certaines matières du droit, comme en droit de la famille, l’Etat a lancé une démarche de déjudiciarisation, à vouloir alléger le formalisme des assemblées générales ordinaires annuelles, cette exemption du rapport de gestion ouvre la porte à des contentieux plus nombreux d’action en responsabilité des dirigeants.

Au surplus, comment les dirigeants, privés de l’existence de ce rapport de gestion, pourront-ils établir qu’ils ont satisfait à leur obligation d’information des associés, fondée sur la loyauté entre associés ? Comment pourront-ils démontrer qu’ils ont apporté toutes explications souhaitées sur les comptes de l’exercice écoulé ?

Sans préjudice de l’obligation contractuelle d’information qui pourrait résulter des statuts, préalablement évoqué, exemption ne signifie pas interdiction.

Dès lors, il serait de l’intérêt des dirigeants, nonobstant les dispositions de l'article L 232-1 du Code de commerce désormais applicable, de continuer à établir ce rapport de gestion.

Sauf à ce que le dirigeant ait, comme le législateur, foi dans ses associés, qui auront eux-mêmes une confiance absolue dans leur dirigeant…